925 médecins ont été agressés en 2013. Un record depuis la création l’Observatoire de la sécurité des médecins mis en place par le Conseil national de l’Ordre. Depuis le mois de février dernier, deux médecins généralistes de SOS médecins Grenoble ont été agressés alors qu’ils effectuaient une visite dans le quartier sensible de La Villeneuve. Le Dr André-Michel Guillemaud est l’un d’eux. Il a accepté de se confier pour la première fois à Egora.fr.
“Il était aux alentours de 23 heures ce soir-là lorsque je me suis garé dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble. Je venais faire une visite pour un patient âgé. Cela fait plus de 20 ans que j’arpente ce quartier, je n’ai jamais eu peur. Certains, me prenant pour un flic déguisé, m’ont déjà demandé qui j’étais mais ils m’ont toujours laissé passer lorsque j’expliquais que je venais soigner un habitant de la cité.
Après avoir sonné à l’interphone, je suis donc entré dans le hall de l’immeuble. C’est à ce moment-là que j’ai été poussé à l’intérieur par un jeune homme au visage dissimulé. Une capuche lui recouvrait la tête et une écharpe remontait jusqu’à son nez. Puis deux hommes, également masqués ont suivi. Ils m’ont littéralement sauté dessus. Dès le départ, j’ai décliné mon identité et j’ai expliqué qu’en tant que médecin, je venais ici pour soigner dans le cadre d’une visite. Cela n’a absolument rien changé à leur comportement. Ils n’ont d’ailleurs prêté aucune attention à ma mallette de praticien. J’ai été roué de coups. Les trois agresseurs, qui devaient avoir entre 25 et 30 ans étaient extrêmement calmes et posés. Ils avaient un mode opératoire très clair.
J’avais peur du coup de couteau
Ils avaient dû me suivre à partir du moment où j’ai garé ma voiture. Puis ils ont attendu que je me dirige vers le hall de l’immeuble, désert à cette heure tardive pour m’agresser. Ils ont pris ma montre et mon portefeuille dans lequel ils ont extrait mes cartes de crédit. Ils m’ont demandé les codes confidentiels. Si je ne coopérais pas assez vite, ils me frappaient. Ils étaient froids et déterminés, j’avais très peur que tout cela aboutisse à un coup de couteau.
En possession des codes confidentiels, deux des agresseurs sont partis en direction d’un distributeur tandis que le troisième me maintenait à terre, tête vers le sol pour que je ne le voie pas. Cela a duré plus d’une dizaine de minutes. Le premier distributeur est à plus de 600 mètres. Lorsque j’essayais de me détendre et de parler, il me rappelait à l’ordre avec des coups de pieds. Puis son téléphone a sonné. Sans doute les deux autres qui venaient de retirer de l’argent. Il est alors parti.
Quelques secondes après, l’épouse de mon patient, une vieille dame d’environ 80 ans est descendue pour voir pourquoi je ne montais pas. Apprendre mon agression a été très traumatisant pour elle. Elle s’est excusée à plusieurs reprises et était très gênée.
J’ai pensé aux femmes victimes d’agressions
Je suis alors monté dans leur appartement. Je me suis soigné. J’avais notamment une plaie à l’oreille. J’ai appelé la police et en attendant leur arrivée, je me suis occupé de mon patient. C’était très important pour moi de reprendre ce rôle de médecin. Le sentiment d’être maintenu au sol a été très humiliant. Je travaille avec des femmes victimes d’agressions, j’ai immédiatement pensé à elles. A quel point ces agressions sont dégradantes pour la personne qui les subit.
La police est arrivée. Les agents m’ont raccompagné à ma voiture. Je ne voulais pas sortir seul. J’ai pu ensuite aller porter plainte. J’ai appris plus tard que les agresseurs avaient été identifiés mais pas interpellés.
J’ai été beaucoup soutenu par mes collègues de SOS et par les urgentistes du Samu de Grenoble. Ces derniers m’ont proposé de voir leur psychiatre en charge des troubles post-traumatiques, ce que j’ai fait. Il m’a confirmé que j’étais dans la capacité de reprendre le travail.
J’ai tenu à travailler dès le lendemain de l’agression. C’était impératif pour moi. En revanche, je ne voulais pas retourner à La Villeneuve de nuit. Un mois plus tard, j’ai repris les visites de nuit. Par contre, je suis plus vigilant qu’avant et surtout je ne supporte plus quand quelqu’un rentre dans un immeuble juste derrière moi. En voiture, je m’enferme.”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin