Soixante-neuf cas de guérisons miraculeuses ont été proclamés à Lourdes depuis 1858. Des cas qui ont très souvent faits les gros titres des journaux. Ce qu’on sait moins, en revanche, c’est que l’authentification de chaque miracle résulte d’une importante enquête médicale, très minutieuse menée pendant plusieurs années par des médecins. Comment travaillent-ils ? A quelles difficultés sont-ils confrontés ? C’est ce qu’a cherché à comprendre la sociologue Laetitia Orgozelec-Guinchard, dans le livre Le miracle et l’enquête. Les guérisons inexpliquées à l’épreuve de la médecine, aux éditions Puf.

 

Egora.fr : Quelles sont les grandes étapes de l’authentification d’une guérison miraculeuse à Lourdes ?

Laetitia Orgozelec-Guinchard : Il y a trois étapes importantes. La première étape est strictement médicale. Lorsqu’une personne fait la démarche de déclarer sa guérison, elle est reçue par le président du Bureau médical de Lourdes qui va constituer un dossier. Il prend contact avec le médecin traitant de la personne et met en place une enquête. Ensuite, il établit si le dossier est sérieux. Pour cela la guérison doit répondre aux critères de l’Eglise. Les médecins doivent établir la certitude rétroactive que la personne était bien malade, la réalité de la guérison, et doivent démontrer qu’elle a un caractère inexplicable. Trois autres conditions sont exigées par l’Eglise, à savoir est-ce que la guérison a été instantanée ? Est-ce qu’il y a eu une absence de convalescence ? Et est-ce que la guérison persiste dans le temps ? Si on a franchi toutes ces épreuves, le dossier est présenté au Comité médical international de Lourdes, le Cmil, un organe supérieur constitué d’une vingtaine de médecins. Ce sont eux qui confirment que la guérison ne trouve aucune explication. A ce moment-là, le dossier quitte le domaine médical pour être confié au jugement de l’évêque du diocèse de la personne guérie. Lui, s’intéresse au contexte de de la guérison, à la foi de la personne. C’est lui seul qui peut déclarer le miracle.

 

Qui sont les médecins appelés à se prononcer ?

Les médecins qui interviennent au bureau médical, sont des médecins de passage sur le sanctuaire. Ce sont les médecins qui accompagnent des pèlerinages. Tous ceux qui passent peuvent être appelés à se prononcer. C’est donc une clinique qui est ouverte à tous les médecins, et sa composition est extrêmement variable. Un seul praticien est permanent au bureau médical, c’est son président. Il est le plus souvent généraliste et nommé par l’évêque. Au niveau du Cmil, se sont plutôt des spécialistes qui sont également nommés par l’évêque de Lourdes.

 

Très tôt, dès les apparitions auprès de Bernadette Soubirous, les ecclésiastiques de Lourdes ont ressenti le besoin de faire appel à des médecins. Pourquoi était-ce alors important d’avoir une expertise médicale ?

Très rapidement, ce qui se passe à Lourdes est tourné en dérision dans les journaux. En 1858, c’est une période où les rationalistes prennent de plus en plus de place. Dans les journaux, on critique le manque de diversité de ces événements, c’est toujours la sainte vierge qui apparaît à une pauvre jeune bergère… A ce moment-là, l’évêque est très embarrassé par cette question des miracles et l’Eglise est très prudente. Il doit se prononcer sur ce qu’il se passe, car on s’inquiète de l’arrivée en masse des populations à Lourdes. Pour répondre aux critiques, il souhaite que la “science soit entendue”. Il demande à ce que des médecins viennent recueillir des déclarations de guérison, examiner les premiers guéris. C’est une manière pour lui de construire des actes de discours sérieux pour répondre aux rationalistes.

 

Ce bureau médical est une spécificité de Lourdes…

Des médecins qui sont appelés pour expertiser des déclarations de miracles, ça existait déjà de façon ponctuelle. Mais ce qui est spécifique à Lourdes, c’est qu’un véritable dispositif se met en place. Il est établit en 1883, et il existe toujours. Les médecins apportent vraiment une autorité, une expertise et c’est ce qui permet à l’Eglise de se prononcer avec une extrême prudence. Et de se prémunir contre les éventuelles critiques.

 

Comme dans toute enquête, il y a la question des preuves. Quelles sont-elles à Lourdes ? Sont-elles difficiles à trouver ?

Les preuves ont changé de nature. Les médecins au début se contentaient de peu, d’un témoignage, d’une auscultation. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué. S’il manque une pièce, un examen, le dossier est systématiquement mis de côté. Les médecins du sanctuaire ne peuvent par ailleurs travailler que si les médecins du patient acceptent de communiquer le dossier. Et un grand nombre de médecins ne souhaitent pas donner ces éléments et collaborer avec les médecins du sanctuaire.

 

Vous analysez deux cas dans votre livre. L’un a été très simple à trancher pour les médecins, l’autre extrêmement compliqué, notamment pour une question de preuves. Pouvez-vous revenir dessus ?

Le premier cas est une guérison de tuberculose à la fin des années 50. Il a fallu seulement 4 ans entre la déclaration de guérison et la proclamation du miracle. Les médecins ont pu très facilement réunir toutes les pièces du dossier, et notamment une preuve qui, à leurs yeux était inattaquable. Il s’agissait d’une courbe de température qui montrait de grosses variations avant la venue de cette personne à Lourdes, et qui s’est totalement stabilisée après. De plus elle était inconsciente, elle est revenue à elle en pleine messe des malades, donc devant beaucoup de témoins, ce qui est très rare. Ça, c’est un cas très simple pour les médecins.

Le deuxième cas, en revanche, une guérison de sclérose en plaques, a été beaucoup plus difficile. L’enquête a duré 11 ans. Les médecins n’étaient pas d’accord entre eux, notamment parce qu’il y avait dans le tableau clinique une coloration psychopathologique, ce qui a compliqué les choses. Surtout, au moment où la maladie a été diagnostiquée, l’IRM n’existait pas et au moment où la guérison a été déclarée, l’IRM était un outil incontournable. Du coup, les médecins qui ont eu ce dossier dans les mains étaient persuadés que la personne était guérie, mais ils ne pouvaient pas prouver de quoi elle était malade, puisque l’IRM faisait défaut. Finalement, les médecins ont déclaré la guérison, mais l’évêque, lui, n’a pas utilisé le terme de miracle.

 

Comment les médecins de Lourdes se sont adaptés aux évolutions de la médecine ?

Ils ont toujours veillé à s’adapter aux évolutions de la médecine. Ils ont tout intérêt à représenter la médecine actuelle, puisqu’ils doivent fournir les plus fines capacités d’explications médicales pour pouvoir rendre la guérison miraculeuse totalement inattaquable.

 

Il y a une raréfaction des miracles à Lourdes. Comment peut-on l’expliquer ?

Aujourd’hui, des évêques déplorent le fait que les médecins ont de plus en plus de mal à considérer certaines guérisons comme inexplicables. Les médecins sont extrêmement prudents. Même s’il y a toujours des guérisons à Lourdes, celles que les médecins peuvent déclarer comme certaines, définitives et inexplicables sont de plus en plus rares. Déjà parce que la médecine aujourd’hui explique de plus en plus de choses. Mais il y aussi une autre difficulté, c’est qu’ on a affaire aujourd’hui à des maladies de type dégénératives pour lesquelles il peut y avoir des rémissions extrêmement longues. Alors à quel moment peut-on considérer qu’il s’agit bien d’une guérison et plus d’une rémission ? Alors, les médecins ne jouent plus vraiment le jeu de la certitude et de la vérité que l’Eglise a toujours attendu d’eux. La vérité à Lourdes a toujours été adossée à la vérité médicale. Aujourd’hui cette vérité est de moins en moins évidente.

 

Du coup, à Lourdes a été créée une nouvelle catégorie de guérison, davantage basée sur “l’intime conviction” du médecin.

Il devient de plus en plus difficile de franchir toutes les étapes de déclaration de guérison miraculeuse, donc les médecins se sont interrogés. Ils se rendent compte qu’il y a des cas de guérison très convaincantes mais qui sont d’office écartées parce qu’il manque un examen complémentaire, parce que le diagnostic n’est pas suffisamment assuré, parce qu’il y a une surcharge fonctionnelle ou hystérique dans le tableau clinique… On s’est donc demandé si les guérisons à Lourdes devaient encore et toujours constituer un évènement rare qui se rapporterait uniquement au miracle tel qu’il est défini par l’Eglise. En gros, la question qui se pose est : est-ce que le miracle doit rester miraculeux ?

Les médecins ont considéré en effet que les grandes guérisons spectaculaires et retentissantes, parce qu’elles sont physiques, cachent tout un tas d’autres guérisons spirituelles et intérieures. Ce sont les médecins eux-mêmes qui disent ça. J’ai rencontré l’ancien directeur du bureau médical, qui me disait que la plupart des guérisons sont produites dans la chapelle de la réconciliation et que, même si les miracles sont devenus de plus en plus rares, Lourdes fait du bien. Et il serait bon de reconnaître aussi ces guérisons-là. C’est pour cette raison qu’une autre catégorie a été créée, la “guérison remarquable” : elle regroupe des guérisons qui ne sont pas certaines, définitives et inexplicables, mais seulement improbables. Cette catégorie permet aux acteurs du sanctuaire de reconnaitre un ensemble de guérisons, qui sinon ne seraient pas reconnues.

 

N’est-ce pas une sorte de retour en arrière, alors qu’à Lourdes on a toujours mis un point d’honneur à associer la science et la médecine dans les miracles ?

Ce qui est frappant, c’est que ce sont les médecins qui ont été demandeurs. Ce sont eux qui ont pointé les lourdeurs de la procédure de l’Eglise. Ce n’est pas si étonnant, car la médecine du début de Lourdes, basée sur le fait de produire de la certitude, a beaucoup changé. La guerre contre les rationalistes et les théoriciens de l’hystérie est terminée. Il ne s’agit plus de rendre les guérisons le plus inattaquable possible. Avant, tout ce qui était hystérique ou psychopathologique était d’office écarté. Aujourd’hui, cela peut à nouveau être pris en compte par les médecins. La manière dont on considère les guérisons à Lourdes s’est retournée comme un gant entre la fin du XIXe siècle et le début des années 80.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu