En Moselle, plusieurs plaintes contre la structure chargée de la permanence des soins interpellent familles et élus. En 2008, à quelques mois d’intervalle, trois jeunes patients sont décédés après un appel à Médigarde 57. Dans les trois cas, le médecin de garde ne s’est pas déplacé.

 

En mars dernier, le verdict est tombé : non-lieu pour Médigarde 57 la structure qui prend en charge la permanence des soins en Moselle. Après une enquête longue de six ans, la justice estime qu’elle n’est pas en cause dans le décès d’Hélène Payan, 23 ans, même si elle pointe une sous-évaluation de la gravité de la situation.

“Les experts notifient qu’il y a des fautes imputables aux médecins et la justice n’en tient pas compte ?, s’indigne Michèle Payan, mère de la jeune fille.Dans notre commune, il y a un médecin de garde. Je la connais, elle m’a dit ‘je n’ai jamais eu d’appel de Médigarde'”.

 

“Sept appels ont été passés avant que quelqu’un ne décroche”

En 2008, cette jeune femme, élève infirmière, souffre de violentes nausées et de vomissements. Elle consulte son généraliste qui diagnostique une gastro-entérite. Les symptômes durent trois semaines. Mais un matin, elle se sent particulièrement faible. Son compagnon appelle le médecin. Comme le cabinet est fermé, l’appel est transféré à Médigarde. “Sept appels ont été passés avant que quelqu’un ne décroche”, assure la mère de la jeune femme. Quand le médecin régulateur répond, il doit faire son diagnostic d’après les éléments que la mère lui donne au téléphone. “Elle vomissait, elle criait et délirait”, témoigne Mme Payan. A l’autre bout du fil, le médecin recommande de laisser la jeune femme se reposer. C’est deux heures plus tard que le Samu arrive au domicile de la patiente pour la ranimer, en vain. “Les experts ont conclu à une myocardite lymphocytaire virale non fulgurante. On ne lui a laissé aucune chance”, commente la mère d’Hélène. Pour ces parents, les médecins qui n’ont pas su diagnostiquer la maladie de leur fille sont fautifs. Ils feront appel, convaincus du bien-fondé de leurs réclamations. En six ans, ils ont réuni une pétition de 15 000 signatures et reçu de nombreux témoignages de soutien.

Ce qui trouble, c’est que dans le même temps, deux cas similaires ont donné lieu à deux autres plaintes contre Médigarde. Dans le même village, quelques mois après le décès d’Hélène, une adolescente de 16 ans se plaint un soir de maux de tête, de vomissement et de boutons sur les jambes. La mère téléphone à Médigarde, qui juge que les maux de la jeune fille sont dus à une allergie et n’estime pas nécessaire d’envoyer un médecin. Le lendemain, elle décède aux urgences de l’hôpital voisin. Autre cas, autre drame. Quelques mois plus tôt, dans un village à 15 kilomètres de là, un garçon de 15 ans souffre de courbatures et de problèmes digestifs. Il est suivi par son médecin, mais un soir, son état s’aggrave. Sollicité, Médigarde n’envoie personne. Le régulateur recommande un anxiolytique et invite les patients à emmener leur enfant chez son médecin le lendemain. Envoyé par son généraliste en urgence à l’hôpital, le garçon y décèdera dans l’après-midi.

A l’époque, des voix s’élèvent parmi les élus locaux. “L’ARS (…) a décidé de ce qui nous était imposé : le monopole à Médigarde 57, la plateforme téléphonique dite de “régulation”, “tenue” par une association aux mains de quelques-uns, peut-être d’un seul que tout le monde “craint” : “il a des appuis très puissants, faites attention” me dit-on partout”, écrit Patrick Luxembourger, maire de Terville (Moselle) en mai 2012 dans l’édito du journal de sa commune.

 

“Eviter le plus possible l’envoi d’un médecin sur place”

En 2011, trois médecins, lassés des dysfonctionnements, tentent même de créer une structure parallèle à Médigarde. Mais après quelques mois d’existence et une action en justice pour une histoire de logo sur leurs voitures “24/24 Médecins 57” jette l’éponge. “Il n’est pas impossible qu’il y ait un contexte d’intérêts financiers pour préserver le monopole de Médigarde”, écrivait alors Jean-Louis Masson, sénateur de Moselle. “Si le monopole de Médigarde donnait toujours satisfaction et si les personnes qui contactent le 15 n’étaient jamais confrontées à des difficultés, on pourrait le comprendre. Ce n’est pas le cas”.

“En Moselle, Médigarde tergiverse pour retarder et éviter le plus possible l’envoi d’un médecin sur place”, pointait Jean Louis Masson dans une proposition de résolution pour la création d’une commission d’enquête. Et de relever que dans le département voisin de la Meurthe-et-Moselle, dont la population est pourtant inférieure de 25%, deux fois plus d’actes ont été réalisés pendant la PDS qu’en Moselle. “Ce dossier date de 6 ans, avec des statistiques de 2010 !”, répond aujourd’hui le Dr Alain Prochasson, responsable de Médigarde Lorraine, président de la CSMF de la région. Et trésorier national de la CSMF. On ne peut contester le fait que les chiffres datent et ont peut-être évolué en quatre ans, mais l’ARS n’a pas de données plus récentes à fournir.

“En cherchant un peu vous pourriez retrouver des affaires semblables lors de la création des “Centre 15″ il y a 20 ans ! Personne n’a remis en cause l’existence de ces centres de régulation reconnus comme indispensables pour l’efficience de la réponse aux appels médicaux”, se défend le Dr Prochasson.

 

Numéro unique pour la PDS

Aujourd’hui, non-lieux et procédures pénales en cours obligent, les propos sont plus mesurés et le débat s’oriente davantage vers l’efficacité de la régulation téléphonique. “La question que je me pose ne porte pas sur Médigarde, indique le sénateur Jean-Louis Masson. La situation est plus ou moins viciée d’un département à l’autre, mais je pense qu’il faut une réforme d’ensemble. Le principe de la régulation téléphonique est une source d’aléas.”

S’il tient à préciser qu’en aucun cas il ne porte de jugement sur les décisions médicales de ses confrères, le Dr Smadja, secrétaire général de SOS Médecins France, pointe la question de l’effection. “Ce cas pose le problème de la régulation sans maîtrise de l’effection derrière. A SOS, on régule d’un côté mais c’est nous qui maîtrisons l’effection quand on a besoin d’aller faire un acte médical au chevet du patient, ce n’est pas découplé.”

Dans le cadre de la future loi santé et de la réforme des urgences, Marisol Touraine envisage de mettre en place un numéro d’appel unique pour la PDS en ambulatoire. Reste à espérer que cette réorganisation à l’échelon départemental ou régional permettra de faciliter le travail du corps médical. Et rassurer les familles.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier