Nous sommes arrivés dans la toute dernière ligne droite, comment se déroulent les négociations entre les professions de santé et l’assurance maladie sur l’exercice coordonné ?

Dr. Luc Duquesnel, Président de l’UNOF-CSMF : Il y a deux parties à cette négociation, la partie ACIP (accord cadre interprofessionnel) et la partie ACI (accord conventionnel interprofessionnel). Or, le directeur de l’assurance maladie a été très clair, il n’y aura pas d’ACIP sans ACI, cette exigence est inscrite dans la lettre de mission rédigée par la Ministre de la Santé.

Pour l’UNOF-CSMF l’enjeu de la négociation ACIP est majeure puisqu’il s’agit ni plus ni moins de permettre à 100% des médecins généralistes de s’impliquer dans des prises en charge coordonnées pluri professionnelles et de ne pas limiter cette possibilité à ceux qui sont regroupés dans des maisons et pôles de santé.

Pour l’instant, nous sommes en train d’essayer de voir comment organiser un exercice coordonné entre les différents professionnels de santé libéraux qui aille au-delà des PRADO (Programme d’Accompagnement de Retour à Domicile) proposés par l’assurance maladie. Le champ d’action, ce sont les patients polypathologiques, les patients âgés, soit 10 à 20 % de la population. Pour ces personnes-là, il faudra établir un plan d’action où chaque professionnel de santé intervient avec ses compétences propres. Ensuite, viennent le suivi et l’accompagnement pendant un an, c’est-à-dire une action de coordination. L’UNOF-CSMF demande que, dans le cadre de l’intervention de chaque professionnel, la rémunération soit spécifique à chaque profession de santé, mais que la rémunération soit la même pour l’action de coordination, quelle que soit le professionnel qui l’exerce.

 

L’idée est-elle acquise ?

Il faut tout de même savoir que, dans la dernière version soumise par l’assurance maladie, l’action de coordination figurait bien, mais il n’y avait rien concernant l’élaboration du plan d’action.… Voilà l’enjeu, on a envie de ne pas se limiter à ces exercices coordonnés PRADO, très protocolisés, très ciblés et qui nécessitent en plus, une sortie d’hôpital. Il faut laisser une liberté aux gens de terrain alors que le PRADO, c’est tout sauf cela puisque les délégués de l’assurance maladie vont recruter les patients dans les établissements de soins. On ne demande pas l’arrêt des PRADO, mais on aimerait bien qu’il y ait autre chose.

 

Avez-vous une idée de l’enveloppe financière qui sera mise sur la table ?

Pour cette partie ACIP, on n’en a aucune idée. Je pense que nous le saurons lorsque le directeur considèrera que l’on est proche d’aboutir sur les propositions organisationnelles. Mais j’ai le sentiment qu’on est encore loin d’une validation.

 

Quant à la partie ACI ?

Les véritables négociations débuteront avec la nomination de la personnalité chargée d’élaborer le règlement arbitral qui s’appliquerait si les négociations n’aboutissaient pas. Cette personne pourrait bien être Bertrand Fragonard (ancien directeur de la CNAM. Ndlr).

Cette partie se limite à la pérennisation des nouveaux modes de rémunération (NMR), et doit permettre aussi à tous les autres regroupements des professionnels de santé d’y postuler dès lors qu’ils répondent aux critères. Là, on ne part pas de rien. Il y a déjà eu deux vagues d’entrée dans les ENMR, et cela nous donne une visibilité sur les besoins des structures, puisqu’on réfléchit en forfaits structures. On voit au travers des textes proposés qui se modifient chaque semaine, la volonté de l’assurance maladie d’encadrer très fortement les champs dans lesquels les équipes pluri professionnelles pourront s’investir. Nous disons encore une fois qu’il faut laisser de l’initiative aux professionnels, car ils savent répondre aux besoins de santé spécifiques de leurs territoires. L’étude récente de l’IRDES (Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé) a démontré que la richesse de ces nouveaux modes de rémunération, c’est qu’ils permettent autant aux professionnels de mettre en place des protocoles avec des transferts des tâche, je pense aux AVK, de formaliser des prises en charges en matière de santé mentale par exemple. Il faut garder cette richesse-là et ne pas s’enfermer dans un carcan. Ensuite, il y a deux modules dans les nouveaux modes de rémunérations, le premier c’est l’exercice coordonné et le second, c’est l’éducation thérapeutique. Et là, nous n’avons toujours aucune visibilité. Dans le Nord Pas-de-Calais, il y a des équipes ENMR qui n’ont choisi que ce module-là, il n’est pas question pour nous de ne pas en parler, c’est de la prévention.

On a l’impression que l’assurance maladie connaît très peu l’exercice regroupé pluriprofessionnel. Elle voudrait que tout soit opérationnel, tout de suite, dans l’année. Ce n’est pas la vraie vie. Mettre en place un système d’information pluriprofessionnel, c’est un travail de longue haleine, nous avons besoin d’être accompagnés, car nous sommes des médecins libéraux, pas des informaticiens. On le dit en se référant à ce que l’on voit dans les régions, à ce que les Agences Régionales de Santé (ARS) ont mis en place pour accompagner les professionnels pour écrire leur propre cahier des charges, faire un appel d’offre, c’est un travail administratif très lourd.

Ensuite, il y a le déploiement, le transfert des données, c’est énorme. Alors, lorsqu’on entend le directeur de l’assurance maladie nous dire que l’on doit être opérationnel au bout d’un an, on répond que ce n’est pas possible, il y a la méthode, la démarche. Inciter les professionnels à griller les étapes, c’est les emmener droit dans le mur. Si l’on se réfère à l’étude de l’IRDES, il faut trois ans environ pour atteindre la bonne maturation dans de telles structures. Alors, il ne faut pas mettre la barre trop haute tout de suite car, sinon, on va dégouter les gens et ils n’iront pas.

Pour l’UNOF-CSMF, il n’y a pas de modèle unique, ces organisations aujourd’hui sont en mesure de répondre aux enjeux de la prise en charge des patients âgés polypathologiques, en lien avec les établissements de soins publics et le secteur médico-social.

L’enjeu de l’ACIP est de dire que l’exercice coordonné est important pour 100 % des médecins généralistes.

 

Dans ce cadre, l’UNOF-CSMF regrette que la relation entre le premier et le deuxième recours n’ait pas été suffisamment travaillée.

Oui. Dans le cadre de cette négociation et y compris avec le Ministère, nous pensons que l’on ne peut pas se contenter de considérer que l’exercice coordonné se limite au rapport entre le médecin généraliste et les professionnels de santé du premier recours, infirmière, pharmacien, kiné, podologue, diététicienne, etc. Car, pour prendre en charge un patient atteint de pathologies chroniques, le premier interlocuteur du médecin traitant, c’est le médecin spécialiste. Or, toute la négociation a exclu le spécialiste de deuxième recours, alors que l’enjeu de cet exercice coordonné, c’est qu’il y ait moins d’hospitalisations et une meilleure prise en charge en ambulatoire. Dans le quotidien des médecins généralistes, ce qui est chronophage dans leur activité, c’est le temps passé pour organiser une hospitalisation de jour par exemple, avoir un avis spécialisé, joindre un cardiologue, un psychiatre, eux-mêmes débordés, pour qu’ils prennent en charge le patient. Avec un C à 23 euros qui ne prend pas en compte toutes ces consultations de plus en plus en complexes, on ne va pas diminuer le problème des hospitalisations non justifiées, on va l’aggraver. Ce qu’on demande, c’est que cette tâche soit prise en compte, sinon, au nom du principe de réalité, avec un C à 23 euros, le médecin généraliste va envoyer son patient aux urgences. On a bien compris que notre pays traversait une crise, et compris aussi que ce gouvernement ne considérait pas que la santé fût une priorité mais une variable d’ajustement au budget de l’Etat. Pourtant, les propositions que nous faisons pour organiser l’exercice coordonné entre généraliste et spécialiste génèrent des économies immédiates car, lorsque je passe du temps pour organiser une hospitalisation programmée, mon patient ne va pas aux urgences.

 

Que proposez-vous ?

Il existe une majoration pour les visites non programmées au cabinet, elle pourrait être étendue à la consultation au cabinet. Il faut que ce soit incitatif car aujourd’hui ce n’est plus possible. Les médecins généralistes sont désabusés et, si rien n’est fait, ils vont se désinvestir. Et dire que la négociation autour du montant du C attendra 2016 ou 2017, cela veut aussi dire que le nombre d’hospitalisation n’aura de cesse d’augmenter d’ici cette date-là.