Pas de printemps pour la prévention ! Et tant pis pour tous les praticiens qui avaient pu croire sur parole Marisol Touraine et François Hollande, lorsque la Ministre de la Santé et le Président de la République ont évoqué par le passé, la grande innovation de la future loi de santé, cette prévention, véritable mur porteur permettant à notre pays d’affronter l’avenir et “tous les défis du 21ème siècle”. Mais c’était hier. Et les contraintes budgétaires de plus en plus dures que le gouvernement a dû affronter depuis un an l’ont obligé à revoir considérablement ses ambitions. Car la prévention a un coût immédiat, pour des bienfaits perceptibles à moyen ou long terme. Or, la crise a déclenché l’état d’urgence budgétaire et l’exécutif a sorti le rabot.

Lorsqu’elle a présenté en grandes pompes la future loi de santé, après son intervention en Conseil des ministres, le 15 octobre dernier, Marisol Touraine, la Ministre de la Santé, est pourtant restée accrochée à de grands principes. Le futur texte sera construit sur trois axes a-t-elle exposé. Le premier : prévenir avant d’avoir à guérir, le second : faciliter la santé au quotidien et enfin le troisième : innover pour consolider l’excellence de notre système de santé.

C’est donc dans cet esprit que les mesures d’ordre législatif du Programme national de lutte contre le tabagisme (PNRT) seront intégrées par amendement, lors du débat parlementaire du projet de loi, annoncé par la Ministre pour le début de l’année 2015.

Au chapitre Prévention, que contient la future loi ? La désignation d’un médecin traitant pour les enfants de 0 à 16 ans, médecin généraliste ou pédiatre. Ce dernier pourra accompagner le jeune pour prévenir l’obésité, améliorer le suivi vaccinal, prévenir le tabagisme, lutter contre l’alcool ou la consommation de drogues, a détaillé la Ministre. “Mais il n’y a pas de consultation de prévention dédiée, protocolisée et dûment identifiée”, relève Luc Duquesnel, le Président de l’UNOF-CSMF. Il note que tous les syndicats qui défendent la médecine générale et ses médecins traitants demandent la mise en place d’une telle consultation annuelle par exemple, devant laquelle les gouvernements reculent systématiquement, du fait de son coût.

Autres dispositions de la future loi : l’amélioration de l’information nutritionnelle, sous forme d’affichage visuel (sur la base du volontariat) sur les produits alimentaires, dont les modalités pratiques seront élaborées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), la sanction à l’incitation des jeunes à la consommation excessive d’alcool, la prévention du tabagisme ciblée sur les moins de 20 ans (disposition issue du PNRT). Autres chapitres : l’incitation à la pratique des tests de dépistages rapides (TROD) et des autotests de dépistage des maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH, l’incitation à la politique de réduction des risques notamment auprès des personnes détenues, l’expérimentation de salles de shoot et aussi la création de l’Institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique, qui regroupera dès 2015, les équipes de l’INPES, de l’InVS et de l’EPRUS.

Quelques autres mesures éparses sont également annoncées : promotion de la santé en milieu scolaire, accès facilité à la contraception d’urgence dans les établissements scolaires du second degré, soutien au service de santé au travail en facilitant, notamment, la collaboration d’un médecin libéral non spécialisé, auprès d’un service de santé au travail, etc.

“Bref, il n’y a pas grand-chose là-dedans”, balaie Luc Duquesnel. Sur un plan médiatique, on réduit la prévention à la vaccination, ce qui est prendre le problème par le tout petit bout de la lorgnette”‘… regrette-t-il. De fait, le projet de loi se propose d’étendre l’autorisation de vacciner aux sages-femmes (entourage des femmes et des nouveau-nés) et aux pharmaciens. Innovations qui font bondir les médecins généralistes, déjà échaudés par l’annonce de la création de prochaines infirmières cliniciennes, qui viendront prendre en charge leurs patients atteints de pathologies chroniques non compliquées (HTA, insuffisance cardiaque, diabète …).

“Ce type de mesures hérisse les professionnels de santé les uns contre les autres, alors qu’on pourrait le faire ensemble”, regrette le patron de l’UNOF-CSMF. Il ajoute que cette absence de politique de prévention dûment identifiée, fait le terreau des anti-vaccins ou de groupes qui sur médiatisent les effets iatrogènes des dépistages, autant de lobbies qui prospèrent sur le net. “La couverture vaccinale baisse, que cela concerne le papillomavirus, ou l’hépatite. Les dépistages du cancer du côlon s’effondrent, les données ne sont pas bonnes pour le cancer du sein”, constate le Dr. Duquesnel.

L’Etat ménage ses priorités et compte ses sous, ce sont tout juste 80 millions d’euros qui ont été mis sur la table par l’assurance maladie pour réaliser la révolution du travail en équipes pluriprofessionnelles. Mais l’Etat n’hésite pas d’un autre côté à signer un chèque de 80 millions pour financer la mise en place des cinq futurs territoires numériques, “de l’avis général, de l’argent fichu par la fenêtre, en pure perte”, grince le patron de l’UNOF-CSMF.

En un mot, la future loi de santé en qui bien des praticiens mettaient de l’espoir est en train de décevoir jusqu’à ses partisans de la première heure. “Pour la prévention, c’est clairement un rendez-vous manqué, souligne Luc Duquesnel, farouche opposant au projet Touraine. Les médecins généralistes ont l’impression qu’on détruit leur métier. C’est simple, les jeunes médecins sont dépités. Quand je les rencontre, beaucoup me disent que ce qui est en train de se passer est vraiment moche”.