En reconnaissant que le budget 2013 de l’AME avait été nettement dépassé, Marisol Touraine a ouvert la voie aux récurrentes attaques contre la gratuité des soins aux étrangers en situation irrégulière. Dans les rangs des médecins, le sujet aussi divise. Si pour Didier Legeais, vice-président de l’Union des chirurgiens de France, “la générosité française a des limites”, pour Jeanine Rochefort, déléguée Ile de France pour Médecins du Monde, en revanche, les abus à l’AME sont un mythe qui ne reposent sur aucune donnée.

 

AME : “La générosité française a des limites”

Le Dr Didier Legeais est chirurgien urologue et vice-président de l’Union des chirurgiens de France. Face au coût croissant de l’AME, il estime qu’il est temps de limiter les soins aux urgences vitales et d’envoyer la facture aux pays d’origine des ressortissants.

 

Egora.fr : Que reprochez-vous à l’AME ?

On annonce dans le monde entier : “si chez vous, vous ne pouvez pas être soignés, venez chez nous, on vous soignera”. Le système sanitaire et de Sécurité sociale français n’a pas à prendre en charge les soins à tout étranger venant sur le territoire national.

Je ne suis pas d’accord avec cette solidarité internationale et avec la générosité française. Des ressortissants viennent du monde entier pour bénéficier de soins chez nous, y compris de certains pays qui ne sont pas en difficulté financière. Il n’y a pas de raison que les cotisants qui travaillent paient un ticket modérateur à tous les soins et que pour l’AME qui n’a jamais cotisé, ce soit gratuit.

Avez-vous constaté des fraudes ?

Vous avez aujourd’hui des filières organisées. Ils viennent de Géorgie pour des tuberculoses résistantes, du Sénégal pour la prise en charge de cancer à l’hôpital Saint-Louis. Des patients viennent d’Algérie, du Maghreb et bénéficient de la carte vitale de leur frère, de leur cousin ou autre, d’une carte de CMU ou AME… Vous avez des gens qui ont compris que dans n’importe quel service de France avec une urgence rénale, on est dialysé et on est greffé en priorité. Et c’est seulement après qu’on se pose la question du règlement. On ne peut plus mettre le patient dehors, et ça nous coûte 100 000 euros.

Des AME bénéficient d’aide à la procréation. Ils vont dans des centres d’aide à la fertilité et on leur fait des traitements de la fertilité pour les aider à faire des enfants. Mais comme on est dans un pays où prévaut le droit du sol, dès que l’enfant naît, on ne peut plus mettre les enfants dehors. L’AME va les sédentariser alors qu’on est incapables de leur offrir de l’emploi. Après, on va payer des allocations logement, des allocations familiales et éventuellement des allocations retraite si ça fait plus de 10 ans qu’ils sont en France et qu’ils ont plus de 65 ans.

On a le système de santé le plus efficient, le plus généreux et le plus pertinent au monde. N’importe qui d’entre nous peut aller en réanimation en quelques minutes s’il a un malaise grave, dans des services à 3 000 euros la journée. C’est génial. Mais ce système génial ne pourra pas se maintenir si les 66 millions de concitoyens français pensent qu’ils peuvent soigner le milliard d’individus qui autour d’eux, dans toute l’Europe, dans toute l’Afrique francophone, dans tout le Maghreb, dans toute la Russie, dans tous les pays de l’Est, veulent venir se faire soigner chez nous.

Parce qu’ils vont mourir chez eux, ils viennent chez nous chercher une solution, qui est légitime, mais on ne doit pas l’institutionnaliser. Or, on l’a institutionnalisée.

Quelles solutions proposez-vous ?

Les pays de ces ressortissants doivent régler à la France l’argent des soins de leurs ressortissants.

La très grande majorité des cotisations de l’Assurance maladie sont payées par les entreprises et les travailleurs de ce pays. On est en train de vouloir faire 15 milliards d’économies pour un système d’Assurance maladie payé par les travailleurs, alors même que le soin va se dégrader parce qu’on offre des soins gratuits à des étrangers en situation irrégulière qui sont les AME et à des étrangers en situation régulière qui sont les CMU. Alors même qu’ils n’ont jamais cotisé au système.

Dans le PLFSS de cette année, le gouvernement a souhaité mettre en place une logique de recouvrement. Marisol Touraine a dit “Avec l’Algérie, on ne va pas tarder à toper”. L’Algérie nous doit plusieurs milliards d’euros, nous on va “toper”. Et bien, ok. Qu’ils nous donnent du pétrole et du gaz, et qu’on continue à soigner les ressortissants algériens. Leur système de santé n’est pas bon, ok, mais qu’on nous paye. C’est tout ce que je demande. Aux Etats-Unis, les gens viennent du monde entier pour se faire soigner. La première chose, c’est qu’ils paient. Et c’est la moindre des choses.

Concrètement, comment faire ?

La première chose, c’est de donner un signe fort pour dire ça suffit. Il faut arrêter la générosité absolue. Qu’on prenne en charge les soins vitaux, on n’a pas le choix. C’est d’abord un choix humain de ne pas laisser les gens mourir pour des raisons de santé. Et quand on laisse se dégrader la maladie, soit on les laisse mourir, ça coûte pas cher, soit ils finissent en réa, et ça coûte très cher. Donc autant anticiper. Mais ça c’est pour les soins vitaux. L’aide à la procréation, ou l’arthrose de hanche, ce ne sont pas des soins vitaux qui vont se dégrader. Ils ont un handicap et nous on règle ce handicap. Si c’était régler un handicap pour permettre aux gens de retourner au travail, c’est bien. Mais en fait les patients vont ensuite se fixer en France. Je ne sais pas si les Français percutent bien qu’avec cette politique laxiste sur l’AME, on fait un appel d’air.

Deux, on trace la nationalité de l’individu et on refacture à son pays d’origine. Comme ça le pays va devoir mettre en place une politique pour faire en sorte de ne pas avoir d’hémorragie de gens qui vont se faire soigner en France. A 2 000 ou 3 000 euros la facture, ça va leur coûter très très cher. Donc ils vont devoir mettre ne place une politique pour bloquer ça.

Je connais un cardiologue qui prend en charge des patients américains sous le statut d’AME. On n’est pas en train de parler d’un guinéen qui vient pour une dialyse. On est en train de parler d’un américain qui vient en France sous le statut d’AME parce qu’aux Etats-Unis, il ne peut pas se soigner parce que ça coûte trop cher. Ce que j’entends. Mais les Américains doivent se débrouiller avec leurs pauvres ! Je suis désolé. L’Ukraine a de l’argent, la Russie a de l’argent… Un étranger qui ne peut pas se faire soigner dans son pays, c’est le problème de son Etat ! La générosité française a des limites, elle ne peut pas prendre en charge toute la misère du monde et tous les malheureux qui sont partout.

 

“Arrêtons de dire qu’il y a des abus à l’AME !”

Jeanine Rochefort, déléguée Ile de France pour Médecins du Monde récuse l’idée de fraude. Pour elle, les raisons de l’augmentation du nombre de bénéficiaires sont ailleurs.

Egora.fr : Avez-vous constaté des abus, des fraudes à l’AME ?

Il n’y a pas d’abus d’AME. Toutes les enquêtes qui ont été faites à ce sujet l’ont prouvé. Cette accusation n’est fondée sur rien. Il n’y a aucun chiffre. Il y a une augmentation du nombre de personnes postulant à l’AME, l’augmentation financière qui correspond est cohérente avec cette augmentation du nombre des bénéficiaires…. Mais nulle part vous ne trouverez de chiffres montrant des fraudes. Arrêtons de dire qu’il y a des abus. Il faut savoir que pour l’AME, ce n’est pas l’argent qui est en cause. Les gens ne touchent pas d’argent ! Simplement, ils ne paient pas quand ils sont malades. Il y a bien plus de fraudes aux allocations chômages, ou allocations familiales, avec des personnes qui sont en situation régulière. Comment peut-on frauder des soins ? Si on se fait soigner, si on va voir un médecin, c’est bien qu’on est malades ? L’AME est en train de subir des attaques, mais c’est régulier. C’est une vieille habitude.

Certains parlent pourtant de filières, de réseaux organisés qui viennent en France pour bénéficier de ce système…

Des filières étrangères qui concernent 57 Géorgiens ? Ils sont venus se faire soigner résistantes en France, c’est vrai. Ils sont venus, probablement avec des filières, c’est vrai. Mais ce qu’il faut savoir c’est qu’ils sont porteurs de tuberculoses multi résistantes et que le traitement n’est pas accessible dans leur pays. Ce sont des gens qui ont sauvé leur peau, c’est vrai aussi. Si ça repose là-dessus les accusations contre l’AME…

Pourtant, on assiste à une augmentation du recours à l’AME. Comment vous l’expliquez ?

Il y avait une politique en France depuis de nombreuses années, mais qui depuis 2011 n’existe plus, qui permettait aux personnes gravement malades en France d’avoir des droits au séjour. Et ce, parce que le traitement n’était pas accessible pour eux dans leur pays d’origine. On parle bien de traitement accessible et non pas disponible, c’est complètement différent. Disponible, ça veut dire qu’il existe. Ça ne veut pas dire pour autant qu’ils ont accès, non seulement au traitement, mais à la surveillance et au suivi qui va avec. Donc, avant 2011, ces personnes étaient régularisées et relevaient de la CMU. Comme ce droit au séjour est de plus en plus refusé – et que les migrants restent quand même puisque s’ils rentrent dans leur pays, ils sont condamnés à mort –, ils passent en situation irrégulière et gonflent les chiffres de l’AME.

Ce phénomène joue un rôle. Mais c’est connu. Ça a été bien souligné par la mission commandée par le ministère sur l’AME, en 2010, et réalisé par l’IGAS et l’IGS. Déjà, on soulignait ce problème. C’est donc quelque chose qui est connu, mais dont personne ne parle.

Vous réfutez donc l’idée d’un appel d’air ?

L’appel d’air, ça fait quinze ans qu’on en entend parler, il n’y en a pas eu. L’augmentation est progressive. On a une grosse arrivée de personnes qui étaient en Grèce, en Italie, en Espagne et avec la crise économique, ils arrivent en France, où c’est un peu moins mal. On a eu le Printemps arabe qui laisse encore des traces, la Syrie, l’Ukraine… il y a quand même beaucoup de choses qui peuvent expliquer ces migrations.

Le monde n’a jamais été aussi instable politiquement. C’est une des raisons pour expliquer cette augmentation, ce n’est pas un appel d’air. C’est un phénomène normal !

Ce qu’on peut dire à Médecins du Monde, c’est que 80% des personnes qui viennent nous voir ont toutes les conditions réunies pour faire la demande d’AME. Et pour autant ils ne l’ont pas faite. Ils ne savent pas que c’est possible.

En plus, c’est très complexe d’obtenir une carte d’AME. Le délai réglementaire, après qu’un dossier constitué en bonne et due forme ait été déposé, est de deux mois. Une non-réponse dans les deux mois vaudrait refus implicite. Mais comme la plupart des CPAM mettent plutôt trois ou quatre mois pour accorder ce titre, c’est très compliqué de savoir si c’est un refus implicite ou un délai supplémentaire. Tous les ans il faut refaire cette démarche, et c’est un vrai parcours du combattant.

Est-ce que l’AME coûte trop cher ?

La théorie est toute simple : une personne qui a une couverture maladie va coûter beaucoup moins cher qu’une personne qui n’en a pas. Ceux qui n’ont pas de couverture vont avoir un retard de recours aux soins, et ils feront leur demande d’AME quand ils seront gravement malades. Et donc là, ça coûte cher.

Pendant des années, jusqu’en 2008/2009, on constatait que moins de 10% des personnes qui venaient nous consulter le faisaient avec retard. Quand on leur demandait pourquoi ils n’étaient pas venus plus tôt, ils nous disaient qu’ils ne nous connaissaient pas, ne savaient pas qu’ils pouvaient bénéficier de l’AME. Aujourd’hui, ce chiffre est plus près de 40% que de 10%. Il a augmenté d’années en années. L’explication, c’est que c’est de plus en plus complexe d’obtenir l’AME. Il y a eu la franchise de 30 euros, il y a de plus en plus de contrôles…

Ce sont ces difficultés d’accès à l’AME qui coûtent cher. Mais pas à la Sécurité sociale ! L’AME ne relève pas du tout du budget de la Sécurité sociale. C’est un budget d’état, géré par délégation de tâche par la Sécurité sociale. Ça n’a rien à voir. Qu’on ne dise pas que c’est la source du trou abyssal de la Sécurité sociale !

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier