Le président de la Mutualité française, Etienne Caniard, rebondit sur la journée de mobilisation des professionnels libéraux pour défendre les réformes de notre système de soins et appeler à la refonte de la convention médicale, qui ne répond plus à ses yeux, ni à l’accès aux soins, ni à la régulation du système, ni à une politique de revenus.

 

Egora.fr : Les professionnels de santé libéraux ont observé une grève très suivie pour protester contre le projet de déréglementation de leurs professions, initié par le ministre de l’Economie Emmanuel Macron. Comment jugez-vous ce mouvement ?

Etienne Caniard : Beaucoup de professions sont mobilisées contre des projets de réforme sur lesquels la Mutualité n’a pas forcément légitimité pour se prononcer, je pense aux huissiers ou aux notaires. Mais si l’on prend le cas de la pharmacie, on voit bien que le véritable débat n’est pas celui du monopole des pharmacies, mais bien celui du rôle des pharmaciens dans le système de santé. Dans les derniers textes législatifs, nous avons noté beaucoup d’avancées que nous avons accompagnées de nos vœux, sur les coopérations professionnelles, sur le rôle de conseil des pharmaciens, sur l’éventualité d’un rôle dans la vaccination. Ce sont des éléments qui, s’ils étaient adoptés, contribueraient à maintenir l’implantation actuelle des officines. Je pense qu’aujourd’hui, une fois de plus, la mobilisation vient d’un mouvement de balancier excessif. L’absence de réformes pendant trop longtemps de certaines professions, conduit à les mettre en cause et les présenter comme des situations de rente. Ce qui, au sens économique, n’est pas le cas pour la quasi-totalité des professions visées. Mais ce refus de se réformer conduit à ce genre de comportement. J’espère que cette journée va être l’occasion pour chacun de prendre conscience qu’il faut accompagner les réformes, prendre ses responsabilités. Et pour les pouvoirs publics, de faire confiance aux acteurs pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle.

 

Cela risque d’être compliqué. On a parlé de 6 milliards d’économies induits par la dérégulation, il y a eu des maladresses de parole…

Oui, des maladresses. Mais on voit bien qu’aujourd’hui, les enjeux sont tels qu’il va falloir passer par-dessus les problèmes de susceptibilité pour s’intéresser aux problèmes de fond.

 

Dans ce projet “Macron”, la déréglementation toucherait les médecins ophtalmologistes, amenés à partager leur champ d’activité avec les opticiens et les optométristes. La Mutualité défend-elle cette évolution ?

Notre position est très claire. Pour nous, la question de la santé visuelle doit être prise dans son ensemble. Nous allons réunir dans les prochaines semaines, des Etats généraux de la vision pour essayer de mettre autour de la table tous les professionnels. Il ne s’agit pas de retirer une compétence à un professionnel, mais de se demander si elle ne peut pas être mieux exercée dans des conditions différentes pour mieux répondre aux besoins des Français. Aujourd’hui, il y a des Français qui ne vont ni chez l’ophtalmo ni chez l’opticien, mais qui s’achètent des loupes car ils n’ont pas les moyens d’avoir des lunettes adaptées à leur vue. Il faut là encore faire preuve de réalisme : les coopérations professionnelles sont un chantier majeur de notre système de santé. Regardons tout le champ du possible avec un seul objectif : faciliter l’accès aux soins des Français pour que la vision soit corrigée dans tous les cas.

 

Dans un cadre de réseaux de soins ?

Tout est possible, arrêtons de diaboliser les réseaux. Ils ne sont que le résultat d’une contractualisation entre professionnels et financeurs. Certains professionnels se disent qu’ils vont se trouver sous la coupe réglée des financeurs. Mais les ophtalmos sont issus d’une profession dont la démographie est préoccupante. Qui peut prétendre, lorsque l’offre est insuffisante, que le financeur peut contraindre le professionnel ? C’est l’inverse qui se passe. Il faut que les Français puissent se soigner.

 

La Cour des comptes vient de critiquer sévèrement le fonctionnement du système conventionnel. La Mutualité également, n’est pas en reste sur ce sujet. Quels sont, selon vous, les points les plus critiques et comment faudrait-il réformer le système pour le rendre plus performant, à vos yeux ?

D’abord, il faut sortir d’une convention nationale unique, avec une valeur de consultation identique pour tous les médecins, quelles que soient les conditions dans lesquelles ils exercent et la qualité de leurs prestations. Ensuite, il faut fixer des objectifs à la convention : l’accès aux soins, la régulation du système, une politique de revenus des professionnels de santé ? Elle ne répond aujourd’hui, à aucun de ces trois objectifs. Les professionnels se plaignent de la politique des revenus, en se focalisant sur la valeur du C et en oubliant la progression d’autres sources de revenus pour certaines spécialités. Mais en même temps, on a accentué la différence entre spécialités et à l’intérieur même des professions. Nous avons l’un des systèmes les plus hétérogènes qui soit.

Ensuite, il faut savoir si la convention doit contribuer à réguler le système. Ma réponse est plutôt oui. Arrêtons d’avoir une vision unique du système de santé et à cet égard, l’évolution prévue dans la future loi de santé de déclinaisons régionales à la main des négociateurs nationaux, me paraît être une bonne mesure. Enfin, il est temps que les conventions reviennent à un objectif assez simple qui est d’être au service des patients. Elles doivent aussi permettre de maîtriser les tarifs ou au moins de les rendre opposables pour que les assureurs puissent rembourser et diminuer le reste à charge des patients. Aujourd’hui, un assureur ne connait pas le montant d’une consultation, puisqu’on est dans un système de liberté des honoraires. Il ne peut donc pas garantir un niveau de prise en charge. Il faut que tout le monde se mette autour de la table pour redéfinir ce que doit être l’objectif d’une convention.

 

Vous êtes très critique vis-à-vis de l’avenant N° 8 réformant la pratique des honoraires libres. Vous dites que les économies effectuées sont minimes et que les médecins qui demandent des dépassements excessifs, ne sont pratiquement jamais poursuivis et sanctionnés…

Je pense que l’avenant N° 8 n’est pas suffisamment développé. Aujourd’hui, il n’y a qu’un tiers des médecins qui sont dans cet avenant, dont une partie de chirurgiens de secteur 1 , embarqués dans ce train au passage. Ce qui est important pour nous, c’est que l’avenant N° 8 concrétise l’engagement de médecins responsables qui décident de transformer leurs dépassements en tarifs opposables à chaque revalorisation de tarifs. Malheureusement, le gouvernement y a renoncé dès le départ, et ces revalorisations n’ont pas eu lieu. Donc, les médecins ont eu l’impression qu’il s’agissait d’un marché de dupes. Et du coup cela freine l’adhésion au contrat d’accès aux soins. Quant aux mutuelles, qui préfèreraient cent fois, rembourser les dépassements des médecins qui s’engagent dans cette régulation, elles ne peuvent pas le faire, car les médecins engagés ne sont pas assez nombreux.

Il faut se souvenir que l’ensemble des complémentaires et la Mutualité ont décidé de mettre sur la table 150 millions d’euros par an pendant trois ans pour revaloriser les tarifs opposables, et que les pouvoirs publics ont refusé cette proposition pour lui préférer une forme de taxation nouvelle incombant aux complémentaires, pour financer la rémunération forfaitaire du médecin traitant, sans dire d’ailleurs aux médecins qui leur versait cet argent.

 

La Mutualité est très critiquée pour l’opacité de ses frais de gestion, que l’on décrit comme excessifs. Que répondez-vous à ces critiques ?

Je ne comprends pas cette question. Les frais de gestion des mutuelles sont absolument transparents, plus encore que n’importe quelle entité puisqu’il y a les assemblées générales au cours desquelles ils sont totalement mis sur la table et votés par les participants. Quelle autre structure a l’obligation de publier ses frais de gestion ? Demande-t-on cela à un médecin ?

 

C’est fait ? Vous aviez obtenu un délai du gouvernement.

C’est en place depuis début 2014. Nous n’avons rien différé, nous avions simplement besoin de définir ces frais de gestion. Je prends un exemple très simple : dans les frais de gestion, figure la prise en charge du tiers-payant, s’agit-il d’un service rendu aux assurés ou non ? Nous avons eu ce genre d’interrogation. Et cessons de faire une comparaison avec l’assurance maladie, un régime obligatoire qui n’a pas de frais d’acquisition ni de recouvrement puisque c’est l’ACOSS qui le fait, et qui ne supporte pas non plus de frais de versement de prestations hospitalières.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne