Chaque année, des centaines de couples homosexuels choisissent de réaliser une insémination artificielle avec donneur (IAD) à l’étranger. Ils sont alors pris en charge selon la réglementation du pays hôte. Reportage au sein de la clinique de la fertilité de l’hôpital Érasme, de Bruxelles.
Jamila Biramane, biologiste au sein de la clinique de la fertilité de l’hôpital Érasme de Bruxelles, a bien conscience de la solennité de l’instant lorsqu’elle prépare dans une longue pipette de verre l’ovocyte, fécondé quarante-huit heures plus tôt et destiné à être inséminé quelques minutes plus tard dans l’utérus d’une patiente. “Nous ne voyons jamais les patients, explique la professionnelle. Mais nous avons vraiment le sentiment de participer à quelque chose de très important dans leur vie.”
Parmi les patients du service de procréation médicale assistée (PMA) du grand hôpital universitaire bruxellois au sein duquel sont réalisées chaque année près de mille IAD, des Belges bien sûr mais aussi 20% de Français. Parmi eux, “des couples de lesbiennes et des femmes seules”, expose la Pr Anne Delbaere, chef de service. Mais pas seulement. “Du fait d’une insuffisance ovarienne prématurée diagnostiquée à 30 ans, mon mari et moi n’avons pas eu d’autre choix que de nous tourner vers la PMA avec don d’ovocytes, relate Thérèse, une universitaire parisienne de 36 ans. En Belgique, il est possible de recevoir les ovocytes d’une donneuse choisie par le couple receveur, en l’occurrence ma soeur.”
Achat de sperme au Danemark
Belgique mais aussi Pays-Bas, Espagne, Angleterre… nombreux sont les pays d’Europe dotés d’une législation différente de celle en vigueur dans l’Hexagone et qui permet notamment à des couples homosexuels d’accéder à la PMA. Conséquence : plusieurs centaines de personnes choisissent chaque année de réaliser une PMA à l’étranger, à en croire des estimations de l’Académie de médecine et des associations militantes. Le phénomène n’est pas nouveau : en 2001, devant l’afflux de patients, la clinique de la fertilité a même dû mettre le holà. Les prises en charge des patientes françaises sont alors limitées à deux par semaine. L’enjeu : s’assurer que les conditions sont réunies pour répondre a minima à la demande locale.
Un objectif pas si évident : le nombre de donneurs de sperme en Belgique est faible. En conséquence, le royaume n’interdisant pas le commerce de matériel humain, l’hôpital achète depuis plusieurs années du sperme au Danemark. “Quand j’ai vu les difficultés rencontrées par les homosexuels en France pour fonder une famille, j’ai décidé en 2013 d’augmenter notre capacité de prise en charge”, confie la Pr Delbaere.
Aujourd’hui, plus de quota spécifique aux patients étrangers. “J’ai été interpellée lorsque, pour la première fois, des patientes homosexuelles sont venues me voir en consultation. En discutant avec elles, je me suis aperçue que leur projet était mûrement réfléchi.”
De fait, les personnes qui sollicitent une prise en charge auprès de l’hôpital Erasme doivent obligatoirement avoir un entretien avec les soignants, dont l’un avec une psychologue. “L’échange dure au minimum deux heures, même si parfois nous savons très vite que nous allons refuser l’IAD”, explique la Pr Delbaere. Les cas des jeunes femmes de moins de 30 ans qui veulent faire un enfant seules notamment. On leur donne le conseil de faire un travail sur elle-même pour comprendre pourquoi elles ne veulent pas laisser de place à un homme dans leur vie. “En tant que soignant, nous avons une responsabilité très particulière : notre décision peut avoir des conséquences sur un être qui n’est pas encore né”, argumente la professeur.
2000 euros l’IAD
Pour les patients étrangers, ce projet de procréation a un coût : en moyenne, une insémination réussie coûte 2000 euros. Une somme à laquelle il faut ajouter le prix du logement et du déplacement. “Des journaux belges et français ont parfois titré sur le business du sperme et des ovocytes. Cela m’a extrêmement choquée : nous sommes des salariés d’un hôpital qui a une vocation de service public. Qu’importe le nombre d’interventions, nous sommes toujours payés le même prix. Ce qui compte pour nous ce sont les patients et leurs projets de vie.”
Mais tous les établissements européens accueillant des ressortissants de l’UE ou d’ailleurs ont-ils la même démarche éthique ?
“Majoritairement, les médecins aident les femmes dans leur projet parental”
2 questions au Pr Pierre Jouannet, professeur émérite à l’Université Paris-Descartes, obstétricien précurseur dans la biologie de la reproduction, coauteur d’une étude menée par l’Académie de médecine sur l’IAD publiée en avril 2014.
Egora : Quelles sont les principales conclusions de l’étude de l’Académie de médecine ?
Pr Pierre Jouannet : Première conclusion : le lien entre le mariage des couples de même sexe et l’assistance médicale à la procréation [AMP] n’est fait qu’en France, à l’inverse des pays où ces techniques sont accessibles aux homosexuel(es)s et aux femmes seules. Deuxième conclusion : en France, la pratique de l’AMP n’est autorisée que sur indication médicale (stérilité, risque de transmission d’une pathologie). Ouvrir l’AMP aux femmes seules ou homosexuelles serait un changement radical de philosophie, mais il n’y a pas de contre-indication médicale. Dès lors, l’évolution ou non du contexte d’intervention de l’AMP doit relever d’une décision de la société. Troisième apport : tout indique que les femmes seules et les couples de femmes se rendent de plus en plus souvent à l’étranger pour une insémination avec don de sperme.
Comment les choses se passent-elles en pratique en France ?
Nous avons cherché à en savoir plus sur le suivi de ces personnes par les médecins français. Un questionnaire a été diffusé avec l’aide d’organisations professionnelles, et 270 réponses ont été reçues. Pour les années 2011 et 2012, 191 médecins ont déclaré avoir été consultés par 1 040 couples de femmes. Plus d’un tiers des médecins ont vu des femmes souhaitant procréer naturellement, et près de la moitié des femmes qui souhaitaient procéder par auto-insémination d’un donneur connu. Enfin, presque tous les médecins ont été sollicités par des patientes qui optaient pour une insémination artificielle avec don de sperme réalisée à l’étranger. La majorité des médecins ont répondu favorablement et ont aidé ces femmes à mener à bien leur projet parental.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Nicolas Narcy
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