Doc Arnica est une médecin généraliste installée à Strasbourg. Elle est également blogueuse*. Non syndiquée, la praticienne a décidé de faire grève pour la première fois aujourd’hui. Elle nous explique pourquoi.

 

Egora.fr : Vous participez aujourd’hui à votre première grève. Pourquoi ?

Doc Arnica : Oui c’est la première fois en 20 ans que je fais grève. Dans le principe, la grève pour un libéral n’embête que lui-même puisqu’il n’a pas de patron. Cela nous fait perdre des sous et gène nos patients.

La réforme de santé, telle qu’elle est prévue, me déplait beaucoup. Cette fois ci, il y a un mouvement très général, qui pourrait paraître cacophonique, mais c’est toujours mieux de manifester lorsque l’on est beaucoup. D’autant que les médecins tous seuls, ça fait très vite “les nantis se plaignent” !

 

Quelle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

Ce n’est plus une goutte mais des torrents ! Ça fait 20 ans que je suis installée et je vois notre rôle de médecin généraliste se réduire comme peau de chagrin. C’est dommage parce que cela enlève l’intérêt de notre métier qui est un job génial. Je suis maitre de stage pour des internes qui vont devenir généralistes et la plupart me disent qu’ils n’ont pas envie de s’installer. Je les comprends. C’est regrettable parce j’essaye de leur donner envie de s’installer mais ils m’expliquent que financièrement, c’est trop dur, qu’il y a trop de contraintes, qu’il faut lever le doigt pour demander l’autorisation de prescrire tel ou tel médicament…

L’autre raison qui me pousse à faire grève est que l’on veuille nous obliger à faire du tiers-payant généralisé. Etant installée en Alsace, je suis habituée au tiers-payant depuis toujours, car ici c’est la règle. Dans le régime Alsace-Lorraine, les patients sont pris en charge à 90% par la sécurité sociale. Très souvent les médecins pratiquent le tiers-payant sur la part sécu, donc les patients ne payent que 2,30 euros en sortant du cabinet. Mais déjà ça, ce n’est pas évident à gérer pour les praticiens. Et le pire est de récupérer les fameux 2,30 euros de la part des mutuelles. C’est toujours la croix et la bannière.

Nous avons déjà des consultations à 23 euros qui est un des prix les plus bas d’Europe, je n’ai pas envie de m’embêter à perdre mon temps pour faire de la compta. J’ai choisi ce métier pour faire de la médecine et non de la comptabilité.

On est en train de vendre la médecine aux mutuelles. Les mutuelles vont décider de ce qui est remboursé ou non parce qu’elles ont le marché en main. Plus la sécurité sociale refuse d’augmenter le tarif des soignants, plus les mutuelles vont avoir le pouvoir de décider de ce qu’elles veulent. Les gens sont obligés de prendre une mutuelle, du coup on est pieds et poings liés avec les complémentaires. Etant de gauche, je suis assez sidéré que le parti socialiste soit à l’origine de tout cela.

 

Qu’attendez-vous du gouvernement, suite à cette grève ?

J’attends qu’ils entendent les gens qui travaillent sur le terrain et qu’ils ne fassent pas des projets qui sont en dehors des problèmes. Les patients n’ont pas besoin de ça. Lorsque les patients ont une CMU, ils ne payent rien. Pour ceux qui ont des problèmes d’argent, je ne connais pas un seul confrère qui n’accepte pas le tiers-payant. Je ne pense pas que la généralisation du tiers-payant soit une priorité.

Le gouvernement ferait mieux de voir comment mieux rembourser les soins coûteux, de s’occuper à ce que les gens puissent avoir des lunettes sans que ce soit les mutuelles qui décident et fassent payer des prix fous. Idem pour les appareils auditifs…

Nous avons des besoins de santé qui ne sont pas du tout remplis alors que le gouvernement s’excite sur des choses peu importantes. C’est vraiment de la poudre aux yeux et c’est vraiment pénible. Aujourd’hui en France, si on n’a pas une mutuelle qui coûte la peau des fesses, plein de soins sont mal remboursés parce que les tarifs sont sous-évalués.

A 23 euros la consultation, je ne gueule pas parce que je ne gagne pas bien ma vie mais parce qu’il faut que je bosse 12h par jour pour la gagner. Ce n’est pas normal. Je prends du temps pour mes patients mais j’ai des collègues qui en sont arrivés à faire des consultations de 5 minutes. A quoi bon s’embêter plus pour 23 euros estiment-ils.

La manière de faire me dépasse. D’autant que les rémunérations complémentaires données aux médecins deviennent hyper compliquées. Il faut remplir tel ou tel critère. Résultat on fait beaucoup de compta alors que ce n’est pas notre métier.

 

Seriez-vous prête à aller au-delà de cette journée de grève ?

J’ai déjà participé au mouvement des médecins blogueurs à la rencontre de Marisol Touraine. Cela n’a servi à rien. Rien n’a été retenu. Nous avons fait un gros mouvement pour rien. Nous avons été méprisés.

Aujourd’hui, plein de catégories socio-professionnelles râlent pour les mêmes problèmes. Etre libéral, c’est vachement bien mais c’est devenu un tel carcan que plus personne n’en a envie. Mes internes me disent qu’ils veulent trouver un job de 35 heures payé 4 000 euros. Le problème c’est que les patients vont se retrouver avec de moins en moins de généralistes, ce qui est déjà le cas.

Ils réduisent le numerus clausus mais ils veulent ouvrir la filière de médecine à des étudiants d’autres filières parce que les scientifiques ne sont pas assez humains. Lorsque j’entends ça, c’est à se taper la tête contre les murs ! Le gouvernement pourrait commencer par ouvrir le numerus clausus pour que les gens qui en ont envie puissent faire médecine.

Aller plus loin dans le mouvement de grève ne sert à rien. Comme je le disais, nous n’embêtons que nous et nos patients. Moi je peux faire grève parce que je suis en ville et que je sais qu’il y a des alternatives mais les médecins de campagne ne peuvent pas laisser leurs patients seuls. Je sais que demain ma journée va être très longue.

 

En tant que femme de gauche, vous êtes déçue par le gouvernement ?

Oui et je ne suis pas simplement déçue par rapport à mon métier. Je pense sincèrement qu’on a eu des promesses en vrac et qu’aucune n’est tenue. Cela me fait peur pour les prochaines élections…

 

* Blog de Doc Anica.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin