Inciter les professionnels de premier recours à travailler en coordination pour améliorer la prévention et réduire les hospitalisations, voilà l’enjeu des négociations actuelles sur le travail en équipe. Après des mois de discussions houleuses, l’accord n’est plus très loin : la dernière réunion a enfin mis la question du budget sur la table. L’assurance maladie propose un forfait de 40 à 150 euros par patient pour les parcours coordonnés, et un point à 7 euros pour les maisons et pôles de santé.

 

L’accord sur la rémunération du travail en équipe devait être conclu fin juillet. Puis fin septembre. Puis mercredi dernier. Finalement une nouvelle séance est prévue la semaine prochaine. “Nous avons finalisé l’organisation, c’est une étape importante. Mais la question de la rémunération n’a été évoquée qu’en fin de séance”, explique Jean-François Rey, président de l’UNPS. “Frédéric van Roekeghem prend un malin plaisir à laisser les gens parler, et peu avant la fin de la réunion, il nous donne les tableaux de rémunération et nous laisse la semaine pour y réfléchir”.

 

Négociations explosives

Les discussions, avait annoncé Marisol Touraine pleine d’espoir au printemps, devront être terminées avant la fin du mois de juillet pour inclure ces nouvelles mesures dans le budget 2015. Las, nous voilà en octobre, et “on est encore assez loin de la version finale”, glisse Luc Duquesnel, président de l’Unof. Car après que l’assurance maladie et quarante-huit organisations syndicales, regroupant dix-huit professions de santé, aient trouvé un accord, les syndicats devront présenter les textes en assemblée pour les faire valider avant accord définitif. Mais au-delà du nombre de participants et du fond du problème, c’est la forme, à savoir le cadre juridique, qui a cristallisé les tensions durant de longues semaines, jusqu’à la fin juillet. “Il faut dire que les élections pour les unions régionales de professionnels de santé sont l’année prochaine. Il y a beaucoup de jeu politique dans tout ça”, fait remarquer un participant.

Après des mois de négociations explosives, de boycott des réunions et de sorties scandalisées, une issue à la crise a finalement été trouvée. D’une part, un avenant à l’accord cadre interprofessionnel (ACIP) définira les règles communes à l’organisation du travail en équipe, d’autre part, un accord cadre (ACI) permettra d’affiner et de pérenniser les nouveaux modes de rémunération en maison et pôle de santé expérimentés dès 2008. Un compromis qui a finalement permis de pouvoir passer de la forme au fond. Mais là encore la partie est loin d’être jouée.

Alors que le directeur de l’assurance maladie, Frédéric van Roekeghem, termine son mandat le 18 novembre, et aimerait en toute logique que ce dossier soit réglé avant son départ, certains points demeurent en suspens. À commencer par le nerf de la guerre : après plus de six mois de discussions, on commence à peine à parler budget. “C’est simple, si l’enveloppe est ridicule, il n’y aura pas d’accord”, résumait le Dr Rey avant la réunion de mercredi dernier.

Pour sa part, Claude Leicher, le président de MG France, le loup est ailleurs. “L’assurance maladie a-t-elle confiance dans le parcours de soins et le médecin traitant ? Je me pose vraiment la question”, fulmine-t-il. Sa crainte ? Que l’intention de l’assurance maladie soit en fait d’exclure le médecin traitant de la démarche de soins coordonnés pour laisser la part belle à l’hôpital. “Sur onze situations médicales présentées par le directeur de la CNAM, huit sont des retours à domicile après une hospitalisation. Mais la médecine de premier recours ne sert pas seulement à sortir les patients de l’hôpital ! Il s’agit aussi d’éviter les hospitalisations !”

 

“150 euros à se partager en cinq”

En plaçant l’hôpital au centre de l’ACIP, le président de MG France soupçonne Frédéric van Roekeghem de vouloir “installer un réseau de soins régulé par le médecin hospitalier, avec une coordination entre les hospitaliers et les paramédicaux de ville”. Mais l’Assurance maladie a semble-t-il entendu ces craintes en “écrivant noir sur blanc”, comme le souhaitait le Dr Leicher, que le plan personnalisé de soins sera rédigé sous la coupe du médecin traitant.

Dans le cadre de l’ACIP, le plan personnalisé de soins a enfin été acté cette semaine par l’Assurance maladie. Ce dont se félicitent les partenaires. “C’est un socle médical”, souligne Jean-François Rey. D’autre part, l’Assurance maladie a reconnu la nécessité d’une coordination, qui pourra être assurée par n’importe quel professionnel de santé et qui sera rémunéré pour cette tâche.

Concrètement, l’Assurance maladie propose quatre niveaux de rémunération, selon la complexité de la prise en charge du patient. La rémunération à partager entre les professionnels de santé ira donc de 40 euros par patient pour les cas de maternité avec sorties précoces, TSO, AVK, Insuline, chirurgie orthopédique (patients légers), ambulatoire (patients légers), à 150 euros pour les insuffisances cardiaques et AVC en sortie d’hôpital et soins palliatifs. “150 euros à se partager entre au moins cinq professionnels de santé, on sent bien que la revalorisation de la médecine libérale est en marche”, ironise Jean-Paul Hamon, président de la FMF. “Reste à savoir si cette rémunération sera fractionnée, au début et à la fin de la prise en charge comme nous le souhaitons, ou si, comme pour la ROSP, elle sera donnée un an et demi après”, s’inquiète aussi Jean-François Rey.

 

Fin du suspense mercredi prochain

Par ailleurs, les négociations portent aussi sur un accord cadre (ACI) qui ne concernera que les maisons et pôles de santé. Trois prérequis ont été définis. Ils concernent l’accès aux soins, le travail en équipe et le système d’information. Certains critères seront obligatoires : large amplitude horaire, accès à des soins non programmés, fonction d’accueil et de coordination, mise en place de protocoles pluriprofessionnels, un logiciel pluriprofessionnel partagé. D’autres optionnels : consultations de second recours, formation des jeunes… Une partie de la rémunération sera fixe, en fonction des critères respectés. Une autre sera variable, et dépendra du nombre de patient inscrits après de la structure. Ces critères donneront un certain nombre de points qui détermineront le montant de la rémunération.

“La valeur du point a été fixée à 7 euros, précise Luc Duquesnel, président de l’Unof. Maintenant, on va faire nos calculs.” Certaines maisons de santé sont déjà conformes avec les critères obligatoires, pour d’autres c’est plus compliqué, et il faudra financer ce qui manque. “Il y a de nouvelles obligations par rapport à l’expérimentation, il va donc falloir augmenter l’enveloppe. On a alerté le directeur de l’assurance maladie sur ce point !, explique le Dr Duquesnel. Pour embaucher quelqu’un à l’accueil, il faut le budget. Transmettre les documents du DMP, c’est chronophage et ça fonctionne mal. Il faut faire attention aux contraintes. L’assurance maladie doit accepter que certaines choses se fassent progressivement.”

Dans les deux négociations, l’assurance maladie doit avant tout abattre sa dernière carte pour que ces mois de discussions aient une chance d’aboutir : parler financement. Dans un contexte d’économies drastiques, ce ne sera pas le plus simple. Mais l’Ondam de ville (+2,2 %) dépassant de peu celui de l’hôpital pour 2015 (+2 %), les plus optimistes y verront peut-être un bon présage. Fin du suspense mercredi prochain.

 

Ce que prévoit l’Acip

Dans la version actuelle du projet d’avenant à l’Acip, “les signataires s’accordent pour améliorer le service rendu au patient, respecter la pluralité des modes d’organisation des équipes de soins plus ou moins formalisées, valoriser les missions de coordination, en veillant à mettre en place les modalités adaptées de rémunération des professionnels concernés”. Dans un premier temps, la coordination entre professionnels de santé concernera particulièrement trois prises en charge : les pathologies chroniques, les hospitalisations ponctuelles, les soins palliatifs pour les patients qui souhaitent un maintien à domicile. Elle se décline en onze programmes : instauration d’un traitement par anti vitamine K (AVK) ; instauration d’un traitement par insuline : instauration d’un traitement substitutif aux opiacés ; insuffisance cardiaque ; AVC ; BPCO ; plaies chroniques, ulcères de jambe, escarres, plaies diabétiques ; orthopédie ; chirurgie ambulatoire ; maternité : sortie précoce ; soins palliatifs. Concrètement, plusieurs étapes ont été définies. Lorsqu’un professionnel de santé inclut un patient dans une démarche de soins coordonnés, l’assurance maladie est informée du nom et des coordonnées des différents professionnels, et choisit celui qui assurera la fonction de coordinateur. Pour faciliter l’échange d’informations entre professionnels qui n’exercent pas sur le même site, le texte prévoit que les aides à l’informatisation soient conditionnées à l’utilisation de logiciels compatibles avec le DMP et la messagerie sécurisée de santé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier