Depuis de longs mois le projet de loi de santé de Marisol Touraine occupait toutes les discussions : voici que la future loi vient d’être présentée au Conseil des ministres. Elle met en place le tiers-payant pour tous, instaure un service territorial de santé au public, territorialise le système de santé sous la coupe des ARS omnipuissantes y compris en matière de PDSa et réforme la politique conventionnelle. Il devrait être débattu en début d’année prochaine, au Parlement.

 

Le projet de texte se donne l’ambition de mettre en pratique la Stratégie nationale de santé présentée voici près de deux ans par le Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault. Et dès les premières fuites, il a eu le triste privilège de hérisser contre lui, pratiquement tous les professionnels de santé, de ne soulever qu’un faible enthousiasme du côté des patients et usagers de santé. Et d’inciter les parlementaires de tous bords à montrer au gouvernement de quel bois ils se chauffent, lorsque sera venue l’heure du débat dans les hémicycles. Soit, en théorie, en début d’année prochaine.

Les mesures récemment présentées par le gouvernement dans le cadre du plan de lutte contre le tabagisme (paquet neutre, e-cigarettes), seront intégrées au projet de loi, également sous forme d’amendements.

“Les Français sont affectivement attaché à leur système de santé, il participe du contrat social. Mais il doit être prêt à affronter les défis du 21ème siècle. Les médecins libéraux ont besoin d’être reconnus, l’hôpital public doit être soutenu. Chaque Français doit être mieux informé, épaulé, accompagné”, a développé ce matin la ministre en conférence de presse. Elle a ensuite expliqué que le texte se découpait en trois volets principaux : la prévention, l’amélioration de la santé au quotidien, et l’innovation pour préserver l’excellence. Selon les propos de Marisol Touraine, le projet “sera soumis au débat, et donc susceptible d’ajouts, précisions et évolutions d’origine parlementaire”.

 

La prévention

Dans ce chapitre, se range la possibilité de choisir un médecin traitant de l’enfant : pédiatre ou médecin généraliste. Autre axe : la promotion de modes de vie sains, ciblant la consommation de tabac, d’alcool, l’obésité et le diabète.

“L’attention sera portée sur la jeunesse, car il faut protéger les jeunes de l’alcool”, a commenté Marisol Touraine.

Egalement au programme de ce chapitre : l’étiquetage nutritionnel, facultatif, sous forme de logo agréé par le ministère ; la répression de l’incitation à l’ivresse et au binge drinking, y compris sur internet ; la prévention des risques à destination des toxicomanes (salles de shoot, dépistage VIH et MST) ; et la création d’un Institut de prévention, de veille et d’intervention en santé publique regroupant les actuels INPES, InVS et EPRUS (situation d’urgence).

 

La santé au quotidien

C’est ici que se loge la proposition très controversée de mise en place du tiers-payant généralisé et obligatoire pour tous : “une mesure de simplicité, d’efficacité et de justice qui existe déjà à l’hôpital, dans les cliniques privées, dans les laboratoires de biologie et dans les pharmacies. C’est aussi un gage d’efficacité pour les usagers, cela doit être le plus simple possible”, a tenu à souligner la ministre de la Santé.

Sous la houlette de la Caisse nationale d’assurance maladie, le tiers-payant se mettra en place en deux étapes : au 1er juillet 2015, pour les patients titulaires de l’ACS (aide complémentaire santé). Et d’ici 2017, pour tous.

Les tarifs sociaux pour les lunettes, les prothèses auditives et les soins dentaires seront proposés aux titulaires de l’ACS, soit un million de personnes de plus que les actuels titulaires de la CMU.

Le texte veut par ailleurs mettre en place un numéro d’appel national pour joindre un médecin de garde, aux heures de fermeture du cabinet. Il s’agira d’un numéro d’appel harmonisé sur tout le territoire, “facilement mémorisable”, connecté avec le 15.

Le ministère veut enfin mettre en place un service public d’information en santé, qui permettra aux usagers de mieux s’orienter dans le système de santé et élargira à toutes sortes de services liés aux soins, les dispositions actuellement consultables par le public pour les médicaments.

Et pour finir, le texte veut autoriser les associations d’usagers du système de santé à mener des “class actions”, des actions de groupe pour faire reconnaître la responsabilité dans la survenue de dommages corporels occasionnés par une même cause. A l’issue de la procédure collective, les indemnisations resteront déterminées de manière individuelle en fonction du préjudice réel de chacun.

D’autres dispositions qui n’ont pas été détaillées, permettront de lutter contre les refus de soins, ou d’informer notamment le patient du coût de son hospitalisation.

 

L’innovation

Le troisième et dernier grand chapitre du projet de loi s’attaque à l’innovation, “qui doit permettre de consolider l’excellence de notre système de santé”.

On trouve de tout dans ce chapitre, à commencer par la “refondation du service public hospitalier”, “profondément désorganisé par la loi Hôpital, patients, santé et territoire” de Roselyne Bachelot. Cette réaffirmation prend la forme d’une définition du service public hospitalier en “bloc” et des obligations qui lui sont liées.

La coopération entre hôpitaux publics sera dynamisée par le déploiement de groupements hospitaliers de territoire, permettant à des hôpitaux proches d’élaborer un projet médical commun et de partager des missions ou des fonctions support. La place des cliniques dans cet ensemble n’a pas été développée, mais l’obligation de pratiquer des honoraires en secteur 1 pour participer à ce service public, fait d’ores et déjà large débat.

Pour mettre en place cette réorganisation, le projet de loi instaure le Service territorial de santé au public (STSP), basé sur une structuration territoriale de l’offre de santé et concernant au moins cinq domaines : les soins de proximité, la permanence des soins, la prévention, la santé mentale et l’accès aux soins des personnes handicapées. Ce chapitre hérisse les professionnels libéraux, qui redoutent de passer sous la coupe des ARS, qui aura tout pouvoir sur eux y compris en matière de liberté d’installation.

Mais pour la ministre, ce seront les acteurs concernés, en premier lieu les acteurs de soins de premier recours, qui proposeront aux ARS des organisations pertinentes, tenant compte des expérimentations de terrain. Les ARS auront effectivement de larges pouvoirs : octroi des autorisations, contrats d’objectifs et de moyens, aides à l’installation des professionnels libéraux, mobilisation du fonds d’intervention régional, déploiement de plateformes territoriales d’appui, pour favoriser la prise en charge de patients complexes.

Pour permettre un meilleur suivi du patient dans le parcours de soins, le gouvernement relance le DMP, et le place entre les mains de l’Assurance maladie, “qui aura la responsabilité de le déployer”. Il sera accessible au patient, qui aura un droit de masquage des informations. Par ailleurs, la remise d’une lettre de liaison entre l’hôpital et la ville sera rendue obligatoire.

Pour mieux prendre en charge les patients complexes, le projet de texte crée une nouvelle fonction : l’infirmier clinicien, lui aussi très critiqué par les syndicats de médecins généralistes, tant il entre directement en concurrence avec leur fonction. De fait, il pourra formuler un diagnostic, établir une prescription, participer à des activités de prévention dans le cadre d’une prise en charge pluridisciplinaire.

Autre sujet qui fâche les généralistes libéraux : les compétences de certains professionnels de santé seront étendues. Ainsi, les sages-femmes pourront vacciner l’entourage des femmes et des nouveau-nés et pourront réaliser des IVG médicamenteuses, les pharmaciens pourront pratiquer la vaccination et les médecins du travail, sages-femmes et infirmiers pourront prescrire des substituts nicotiniques.

Enfin, le ministère veut améliorer l’accès aux données de santé, en définissant les critères qui doivent être remplis par les porteurs de projet, pour accéder aux banques de données sécurisées de l’assurance maladie, des hôpitaux et cliniques ou de l’INSEE.

Il reste également plusieurs chapitres, donc certains potentiellement conflictuels, dans le projet de loi.

La future loi veut ainsi revoir le fonctionnement du DPC, encadrer l’intérim à l’hôpital, repenser les relations entre l’assurance maladie et l’Etat. Le projet de loi permet à l’Etat de définir ses attentes en amont d’une négociation conventionnelle et introduit une plus grande territorialisation de la politique conventionnelle. Les centrales syndicales nationales sont sur le qui-vive.

Il se donne également l’objectif de renforcer l’animation territoriale conduite par les ARS, renforcer la sécurité sanitaire par une meilleure gestion des ruptures d’approvisionnement en produits de santé et renforcer le dialogue social, par la création d’un Conseil supérieur des personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques, et modernisation de la gouvernance interne des établissements de santé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne