Michel Régereau, le président (CFDT) de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) n’a pas réussi à emporter le vote de son conseil sur le plan d’économies de 2,9 milliards d’euros en 2015, qui lui a été soumis. Il ne s’avoue pas vaincu et détaille les mesures qui toucheront, très prochainement, tant les médecins prescripteurs que l’hôpital.
Egora.fr : Le conseil de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS) vient de repousser par 21 voix contre 13* la liste de 25 propositions d’équilibre proposées par la caisse nationale d’assurance maladie, censées générer 2,9 milliards d’euros d’économies en 2015. Vous souteniez personnellement ce document. Etes-vous déçu ?
Michel Régereau : Oui je suis déçu. On travaille depuis des mois sur ce projet en étudiant l’évolution des dépenses de l’année précédente dans le détail, et aussi l’organisation des soins. Ces propositions ont été ensuite présentées dans les commissions du conseil, puis au conseil. Et elles ont été enfin regroupées dans deux débats fin juin, début juillet, concernant d’une part les constats et d’autre part, les propositions au gouvernement et au parlement en vue de préparer la loi de financement de l’année prochaine. J’avais senti le vent, mais j’ai été surpris par l’ampleur du vote contre. Je pense que l’ambiance générale des relations avec le monde politique et entre partenaires sociaux a beaucoup pesé.
Le conseil doit réexaminer de nouvelles propositions le 24 juillet prochain. Avez-vous déjà une idée des aménagements qui pourront être apportés ?
La majorité qui a fait le vote contre est très hétérogène, c’est une majorité d’opposition, pas de proposition. J’imagine difficilement basculer vers cette autre majorité. D’un côté, on a les employeurs qui considèrent qu’il faut faire davantage d’économies notamment du côté de l’hôpital public. Et de l’autre, deux organisations syndicales principalement, qui considèrent qu’il faut davantage d’investissements financiers, davantage de dépenses. Ce sont des positions irréconciliables. A partir de là, je préfère travailler avec l’ensemble des 13 organisations qui ont voté pour, élargir, sans prendre le risque de casser cette cohésion. Et à défaut, passer avec la règle d’opposition aux deux tiers, sans changer de politique.
Tout le monde souhaiterait qu’il y ait plus d’argent pour la santé, mais les 13 ont fait clairement savoir que dans la situation actuelle de la France cela n’était pas possible. C’est un principe de réalité. Quant à mettre toute la pression sur l’hôpital, je considère que c’est l’ensemble du champ qui doit être concerné. Autour de la stratégie nationale de santé, il faut développer une stratégie de parcours de soins qui nécessite que toute la chaîne de soins se réorganise.
Les organisations qui ont voté non ont regretté un manque d’ambition dans les mesures de restructuration du système de santé. Ils visaient l’hôpital ?
Les employeurs ont indiqué qu’une grande partie du rapport leur convenait. Mais ils ont considéré que les conclusions n’étaient pas à la hauteur et que la restructuration de l’hôpital – chirurgie ambulatoire, raccourcissement de la durée des séjours – devait aboutir à une réduction du nombre de lits et du personnel. Personnellement je n’avais pas souhaité introduire dans le rapport cette question des lits et places, car notre responsabilité est essentiellement de faire des propositions de meilleure organisation, plus transversale. Je ne pense pas qu’il appartienne à l’assurance maladie de dire à l’hôpital comment il doit s’organiser.
Le document se donne l’ambition de réussir le “virage vers l’ambulatoire”, ce qui sous-entend une politique tarifaire adaptée à cette volonté de favoriser le transfert d’activité vers l’ambulatoire. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Je prends l’exemple du programme de retour à domicile PRADO, qui concerne le retour précoce des femmes après la maternité et des patients après chirurgie orthopédique. Ce programme sous-entend que les personnes doivent être suivies à domicile par les sages-femmes ou en ville par les kinésithérapeutes, sinon elles seront ré-hospitalisées. Il faudra donc organiser aussi les transports sanitaires en ville. La conséquence pour l’hôpital est double : il faut d’une part, qu’un compte rendu d’hospitalisation soit disponible à la sortie du patient. Et d’autre part, que cette diminution du nombre de jours d’hospitalisation soit prise en compte lors de la constitution des enveloppes. Depuis quelques années, la tarification est à l’activité. Or, si l’activité hospitalière diminue, les recettes baisseront en parallèle. Cela va faire bouger l’hôpital. Et si dans le même temps, on renvoie des dépenses vers les soins de ville, il faudra rééquilibrer.
Les praticiens libéraux redoutent que l’hôpital sortant de ses murs, ces soins soient effectués par les personnels hospitaliers.
C’est une vraie question. Mais les libéraux ne répondent pas à la question de savoir s’ils sont bien répartis sur le territoire. D’ailleurs, je préfère parler de répartition ambulatoire et hospitalière, hôpital public et cliniques privées. Pour les soins ambulatoires, il peut y avoir des libéraux, des centres de soins, des organisations coopératives, etc.
L’assurance maladie va s’intéresser de très près aux prescriptions des médecins traitants. Et envisage d’introduire de nouvelles recommandations par voie d’avenant conventionnel. Comment ?
Cela ne concernera pas que les médecins traitants. Nous avons repéré des ordonnances de plus de 10 médicaments qui sont souvent le fait de médecins traitants, mais nous travaillons aussi sur des patients qui ont un médecin traitant, mais également un cardiologue, un hépatologue. Et le total des trois peut faire beaucoup. L’assurance maladie négocie des conventions avec les médecins libéraux, et dans ce cadre-là, nous avons développé la rémunération sur objectif de santé publique (ROSP). Un avenant pourrait permettre d’introduire des objectifs de réduction de lignes et de cohérence des prescriptions. La Haute autorité de santé et les sociétés savantes affirment qu’au-delà de cinq médicaments, on ne sait plus quel est l’effet des molécules dans le corps humain. L’idée est aussi de regarder les écarts de pratique entre professionnels pour la même pathologie, de questionner la haute autorité de santé pour savoir s’il y a une bonne formule. Nous pourrons donner des objectifs assortis de rémunérations, pour que les médecins s’en rapprochent. J’entends bien les médecins libéraux qui nous disent qu’on va leur supprimer la liberté de prescription. Ce n’est pas de cela dont il s’agit, mais je suis étonné de constater le nombre de professionnels qui prescrivent en contradiction avec les référentiels des sociétés savantes. L’idée est tout de même de commencer par ceux qui en sont les plus éloignés.
Quels seront les champs concernés ?
Les prescriptions aux personnes âgées, car c’est elles qui ont le plus de médicaments. J’ai entendu également des professionnels de santé faire remarquer que c’est ce qu’il se passe à l’issue d’un séjour hospitalier. Mais dans les hôpitaux, on me dit que le premier travail des gériatres, c’est de réduire la prescription lorsque les malades arrivent en gériatrie… A un moment, il faut se mettre autour de la table et discuter sérieusement. Néanmoins, nous avons un petit souci informatique aujourd’hui, nous avons encore un peu de mal à connaître avec précision la prescription hospitalière. On sait lorsque c’est délivré en ville, mais lorsque c’est délivré à l’hôpital, c’est compliqué.
Les soins psychiatriques sont également concernés ?
Tout à fait, mais on est plus prudents sur les soins psychiatriques, c’est un sujet que l’on aborde pour la première fois cette année. En fonction des comparaisons internationales, il y a visiblement un sujet sur le volume de prescriptions de psychotropes. Voilà pour la santé publique. S’agissant du coût des ordonnances, cela concerne la prescription de médicaments génériques et celle des médicaments très coûteux, dont ce produit contre l’hépatite C qui arrive sur le marché à un prix qui ne semble correspondre à rien, y compris sur le plan de la recherche. Nous attirons l’attention des pouvoirs publics sur le fait qu’à ce prix-là, nous aurons des difficultés à fournir le service à toutes les personnes concernées. Il s’agira d’un vrai débat sachant que ce produit efficace permettra aussi de réduire considérablement le nombre de greffes du foie. Ce qui va percuter l’organisation des établissements de santé. De même si l’on développe la dialyse à domicile ou la dialyse péritonéale, c’est toute une organisation qui est remise en cause. Ce sont les nouvelles technologies qui nous bousculent.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne
*Ont voté contre (21 voix) : CGT, CGT-FO, CFE-CGC, MEDEF, CGPME et UPA. On voté pour (13 voix) CFDT, CFTC, FNMF, CISS, FNATH, UNAF, et deux personnalités qualifiée, F. Joliclerc et J.F. Chadelat.