Le ras-le-bol des médecins se généralise et ils semblent être de plus en plus nombreux à préparer leur départ du territoire. Canada, Angleterre ou Suisse… Quatre praticiens nous confient les raisons de leur expatriation imminente.

 

Twitter, Facebook, bouche à oreille… Les médecins, expatriés ou ayant entamé leurs démarches pour partir, font de plus en plus de bruit et semblent de plus en plus nombreux. “Toutes les semaines, j’entends que deux ou trois nouveaux médecins, parfois plus, ont pris la décision d’aller exercer à l’étranger. Je constate une forte augmentation des confrères qui s’expatrient” témoigne le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML). Impossible pourtant de chiffrer ce mouvement. L’Ordre assure ne pas comptabiliser les départs à l’étranger des praticiens. Certain quittent carrément le territoire. D’autres font le choix des allers et retours et cumulent exercice à l’étranger et en France. C’est cette dernière option qui a séduit Patrick*, généraliste francilien de 52 ans.

 

“Les médecins ne sont plus respectés ni estimés”

“J’ai entamé des démarches pour partir le plus rapidement possible. La situation de la médecine libérale devient catastrophique. C’est le massacre à la tronçonneuse dans la plus grande inertie. Les médecins ne sont plus respectés ni estimés. On n’a pas fait 10 ans d’études pour ça. En Angleterre, lorsque l’on dit que l’on est médecin français, on nous déroule le tapis rouge.” Patrick a entamé des démarches pour partir exercer à Londres. “J’ai contacté l’Ordre anglais. Ils m’ont donné un dossier à remplir par internet ainsi que des documents à envoyer, notamment les diplômes et un type de certificat de bonne conduite fourni par l’Ordre français” explique le praticien qui constate que les délais pour recevoir ledit certificat sont passés de trois jours à trois mois. Preuve selon lui que les demandes explosent.

Sur tous les médecins interrogés, il ne semble pas y avoir de profil type au départ du territoire. Les âges et spécialités varient. En revanche, ils s’accordent tous sur le “ras-le-bol” généralisé et la dégradation des conditions d’exercice. “J’ai déjà beaucoup trop de paperasse, mais avec la généralisation du tiers payant, on sera pieds et mains liés à la sécu. La situation devient de pire en pire, j’en ai vraiment marre” confie Manon*, généraliste trentenaire installée en Alsace. La jeune femme vient de se voir proposer un poste de généraliste dans un cabinet de groupe en Suisse. “Une proposition qui arrive au bon moment”, estime celle dont la volonté de partir lui trotte dans la tête depuis quelque temps déjà.

“En Suisse, les conditions de travail sont différentes. Le temps de travail est mieux réparti et on est assisté d’une auxiliaire médicale qui s’occupe de la paperasse, ce qu’on ne peut pas se payer en France”, note-t-elle avant d’ajouter : “Je gagnerai très probablement mieux ma vie aussi, mais ce n’est pas la raison de mon départ. Je n’en peux plus d’avoir la sensation de devoir tout faire trop vite pour pouvoir toucher un revenu qui n’est vraiment pas mirobolant par rapport à nos responsabilités. A un moment on s’épuise.”

 

Payé 4 fois plus cher

Qu’ils partent au Canada, en Suisse ou en Angleterre, les médecins français savent que le tarif d’une consultation sera loin du tarif opposable français. Patrick se souvient d’une réunion à la CNAM en juillet 2013 dans laquelle Fréderic Van Roekeghem a dit qu’il savait que le tarif d’une consultation devrait logiquement être autour de 50 euros mais que s’il fixait ce prix, les praticiens ne voudraient pas travailler plus de 35 heures par semaine ce qui poserait problème et entraînerait une carence de médecins sur le territoire.”En nous payant 23 euros il savait qu’on serait obligé d’enchaîner les actes”, s’insurge-t-il.

“A Londres, les patients et les pouvoirs publics nous disent merci et on est payé quatre fois plus cher qu’en France, ce qui est le tarif normal d’une consultation, remboursé par les assurances”, s’enthousiasme Christian, chirurgien de la main qui compte également faire des aller-retours entre la capitale britannique et Paris. “Je ne suis pas dans une logique de tout plaquer et me barrer mais simplement d’aller travailler mieux ailleurs”, explique le chirurgien qui en a “assez d’être maltraité et considéré comme un moins que rien”. “On nous traite comme des salopards alors que les irresponsables sont les politiques qui, en 30 ans, ont mis la sécu dans cet état”, s’indigne-t-il.

Même état d’esprit pour Aurélia, généraliste de 31 ans qui a entamé des démarches pour partir à Montréal. “Si je pars, c’est à cause des politiques. Ils font en sorte qu’il n’y ait plus de médecins libéraux et ça fonctionne. C’est eux qui me font partir” déplore-t-elle.

 

“La CPAM, c’est pire que Big Brother”

Tout comme Manon, ce n’est pas l’argent qui a motivé son départ mais ses conditions d’exercice. “On est surveillé par la CPAM, c’est pire que Big Brother. Dès qu’on n’est pas dans les statistiques par rapport à la moyenne régionale, on se fait remonter les bretelles. L’URSAF m’a envoyé un huissier à cause d’un différend de 50 euros! Si en France, je gagnais le même salaire qu’au Canada, je partirais quand même” estime la jeune généraliste.

Comme elle, ils seraient de plus en plus nombreux à aller chercher mieux ailleurs. “En février dernier, j’ai posté un message sur Facebook pour savoir si d’autres médecins réfléchissaient à quitter le pays. J’ai eu tellement de réponses que j’ai dû créer un groupe Facebook dédié à ce phénomène”, constate Patrick. Un phénomène qui ne semble pas encore inquiéter les pouvoirs publics. “J’ai été voir l’Ordre, l’ARS, le ministère pour les alerter sur la situation démographique. Ils m’ont ri au nez”, désespère Manon.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin