Les représentants de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) et de la Caisse nationale d’Assurance maladie, étaient réunis le 2 juillet pour la présentation des résultats de deux études de pharmaco-épidémiologie sur les risques liés à l’utilisation des nouveaux anticoagulants oraux (Naco), appelés dorénavant anticoagulants oraux directs (AOD). Globalement, ces nouvelles données se veulent rassurantes, dans le contexte polémique soulevé il y a quelques mois, notamment par Syndicat des jeunes biologistes médicaux (Sjbm), qui pointait du doigt le risque hémorragique lié aux AOD en l’absence actuelle d’antidote.

 

L’originalité de ces études repose sur le fait qu’il s’agit des premières données “dans la vraie vie” sur les risques associés à ces traitements. Elles ont été réalisées dans le cadre de la surveillance renforcée sur ces traitements arrivés en 2012 sur le marché français, et qui ont connu “une émergence rapide dans l’arsenal thérapeutique” confirme François Hébert, directeur général de l’Ansm. Un plan d’actions destinées à sécuriser leur utilisation a été initié en 2013 (surveillance renforcée semestrielle, suivi semestriel de pharmacovigilance, contrôle renforcé de la publicité…) qui s’ajoute au plan d’action européen.

Les deux études menées et présentées conjointement par l’Ansm et la Cnam visaient à évaluer les risques associés aux AOD dans les deux situations de prescriptions que l’on peut rencontrer : chez des patients naïfs, et en cas de switch chez des patients initialement sous anti-vitamine K (AVK). Elles ont été réalisées à partir des données du Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) et des données d’hospitalisation du Programme de médicalisation des systèmes d’information (Pmsi).

 

Patients naïfs

La première étude, nommée Nacora (Nouveaux anticoagulants oraux et risques associés), réalisée par la Cnamts a porté sur plus de 70 000 patients naïfs de tout traitement et mis soit sous AVK soit sous AOD (rivaroxaban ou dabigatran), quelle que soit l’indication visée (fibrillation auriculaire non valvulaire, fibrillation auriculaire ou après thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire). Le suivi était de 90 jours. “L’enseignement général est qu’il n’y a pas de sur-risque hémorragique lors de l’initiation des AOD, quelle que soit l’indication considérée” par rapport aux AVK, rapporte le Pr Luc Barret, médecin conseil national de la Cnamts. Le HR ajusté [IC à 95%] pour les hémorragies majeures était de 0,68 [0,52-0,89] pour le dabigatran et 0,95 [0,73-1,24] pour le rivaroxaban par rapport aux AVK. Et pour le critère composite, qui associait hémorragies majeures et décès toute cause, les chiffres étaient respectivement de 0,82 [0,70-0,95] et 0,87 [0,73-1,04].

En outre, l’étude ne retrouve pas, “de différence observée entre les AOD et le AVK chez les patients atteints de fibrillation auriculaire en termes de survenue d’AVC ischémiques, d’embolies systémique (embolies et thromboses artérielles) ou IDM” ajoute le Pr Barret.

Par ailleurs, les résultats indiquent une prescription différente en termes de dosages selon les caractéristiques des patients, et notamment leur risque hémorragique de base. Ainsi, les patients débutant un traitement par faibles dosages d’AOD sont plus âgés (> 80 ans) et globalement plus à risques (hémorragique ou thrombotique artériel) que ceux débutant leur traitement avec de forts dosages. “Cette attitude pourrait correspondre à une bonne maitrise des indications, une attitude de précaution” suggère le Pr Barret, “mais qui peut être contrebalancée par l’existence d’un fort risque d’accident thrombo-embolique. La vigilance est donc de mise”.

 

Switch

Nacora-Switch, réalisée par l’Ansm est la deuxième étude de ce programme. Elle a donc comparé, chez les personnes nécessitant un traitement anticoagulant pour une fibrillation auriculaire non valvulaire ou une thrombose veineuse profonde/embolie pulmonaire, le risque d’hémorragie majeure entre les patients qui changent de traitement anticoagulant (passant d’un AVK à un AOD) et ceux qui restent sous AVK.

Cette étude longitudinale rétrospective appariée de type “exposé/non exposée” a porté sur une population de près de 25 000 patients. La durée du suivi a été de quatre mois. Les résultats de cette étude sont également rassurants et ne montrent pas d’augmentation du risque d’événement hémorragique majeur chez les personnes qui passent d’un traitement AVK vers un AOD par rapport aux personnes qui restent sous AVK, quel que soit l’AOD (HR =0,91 [0,60-1,39] ; p=0,66).

Par ailleurs, l’étude ne montre pas non plus, entre les différents groupes de patients, d’augmentation à quatre mois du risque d’AVC ischémique/embolie systémique ou d’infarctus du myocarde.

Les résultats de ces deux études sont cohérents avec les résultats des autres études publiées à ce jour, rapportent les membres de la Cnam et de l’Ansm.

 

Une courte période de suivi

Ces données rassurantes doivent cependant être mises en perspective avec “la très courte période de suivi” reconnaissent les auteurs de ces deux études. “En termes de risques, ces résultats ne permettent pas de conclure s’agissant de l’usage prolongé de ces traitements” indiquent-ils.

Et ces études ont été réalisées au cours du deuxième semestre 2012, ce qui est récent par rapport à la commercialisation des produits et donc, ne reflète pas forcement la réalité de leur utilisation actuelle. “Il se peut, par exemple, que le comportement de prescription et d’utilisation des AOD change au cours du temps” détaillent les auteurs en conclusion de l’étude Ansm.

En outre, ces résultats “sont à prendre avec précaution en raison du nombre d’événements relativement faible” affirment les deux organismes. Une faible augmentation du risque pourrait ne pas avoir été détectée.

Une des autres questions qui restent en suspens concerne l’observance de ces AOD à long terme et les conséquences négatives qu’une mauvaise adhésion au traitement pourrait entrainer.

“Il est donc important de poursuivre la surveillance des risques liés à l’utilisation des AOD, d’observer l’évolution des comportements de prescription et d’utilisation des AOD au cours du temps. L’utilisation des anticoagulants oraux et les risques qui leur sont associés continueront donc à faire l’objet d’une surveillance étroite dans le cadre du plan d’actions de l’Ansm, en collaboration avec la Cnamts, la HAS et sous la coordination du ministère chargé de la santé” concluent l’Ansm et la Cnam.

“Ces résultats sont à rendre avec beaucoup de prudence. […] Nous ne sommes pas dans une situation stabilisée” confirme François Hebert, qui rappelle que sur le plan pratique, “les recommandations de la Haute Autorité de santé restent en vigueur”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A. B.

 

[Source : Conférence de presse de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) et de la Caisse nationale d’Assurance maladie, du 2 juillet 2014.]