A la veille d’un rendez-vous avec le conseiller social de François Hollande, Michel Chassang, le président de l’UNAPL, convient que le temps presse pour organiser la riposte contre la déréglementation des professions libérale, que le gouvernement compte mettre en place par des ordonnances présentées début octobre. Pour la santé, les pharmaciens, les laboratoires de biologie, les médecins vétérinaires, les médecins ophtalmologues et les chirurgiens dentistes seraient impactés.
 

 

Egora.fr : Le gouvernement semble décidé à légiférer très vite, en recourant aux ordonnances, pour déréglementer les professions libérales, sans concertation officielle avec leurs représentants. Que pensez-vous de la méthode ?

Dr Michel Chassang : Cette histoire trouve son origine dans un rapport sur les professions réglementées commandé à l’Inspection générale des finances par l’ancien ministre de l’Economie, Pierre Moscovici. Il s’inspirait d’un autre rapport récent, celui de Jacques Attali pour la libéralisation de la croissance, en juin 2007, où les professions réglementées étaient montrées du doigt. Personne n’a été destinataire du rapport, seulement quelques morceaux ont été diffusés ici ou là, les annexes sont inconnues, donc la méthode est pour le moins curieuse pour ne pas dire d’un autre temps. L’Etat prétend que ces professions réglementées libérales ou artisanales – je pense aux chauffeurs de taxi – captent 6 milliards d’euros au détriment du pouvoir d’achat des Français. On a l’impression que pour masquer son incompétence et son inefficacité à contrer la crise économique, le gouvernement compte sur le dossier des professions libérales réglementées pour se refaire une santé…

 

Quelles seront les professions concernées par cette déréglementation ?

Essentiellement les professions juridiques, et les professions de santé. Il y a les notaires, les avocats, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce. Et pour les professions de santé, à notre connaissance, il y aura les pharmaciens, les médecins vétérinaires, les laboratoires de biologie médicale, les médecins ophtalmologues et les chirurgiens-dentistes. Mais je dis bien à notre connaissance. Mais toutes les professions libérales, dont les professions de santé, sont concernées par une disposition transversale touchant les sociétés d’exercice libéral (SEL), qui pourront bénéficier d’apport de capitaux extérieurs n’émanant pas forcément des praticiens de la société. 20 % des médecins exercent en SEL. C’est extrêmement grave car cela signifie que les professions de santé pourront perdre la maîtrise de leur outil de travail et leur indépendance.

 

Les ophtalmologues sont concernés pour la prescription de l’optique ?

Effectivement, le gouvernement veut donner le droit de prescription de l’optique aux opticiens et aux optométristes, une profession qui n’existe pas en France. S’agissant de la biologie et des médecins biologistes qui exercent dans les laboratoires, l’impact de la réforme serait très lourd, environ 1,4 milliard d’euros et remettrait complètement en cause l’accord sur la biologie conclu l’an passé. Enfin, troisième mesure concernant les médecins, la remise en cause du numerus clausus. Le rapport prétend que les dispositions du numerus clausus pour les professions de santé ou juridiques sont contre productives. Il prône la libre installation et la formation sans sélection pour introduire plus de concurrence, oubliant au passage que la sélection est évidemment indispensable pour la garantie de la qualité d’exercice et de prestation. Et qu’en outre, les capacités de formation des facultés ne sont pas extensibles à l’infini.

Il est absolument scandaleux de faire un raccourci entre le pouvoir d’achat des Français et les 6 milliards d’euros qui manqueraient à l’appel, alors que cet état de fait résulte de la conjoncture économique et de l’incapacité du gouvernement à agir. Ce rapport se base exclusivement sur un plan économique, et suppose que la déréglementation entraînerait de facto une baisse des prix de 15 à 20 % – ce qui est une hypothèse d’école – sans se préoccuper des conséquences, notamment en matière de santé. Il n’est jamais question de qualité ou quoi que ce soit de cet ordre. C’est nier toutes les mesures intégrées dans les conventions des différentes professions de santé. Et cerise sur le gâteau pour les pharmaciens, ces dispositions représenteraient la déréglementation complète de la pharmacie, avec l’hypothèse de chaînes de pharmacies, la possibilité pour les grossistes, de détenir une pharmacie, l’aventure internet, l’ouverture des capitaux aux non pharmaciens et la vente des traitements à prescription facultative en grande surfaces. Cela représente pour nous médecins, l’annonce de graves dangers en santé public. Puisque nous sommes les champions en termes de consommation de médicaments, il faudrait réduire les points de vente et non pas les augmenter. Or, ce rapport et le projet de loi qu’il inspire, sont de nature à augmenter considérablement la consommation. Si une baisse des prix hypothétique entraîne une sur-consommation avec tous ses effets secondaires de iatrogénie et de résistance probables, c’est franchement n’importe quoi. Nous appelons la ministre de la Santé à se prononcer sur le sujet

 

Le silence de Marisol Touraine est assourdissant…

Marisol Touraine et Christiane Taubira, la Garde des Sceaux, ne disent rien, mais elles consultent pour voir quelles libéralisations les différentes professions pourraient consentir. Au nom de l’UNAPL, je rencontrerai la ministre de la Santé mardi prochain, puis le conseiller social de Matignon, le nouveau ministre de l’Economie, Emmanuel Macron et Mme Taubira, pour les professions juridiques. Le danger est absolument énorme, car le gouvernement a décidé d’aller vite pour faire oublier son incompétence sur d’autres sujets, donner un coup de barre à gauche, taper sur les professions libérales en mettant en avant des revenus basés sur des moyennes qui ne veulent rien dire.

Enfin, en décidant de procéder par ordonnance, il laissera peu de place à la concertation et à la négociation. En clair, cela signifie que le texte devrait passer au conseil des ministres début octobre, pour un examen au Parlement dans la foulée. Il ne faut pas se faire d’illusions, nous nous situons dans la phase finale, pas initiale ! Il faut maintenant que tout le monde se mobilise. L’UNAPL a mis en place une cellule de crise, nous convoquons un conseil national extraordinaire le 11 septembre pour décider de ce que nous allons faire, car nous n’allons évidemment pas rester les bras croisés. Il faut que nous ayons une vision globale, que nous évitions de tomber dans la guerre profession contre profession. Car ceux qui se sentent protégés aujourd’hui risquent d’être concernés demain. Et ceux qui prétendent se sauver au détriment des autres sont dans l’erreur, car la volonté du gouvernement d’avancer vite sur ce sujet est très forte et sans ambiguïté.

 

Votre marge de manœuvre est faible.

Très faible, d’autant que nous serons mis dans le même projet d’ordonnance que le travail dominical. Et il y a fort à parier que les medias ne parleront que de ce sujet, et pas des professions réglementées, alors c’est le sujet de fond, car il y a beaucoup d’emplois à la clef. Les professions libérales représentent deux millions d’emplois, ce qui n’est pas rien, et nous le ferons valoir. Dans la politique gouvernementale, il y a une ambigüité : elle veut aller dans le sens de l’entreprise, notamment pour les grosses entreprises, mais en contrepartie, on sent un raidissement en matière de politique de santé, politique juridique et une volonté de “tirer à gauche” tout ce qui concerne le service public, avec un avantage très net donné au secteur public. C’est très inquiétant car les emplois ne se trouvent pas dans les grosses entreprises puisque l’industrie ne créera plus d’emploi, mais ils se trouvent dans les entreprises de services et les professions libérales. Il s’agit d’emplois de proximité, hautement qualifiés et non dé localisables.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne