Article publié sur Egora.fr le 14 août 2014.

Le ministère de l’économie, poussé par un rapport de l’Inspection générale des finances souhaite déréglementer plusieurs professions. Si les médecins échappent à la mesure, les pharmaciens seront concernés. Gilles Bonnefond, président l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) ne compte pas se laisser faire.
 

 

Egora.fr : Comment réagissez-vous à la volonté du gouvernement de déréglementer la profession ?

Gilles Bonnefond : Il y a là d’abord une incohérence. Si le ministère de l’économie s’occupe du code de la santé publique, c’est un dérèglement de l’Etat. Il n’y a pas eu de concertation entre les différents ministères puisque le ministère de la Santé est opposé à la vente de médicaments en grandes surfaces. Marisol Touraine l’avait dit dès le mois de décembre.

Le ministre de l’Economie, poussé par les lobbies de la grande distribution, essaie de forcer la main avec des méthodes qui ne sont pas correctes : en faisant fuiter un rapport secret dans la presse et en annonçant des revenus mal calculés des professions réglementées. Des données jetées en pâture dans les médias et qui ne font que diviser les Français sur le sujet.

Si on rentre dans un débat parlementaire par le ministère de l’économie, ce n’est pas la commission des affaires sociales qui sera sollicitée mais la commission économie qui ne connait rien à la santé. Je reconnais bien là, la patte des géants de la grande distribution qui ne cherchent qu’à contourner le ministère de la Santé.

 

Vous pensez à Michel Edouard Leclerc ?

Oui, je pense à lui et à ses équipes de lobbyistes. Mais Super U, Auchan et Carrefour ne sont pas en reste. A chaque fois que l’on a un nouveau ministre de l’économie, il est mis sous pression par les équipes de lobbyistes de la grande distribution.

 

Ils ont déjà obtenu la vente des tests de grossesse en grande surface. Ont-ils les moyens d’arriver à leurs fins ?

Je pense qu’ils n’y arriveront pas. La santé c’est trop sérieux. Il faut vraiment être un non-professionnel de santé et ne rien connaître à la pharmacologie pour tenir certains propos. Ils attaquent en disant qu’il y a certains produits frontières qui sont des médicaments sans vraiment l’être. Imaginer que le Doliprane, qui est le médicament le plus prescrit, puisse se trouver dans les rayons de grandes surfaces est dangereux. Cela peut mener à des atteintes hépatiques ou à du surdosage chez les enfants. C’est un risque important. D’ailleurs les Etats-Unis et la Grande-Bretagne l’ont constaté et sont en train de faire marche arrière en changeant notamment les conditionnements. Les autres produits du type compléments alimentaires ou dispositif médical sont déjà dans le circuit de la grande distribution.

Ils préconisent aussi l’ouverture de pharmacies dans les grandes surfaces alors qu’ils soutiennent qu’il y a des pharmacies en trop. C’est contradictoire comme attitude. Ils se prennent en permanence les pieds dans le tapis avec leurs arguments. Si l’installation des pharmacies est réglementée, c’est dans le but de protéger la population. Les Français ont ainsi un accès homogène aux médicaments sur tout le territoire. Nous avons tous, une pharmacie à moins de 5 minutes de chez nous. C’est une vraie richesse. Montebourg n’a qu’à regarder ce qui se passe chez les médecins. Il y a des départements où il n’y a pas un seul ophtalmo…

 

Arnaud Montebourg semble plutôt regarder du côté des Etats-Unis où les médicaments sont en grandes surfaces…

Je ne savais pas qu’il était américain. Je le pensais plutôt franco-français avec sa marinière ! Là, il est en train de faire plus que ce qui est demandé par l’Europe. Il est le premier à avoir un discours souverainiste mais là, sous la pression des lobbies de la grande distribution, il en fait plus que l’Europe. C’est totalement contradictoire.

 

Pourtant le système américain semble bien fonctionner…

Aux Etats-Unis, la surface du pays fait que le mode d’accès aux médicaments ne peut pas résulter de la même organisation qu’en France. En Allemagne il n’y a pas de réglementation, du coup, il y a une pharmacie pour 5 000 habitants et certains sont trop éloignés des officines. Nous devons nous appuyer sur ce réseau de pharmacies françaises plutôt que d’essayer de le déstabiliser.

 

Avez-vous été concerté par le gouvernement ?

Nous sommes allés au ministère de l’économie au mois de juin. On nous a alors avertit du projet de déréglementation. Mais nous ne voulons pas discuter du code de la santé publique avec eux. Notre ministre de tutelle est Marisol Touraine. Ce n’est pas Arnaud Montebourg.

Le seul argument que je peux évoquer avec le ministère de l’économie est le pouvoir d’achat. Est-ce que les médicaments sont trop chers et font que les gens ne peuvent pas se soigner ? La réponse est non. Nous sommes 30% moins chers que l’Italie, 50% moins chers que l’Allemagne. Dans ces deux pays, il y a des médicaments en grandes surfaces. Le Nurofen est à 2,90 euros en France. Il coûte entre 6 et 7 euros chez Auchan en Italie.

En France, les laboratoires n’arrêtent pas d’augmenter les prix mais nous continuons de vendre la médication officinale à des prix bas. La TVA est passée de 5,5% à 7% puis maintenant à 10%. Le ministère nous donne des leçons alors qu’il double le taux de TVA.

 

Quelles pourraient être les options pour faire baisser les prix ?

Nous demandons de l’aide à l’achat. Nous avons des groupements qui font leur job mais certaines structures de regroupement d’achat sont boycottées par les laboratoires. Pour faire une coopérative d’achat, c’est très compliqué. L’autorité de la concurrence constate qu’il y a un déséquilibre entre fabricants et acheteurs au profit des fabricants. Nous voulons de l’aide pour mieux négocier afin de pouvoir proposer des prix plus compétitifs. Le Doliprane est en prix encadré par exemple.

Seul point sur lequel je suis d’accord avec le ministère : ouvrir le numerus clausus. A quoi cela sert d’empêcher des étudiants d’entrer en seconde année quand d’autres vont se former à l’étranger et reviennent en France avec leur diplôme. Cela ne ferait pas baisser les prix mais cela permettrait une meilleure organisation de la formation des jeunes.

 

Comment entendez-vous riposter ?

Si l’on nous attaque sur le monopole, sur les règles d’installation et dernier point sur l’ouverture du capital nous n’allons pas nous laisser faire. Mais quand même, Montebourg n’est-il pas l’homme qui s’oppose à l’entrée des capitaux extérieurs ? Celui qui veut nationaliser tout le monde ? Les pharmaciens ont des capitaux propres, qui sont français. Les premiers intéressés à l’ouverture du capital seraient les grossistes répartiteurs dont les deux principaux sont à 100% amércains ! Montebourg permettrait donc aux fonds de pension américains de rentrer dans le domaine de la pharmacie. On croit rêver ! Nous pensions qu’il serait le seul à nous défendre contre cela et c’est lui qui nous attaque.

Nous avons une réunion aujourd’hui avec les autres syndicats, les groupements, l’ordre et les étudiants. Si dans le projet de loi, Montebourg s’occupe de la santé, nous n’échapperons pas à un mouvement dur.

Nous avons un sentiment d’injustice totale. S’il y a bien une profession qui fait correctement son métier, c’est les pharmaciens. Nous faisons les génériques qui rapportent deux milliards d’économies par an. Nous nous occupons du vieillissement de la population. Nous nous investissons dans la dématérialisation pour faire gagner de l’argent à la sécu en faisant du zéro papier. Nous sommes exemplaires sur la prévention des MST, sur les grossesses non désirées. Nous sommes en tiers payant depuis très longtemps. En retour, on nous envoie dans la figure que nous sommes des nantis, des rentiers… Nous sommes exaspérés.

La riposte va sans doute démarrer par une grève des gardes dès début septembre suivie d’une manifestation. Puis nous n’hésiterons pas à faire au moins un jour de fermeture et s’il faut aller plus loin, nous bloquerons la chaîne d’approvisionnement en médicaments. Nous ne nous laisserons pas faire. La coupe est pleine.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin