Médecin en soins palliatifs en Belgique, le Dr Corinne Van Oost vient de publier un livre intitulé Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie. Un ouvrage dans lequel elle témoigne de son quotidien de médecin dans un pays où l’aide à mourir est dépénalisée.

A lire : un extrait du livre de Corinne Van Oost Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie.
 

 

Egora.fr : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Corinne Van Oost : J’avais rencontré une journaliste française qui était intéressée par le sujet et qui avait essayé de publier cet entretien dans un journal catholique français. Mais la publication de l’interview avait été refusée parce que les Français ont du mal avec cette question de l’euthanasie telle qu’elle est faite en Belgique. J’avais été un peu choquée.

Quand je participais à des congrès internationaux de soins palliatifs, entre autres en France, ce qui était rapporté de la situation en Belgique ne me semblait pas correspondre à la réalité. Ce qui nous motivait, nous, médecins, à accéder à la demande d’euthanasie n’était pas pris en compte par les praticiens français. Notre pratique était déformée. J’ai donc, au travers de ce livre, voulu rétablir la vérité et expliquer ce qui se passe dans le cadre des soins palliatifs à l’approche de la demande d’euthanasie des patients.

Ce livre m’a aussi permis d’expliciter ma démarche. Comment, moi médecin de soins palliatifs, au départ contre la dépénalisation de l’euthanasie, j’en suis arrivée à accompagner les patients et parfois à pratiquer l’euthanasie. Je voulais que ma démarche soit compréhensible pour mes collègues médecins, qu’ils soient ou non en soins palliatifs.

Je tenais enfin à insister sur le fait que si on prend en charge correctement des patients qui sont en fin de vie et en demande d’euthanasie, la grande majorité d’entre eux ne demandent plus cette possibilité ultime.

 

Vous titrez votre livre, Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie. Le monde catholique est fermé sur cette question. Cet ouvrage est-il un moyen de vous justifier ?

Tout d’abord, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de ce titre mais l’éditeur ! J’avais proposé d’autres titres comme “Les soins palliatifs au risque de l’euthanasie”, mais l’éditeur a souhaité insister sur le fait que j’étais catholique et que je pratique l’euthanasie, ce qui est vrai en soi mais qui ne me semblait pas l’angle de vue le plus essentiel.

 

Il y a quand même un paradoxe…

Il y a effectivement un paradoxe au sens où l’église catholique donne comme principe qu’il y a d’autres solutions à proposer pour écouter la souffrance et en venir à bout que de tuer la personne. Je suis d’accord avec ça. On doit proposer tout ce qu’on peut pour soulager la personne. Ce que j’explique, c’est que je n’accède à la demande d’euthanasie que lorsque j’ai tout proposé avec les équipes de soins palliatifs.

Il y a certaines personnes dans l’église catholique, en particulier le Père Ringlet avec qui je travaille, qui sont prêt à nous aider, nous médecins confrontés à des demandes d’euthanasie qui persistent malgré tout. Là où on diffère le plus dans le concret du travail, c’est que d’autres médecins catholiques, confrontés à une demande d’euthanasie proposent la sédation. Ce qui est aussi la réponse des médecins de soins palliatifs français.

 

Dans le livre vous dites ne pas être pour cette option de sédation, qui selon vous n’est pas préférable à une euthanasie…

J’explique pourquoi en tant que médecin, et d’autant plus médecin catholique, je ne suis pas à l’aise face à cette proposition-là. Si la personne accepte la sédation parce que ça lui est égal de dormir, alors je le fais. Je propose toujours la sédation aux personnes qui persistent dans leur demande d’euthanasie. Je ne suis pas à l’aise avec cela lorsque cette solution est imposée à quelqu’un qui ne demande pas ça. En France aujourd’hui, les équipes de soins palliatifs n’ont pas d’autres solutions, donc ils sont évidemment coincés. Mais en Belgique où nous avons d’autres choix, je ne trouve pas ça très honnête vis-à-vis du patient. Ce qui me dérange, c’est lorsqu’on dit qu’éthiquement ou moralement, il ne faut pas tuer.

 

Les médecins sont pourtant nombreux à dire qu’ils ne font pas ce métier pour tuer. Que leur répondez-vous ?

Je leur dis que de toutes façons, ce n’est pas nous qui tuons, mais la maladie. Les patients qui demandent l’euthanasie et qui y ont droit en Belgique sont malades. Personne n’aime tuer. Les soldats envoyés en Irak qui ont dû larguer des bombes sur les combattants de l’Etat islamique, je pense qu’eux non plus ne veulent pas tuer. Ceux qui font la guerre veulent d’abord défendre leur liberté. L’euthanasie existe depuis la nuit des temps. Lorsque l’on ne sait pas soulager mais que l’on sait que la personne va mourir, on lui donne le coup de grâce, comme c’est dit dans les armées.

Mon souci n’est pas de tuer mais de soulager la personne. Si j’ai une autre solution à proposer à la personne, tant mieux mais sachant que la maladie va la tuer dans un délai relativement proche, de quelques jours à quelques mois, et que cette vie ne lui parait pas supportable, je trouve que ce n’est pas correct de dire que l’on n’est pas là pour tuer. Les médecins, comme le dit le serment d’Hippocrate, sont là pour soulager. Je reconnais que je tue mais que je n’ai pas d’autres solutions. Ma position, comme celle de tous les médecins est de tout faire pour soulager autrement.

La seule différence, c’est qu’avant, on le faisait de façon cachée pour ne pas se retrouver au tribunal à expliquer notre acte. J’ai toujours pris mes responsabilités en tant que médecin. C’est ce qui m’est arrivé avec une patiente. Avant la loi, quand il m’a semblé en mon âme et conscience qu’il n’y avait pas d’autre solution pour la soulager que de pratiquer l’euthanasie, je me suis arrangé avec son médecin traitant et les soignants du domicile pour le faire sans nous mettre en danger sur le plan légal. Beaucoup de médecins l’ont déjà fait lorsque cela leur a semblé juste.

Dans tous les pays où l’euthanasie est dépénalisée, les médecins ont milité pour développer les soins palliatifs avant de dépénaliser l’euthanasie. La réponse en Belgique a été les deux à la fois. Mon livre n’est pas un plaidoyer pour l’euthanasie mais un témoignage sur ce qui se passe dans un pays qui a dépénalisé l’euthanasie dans des conditions très strictes.

 

Dans le livre vous refusez d’être associée à l’association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Pourquoi ?

Je ne suis pas une militante de l’ADMD, je suis un médecin. Les militants de l’ADMD sont des personnes qui sont pour la plupart du grand public ou des juristes qui se battent pour le droit à l’euthanasie. Mon rôle de médecin n’est pas de changer les lois mais de soulager le patient sans l’abandonner et sans me défiler lorsque je n’arrive pas à le faire dans le cadre des soins palliatifs. L’ADMD travaille pour faire changer les lois et faire respecter le citoyen et ses droits. Mon travail à moi est de respecter le droit individuel du patient.

 

Comment jugez-vous la loi Leonetti ?

Je pense que mes confrères français ont le même problème que nous par rapport à la loi sur l’euthanasie, c’est-à-dire qu’elle est mal connue et donc mal appliquée. Je pense comme les Français, qu’il faut commencer à bien appliquer la loi Leonetti.

A cause de l’évolution philosophique de nos sociétés, ce n’est plus le médecin qui a le pouvoir mais le patient qui doit consentir aux soins qui lui sont proposés. On est dans des changements de société qui sont inscrits dans les lois mais qui doivent passer dans la société et je pense que les Belges pour cela ont plus de pragmatisme que les Français.

 

Des détenus belges demandent à être euthanasiés, comment jugez-vous cela ?

Je le juge comme l’a fait la commission fédérale de contrôle quand on lui a demandé son avis. C’est une commission, composée de médecins, de juristes, de philosophes et autres, qui contrôle la loi sur l’euthanasie. Ils avaient dit que cette demande n’entrait pas dans le cadre de la loi puisqu’il faut, avant d’accéder à la demande, avoir essayé tous les traitements possibles, ce qui n’était pas le cas.

La personne qui a tranché n’était pas un médecin mais le ministère de la Justice qui a dit que pour des raisons de non disposition du traitement, on entrait dans le cadre de la loi.

C’est une dérive, à savoir une application de la loi qui n’était pas prévue au départ. Pour moi, ce n’est pas juste, mais il m’est difficile de juger à la place de mes collègues psychiatres.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin