Convaincus par les faits, que le gouvernement les ignore, ou rêve de tous les voir exercer sous la coupe de l’hôpital public, les spécialistes libéraux ont décidé de transformer leur blues en action forte. Sous la coupe de l’UMESPE (CSMF) en opposition frontale avec la future loi de santé, des Etats généraux de la médecine spécialisée se tiendront début décembre. Ils seront le point de départ d’une mobilisation qui ira croissant jusqu’au débat parlementaire sur le projet de loi de santé, en début d’année.

 

“On a l’impression qu’on nous enfume… On fait semblant de nous écouter, de prendre en compte nos propositions et, dans les projets de textes ou d’accords, il ne reste plus rien”. Le Dr Patrick Gasser, nouveau président gastro-entérologue nantais de l’UMESPE (branche spécialiste de la CSMF), confie le ras-le-bol de ses troupes alors que ni les accords sur l’exercice interprofessionnel, ni la future loi de santé ne semblent se préoccuper de la médecine spécialisée libérale. “Soit, c’est le tout hôpital public, soit le tout soins de proximité. Le ministère ne nous voit pas, ou ne se souvient de nous que pour mettre en place des mesures vexatoires”, accuse le président.

 

Une vraie coordination entre le généraliste et le spécialiste

De fait, dans les accords interprofessionnels sur lesquels se penchent actuellement les médecins généralistes et les représentants des kinés, infirmières ou pharmaciens notamment, il n’y a pas un seul mot sur le recours à la médecine spécialisée ambulatoire. Or, insiste le Dr Gasser, “l’exercice coordonné a pour but d’améliorer la qualité et la sécurité de la prise en charge des soins sur l’ensemble du territoire. En nous excluant, le gouvernement passe à côté d’une vraie structuration territoriale performante. C’est ce que prouvent des études scientifiques étrangères : l’efficience et la performance des prises en charge passent par la mise en place d’une vraie coordination entre le généraliste et le spécialiste”. Mais pour l’heure, il n’en est pas question dans les accords qui viennent de se conclure.

Sur le front de la future loi de santé, c’est même la colère. Au-delà du fait que le gouvernement confirme la prééminence de l’hôpital public, auquel serait subordonnée l’hospitalisation privée, cette dernière se verrait imposer plusieurs mesures “discriminatoires”. A commencer par l’obligation qui serait faite aux établissements privés voulant participer au service public hospitalier, de pratiquer des tarifs conventionnés stricts. “Ce qui voudrait dire que les praticiens hospitaliers publics pourraient continuer à pratiquer des honoraires libres pour leurs consultations privées, mais que cela serait interdit dans les cliniques privées ? Rien n’est écrit sur le contrat d’accès aux soins dans le projet de texte que nous avons consulté. Et nous ne croyons que ce que nous voyons”, s’indigne le président.

Autre discrimination : l’obligation faite désormais aux établissements, de prévoir un pourcentage de “coefficient prudentiel”, sorte de réserve prélevée sur leurs tarifs, qui serait débloquée en cas d’insuffisance budgétaire. “Cette disposition est de nature à fragiliser les établissements privés” qui sont déjà privés d’accès à l’innovation. Le Dr Gasser y voit une “attaque directe” contre l’hospitalisation privée, une tentative de marginalisation.

 

“Il faut nous laisser la liberté de l’entrepreneuriat”

Et enfin, la future loi de santé qui instaure un “service territorial de santé au public”, n’aura de cesse de mettre en place des SROSS ambulatoires “qui permettront aux ARS de contrôler l’exercice de la médecine libérale spécialisée sur tout le territoire”. Or, insiste le président, “il faut nous laisser la liberté de l’entrepreneuriat”. Le maillage territorial de la médecine spécialisée et de son expertise, aujourd’hui, participe activement à l’accès aux soins, y compris dans les endroits les plus reculés. “Là où aucun Leclerc ne viendra jamais !”, ajoute-t-il.

La future loi intronise les pratiques avancées, qui modifient les compétences des métiers. “Les délégations ne se décrètent pas, elles se construisent”, affirme Patrick Gasser, pour qui les relations personnelles, l’expérience commune sur le terrain, sont les seuls fondements d’une bonne harmonisation dans les délégations de tâches. “Laissez-nous faire, nous avons des idées et de l’expérience”, a-t-il coutume de dire.

A défaut, les expérimentations PRADO, conduites par l’assurance maladie, resteront sans volontaires du côté de la médecine spécialisée. Dans le même registre, la possibilité donnée au médecin généraliste, de devenir le médecin traitant de l’enfant aux côtés des pédiatres, n’est pas une mauvaise idée en soi, concède-t-il. Mais il aurait mieux fallu la concevoir “dans le cadre d’une réflexion approfondie autour de la santé de l’enfant, alors qu’elle est aujourd’hui vécue par les spécialistes, comme une mesure vexatoire”.

Même chose pour la future fonction d’optométriste, censée faire le lien entre l’opticien et les ophtalmologues. “De très bonnes expériences ont prouvé leur efficacité sur le terrain, grâce à la télémédecine notamment. Les infirmières de bloc sont également un très bon exemple de parfaite coopération avec les chirurgiens ou les anesthésistes. Je ne suis pas persuadé que la création d’un métier d’optométriste sera la solution aux problèmes démographiques traversés par la profession des ophtalmologistes”, critique le Dr Gasser.

C’est pour toutes ces raisons, et d’autres communes aux médecins généralistes, comme le refus du tiers-payant généralisé par exemple, que l’UMESPE a décidé d’entamer un mouvement puissant de contestations.

 

“Nous allons nous faire entendre”

Point de départ, le 7 décembre prochain, avec la tenue des Etats généraux de la médecine spécialisée, à l’issue desquels un “cahier de doléance” sera remis à la ministre de la Santé. Suivi par un grand nombre de manifestations dont le syndicat préfère aujourd’hui garder le secret. Le mouvement arrivera à son apogée le 24 décembre pour rejoindre l’UNOF, qui a lancé un mot d’ordre de grève durant les fêtes, dès cette date, relayé par MG France, le SML et la FMF.

“Il est assez compliqué d’organiser la coordination entre tous les acteurs de toutes les spécialités, mais le mouvement est lancé”, explique le patron des spécialistes. “Le gouvernement ne pense que par l’hôpital public, il ne nous voit pas alors qu’il veut initier le tournant ambulatoire de notre système de santé. Nos idées ne sont pas écoutées, par exemple au sujet des hospitalisations évitables. Nous allons nous faire entendre !”

A la bonne date, puisque les premières réunions préparatoires à la présentation de la future loi de santé, à l’Assemblée nationale, sont prévues dès le début du mois de janvier prochain. Syndicalement très motivée, l’UMESPE fait déjà savoir qu’elle sera au rendez-vous.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne