Jeune médecin généraliste installée et bloggeuse publiée, Fluorette s’insurge contre les propos du directeur de la CNAM qui fait peser le déficit de la sécurité sociale sur le dos des médecins, à qui il en demande toujours plus.

“C’est passé relativement inaperçu. Il faut dire qu’il y a plus important que ce dont je voulais vous parler pour se crêper le chignon en ce moment : le tiers payant généralisé chez le médecin généraliste qui réglera évidemment tous les problèmes d’accès aux soins puisque les gens renoncent en premier aux soins dentaires et aux lunettes… Effets d’annonce et de manches. C’est bien expliqué ici.

Et puis Catherine Lemorton, occupe un peu le terrain médiatique en insinuant que les médecins libéraux laissent mourir les gens. Oui, c’est vrai, quand ils m’appellent à 17h pour un nez qui coule et que je refuse un rendez-vous pour le jour-même, parfois ils me menacent d’un “on peut mourir alors” et ils vont probablement gonfler les statistiques de ceux qui ont dû “renoncer au soin car il n’y avait pas de médecin disponible” en prenant une pose à la Sarah Bernhardt.

Bref, l’autre jour, VanRoeky a parlé :

“L’Assurance-maladie pourrait économiser 500 millions d’euros si les médecins augmentaient la part des médicaments génériques dans leurs prescriptions”, a affirmé sur RTL le directeur général de la CNAM, Frédéric van Roekeghem. “Un petit effort des médecins à mieux prescrire le médicament, moins d’antibiotiques, plus de médicaments génériques lorsque c’est possible, nous permettrait tout à fait de dégager des marges de manœuvre sans dérembourser les patients et d’introduire les innovations”, a ajouté le patron de la Sécu.

Bien sûr. Applaudissements.

Parce qu’évidemment, si l’assurance-maladie va mal, c’est à cause des médecins. Comme d’habitude. Ces salauds qui prescrivent trop, trop d’antibios, pas assez de génériques. Pfff.

Ben scoop, pas seulement à cause d’eux.

Parce que les gens n’aiment pas les génériques. Même si certains c’est juste par principe. Et il y en a qui ne comprennent rien parce que quand ils ont eu un princeps prescrit en premier, faut que j’écrive “non substituable”, sinon le nom change à la délivrance du médicament. Pas très logique car les médocs que j’ai prescrit en DCI, là ça ne les dérange pas d’avoir le générique puisque c’est le même nom sur l’ordonnance et la boite, donc ce n’est pas un générique. Ça me donne mal à la tête d’essayer de comprendre. VanRoeky ne s’est pas posé la question de savoir si présenter les génériques comme une punition, c’était finaud de sa part dès le début, pas sûr que ça aide bien à faire accepter la substitution. Au début, j’ai perdu du temps à expliquer le princeps, le générique, la dci, etc. J’ai perdu tellement de temps… De toute façon, je prescris en DCI. Et s’ils ne veulent pas du générique pour les autres qu’ils ont depuis longtemps, j’écris consciencieusement comme une punition “non substituable” de ma belle écriture de docteur. Et quand ils aiment d’amour le Doliprane, je prescris Doliprane et pas du paracétamol.

Alors l’autre effort demandé, c’est les antibiotiques, sauf que ne pas prescrire un antibiotique, ça prend du temps ! Prescrire, c’est facile, on dit juste : voilà vous prendrez ça matin et soir pendant 6 jours. Dix secondes ça prend ! Mais ne pas prescrire, c’est long, faut expliquer que ça passera tout seul, que c’est viral, et que non l’antibiotique ne marchera pas même si la bouchère elle a dit que son médecin à elle il lui met toujours un antibio et que ça passe plus vite, qu’il faut dormir, laver le nez, et que la toux c’est quinze jours, voire plus, etc. Donc je perds encore ce temps-là, parce que je suis encore convaincue que moins on en prescrit, moins il y aura de résistances à type collectif, et moins d’effets indésirables, à titre individuel.

Donc tout ça c’est du temps. Le temps c’est malheureusement de l’argent. Alors avec l’URSSAF qui a augmenté, la prochaine obligation de payer une mutuelle aux employés, EDF qui va augmenter aussi, le gars qui tond la pelouse du cabinet qui a augmenté sa facture parce que si tout le monde le fait, pourquoi pas lui, ben si on voulait moins prescrire, il faudrait plus de temps par consultation. Donc il faudrait revaloriser les consultations.

Mais ce même VanRoeky* expliquait en 2012 qu’on ne pouvait pas augmenter le prix des consultations parce qu’il fallait que les médecins voient plus de patients. Donc pour les stimuler à en faire plus, on n’augmente pas le coût du C.**

Et cerise sur le cake : VanRoeky prévient que si on ne fait pas de “petit effort”, cette pauvre CNAM ne pourra pas dégager des marges pour rembourser et innover. Je traduis : si VanRoeky dérembourse, ce sera encore de ma faute. Notre faute à tous, les nantis en Porsche Cayenne.

Ben moi j’en ai marre, je ne ferai pas de petit effort, ni de gros. Maintenant je facture tous les actes, comme me l’a expliqué ma déléguée d’assurance maladie quand j’ai râlé que mon volume de prescription rapporté à mon activité était déconnecté de la réalité puisque je faisais des actes gratuits. L’acte gratuit c’est le mal. Genre si tu renouvelles l’arrêt de travail du cancéreux pour deux mois sans compter une consult, ben tu perds une consultation dans ton ratio nb jours d’arrêt / nb consultations.

Et mon culpabilitomère est à zéro.

Et si ça continue, j’irai en Suisse. Ou plus loin.

* “on a bien pensé à faire des consultations longues à 46 euros, mais ce que nous ne souhaitons pas, c’est que le prix de la consultation augmente, que les médecins prennent plus de temps, parce qu’on a besoin des généralistes pour soigner la population française. Il faut dire que nous avons des généralistes qui travaillent beaucoup.” Puis il nie le temps de travail passé en niant les 25 euros de l’heure gagnés par généralistes, estimés par MGFrance selon le temps de travail, les congés qui ne sont pas payés, etc.

** Pour une fois que la cause c’est même pas la crise, mais la pénurie de docteurs. Faut dire que c’est la faute des jeunes ne s’installent pas ces feignants***, ça fait plus de boulot pour ceux qui sont installés et ceux-là, on va les épuiser jusqu’à la corde à leur faire voir des rhumes et signer des certifàlacons. Là on a énuméré tous les pompons de la pomponette.

*** Second degré, je précise, on ne sait jamais.

Source : www.egora.fr

Auteur : Fluorette