Réuni dans sa plus haute formation de jugement, soit un parterre de 17 juges, le Conseil d’Etat a suivi les préconisations du rapporteur public et a statué, mardi après-midi, contre le maintien en vie de Vincent Lambert. Il soutient en cela la première décision médicale prise par le CHU de Reims, en conformité avec la loi Leonetti, de stopper tout acharnement thérapeutique vis à vis de ce patient en état végétatif depuis six ans. Mais saisie en urgence par la partie de la famille opposée à la cessation du traitement, la Cour européenne des droits de l’homme vient d’exiger le gel de la décision du conseil d’Etat jusqu’à ce que l’affaire soit jugée au fond. Une “obstination déraisonnable” pour le père de la loi sur la fin de vie, Jean Leonetti. “Une attitude proche de la maltraitance” pour le Dr. Kariger, du CHU de Reims, qui avait ordonné en début d’année, la fin des traitements qui maintenaient artificiellement en vie Vincent Lambert.
Très exactement, le Conseil d’Etat a décidé d’annuler la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui en début d’année, saisi par les parents du blessé, s’était prononcé pour le maintien en vie de cet ancien infirmier de 38 ans victime d’un accident de moto, plongé depuis six ans dans un état végétatif du fait de lésions cérébrales irréversibles. Les parents s’opposaient violemment à la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims dirigée par le Dr Eric Kariger, d’interrompre l’hydratation et l’alimentation qui maintenait artificiellement Vincent Lambert, en vie, en accord avec son épouse Rachel, six de ses frères et sœurs et un neveu.
La famille saisit la Cour Européenne
C’est la première fois que la plus haute juridiction administrative française se prononce sur la légalité d’une décision médicale ayant pour conséquence d’entraîner la mort d’une personne par arrêt de son traitement. Néanmoins, la décision du Conseil d’Etat étant prévisible puisqu’ il est extrêmement rare qu’en formation plénière, les juges contredisent les préconisations du rapporteur public, les parents du blessé ont pris les devants. Dès le lundi 23 juin, ils ont préventivement “saisi la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH), pour s’opposer à une éventuelle décision de la justice française en faveur d’un arrêt des traitements”. Cette dernière vient de légiférer en urgence, ce qui est extrêmement rare. Estimant qu’il y a “risque imminent de dommage irréparable”, la CEDH a ordonné dans la nuit, le gel de la décision du Conseil d’Etat, le temps nécessaire pour qu’elle puisse juger au fond. Ce qui revient à dire que la vie végétative de Vincent Lambert pourra être prolongée pendant les deux ou trois ans que peuvent durer la procédure. Les réactions ont été immédiates. “La décision de la Cour européenne revient à infliger à Vincent, un protocole proche de la maltraitance”, a critiqué Eric Kariger, chef du service de réanimation du CHU de Rouen où Vincent Lambert est hospitalisé depuis plusieurs années. Même analyse de la part de Jean Leonetti, dont la loi doit normalement couper court à tout acharnement thérapeutique et obstination déraisonable. “Il s’agit d’une obstination judiciaire déraisonable” a-t-il commenté ce matin sur France Inter.
Le triste feuilleton se poursuit donc, construit sur la fracture familiale irrémédiable séparant le père, la mère, catholiques traditionnalistes ainsi qu’un frère et une sœur de Vincent Lambert, qui n’ont pas été consultés lors de la prise de décision d’interruption du traitement, à son épouse Rachel, son neveu six autres frères et sœurs et le corps médical. Pour sa mère, interrogée lundi par Le Figaro, Vincent est “toujours là”, mais son épouse avait demandé mardi matin , sur Europe 1, “qu’on laisse Vincent partir tranquillement, dignement, accompagné des siens, accompagnés d’amour”. A de multiples reprises, son mari infirmier lui aurait confié son désir de ne surtout pas subir d’acharnement thérapeutique, s’il lui arrivait malheur…
Selon les conclusions d’une expertise menée par trois médecins à la demande du Conseil d’Etat, Vincent Lambert est “en état végétatif totalement inconscient”, a rappelé le rapporteur public le 20 juin dernier. Il a ensuite souligné que les traitements qui lui sont prodigués, “n’ont d’autres effets que de le maintenir artificiellement emmuré dans sa nuit de solitude et d’inconscience”.
Saluant la décision du Conseil d’Etat, qui réaffirme que la situation de Vincent Lambert relève bien de la loi du 22 avril 2005, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a rappelé les principes de la loi Leonetti : le refus de l’acharnement thérapeutique, la prise en compte des souhaits du patient, qui doit être au cœur de la décision. Et enfin, la priorité donnée au soulagement du patient ainsi qu’à l’accompagnement de sa famille. “Le Conseil d’Etat réaffirme enfin que chaque situation est unique. Celle de Vincent Lambert est et restera singulière. Aucune décision de limitation de traitement ne doit être systématique mais elle doit toujours être replacée dans un contexte par définition unique” fait valoir la SFAP.
La loi Leonetti sur la sellette
C’est dans ce contexte particulièrement lourd, à quelques heures de la décision du Conseil d’Etat, qu’est tombée mardi après-midi la réquisition de l’avocat général de la Cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques, demandant cinq ans de prison avec sursis, sans interdiction d’exercer, à l’encontre du Dr Nicolas Bonnemaison, ex-urgentiste bayonnais, accusé d’avoir empoisonné 7 patients en fin de vie, dans son service. Très soutenu par des soignants, par les familles des patients décédés et même l’ancien ministre de la Santé Bernard Kouchner, l’homme a reconnu sa faute d’avoir passé outre les préconisations de la loi Leonetti imposant une décision collégiale à l’interruption des traitements palliatifs.
La loi Leonetti de 2005, précisément, qui se trouve dans ces deux affaires, sur la sellette. De l’avis même de son inspirateur, le député Jean Leonetti, la loi se suffit à elle-même, mais elle est mal connue et donc mal appliquée par les équipes soignantes. Le gouvernement n’est pas tout à fait du même avis, suivant en cela les engagements du candidat Hollande d’aller plus loin que le cadre de cette loi, pour envisager la possibilité d’une aide active à mourir lorsque les patients incurables en font la demande et que leurs souffrances physiques ou morales sont insupportables.
Doutes sur la volonté du gouvernement de statuer
Telle est en tout cas la version officielle. Dans les faits, plusieurs observateurs doutent de la volonté réelle du gouvernement de soulever d’ici la fin du quinquennat, un débat aussi clivant dans la société française. Mais pour l’heure, après que la mission Sicard se fut penchée sur le sujet l’an passé, puis que le relai a été passé au Comité consultatif national d’éthique et que l’Académie de médecine s’est également prononcée, le gouvernement vient de charger deux députés qui se connaissent et se respectent, Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) de proposer, d’ici la fin de l’année, des aménagements consensuels à la loi. Faut-il y croire ?
Un écran de fumée pour l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) de Jean-Luc Romero. Dans un communiqué, l’association se dit “trahie par la décision du gouvernement de confier à l’un des plus farouches opposants à la légalisation de l’aide active à mourir, Jean Leonetti, la mise en œuvre de la proposition” du candidat Hollande.
L’ADMD en appelle aux parlementaires “pour voter enfin une loi d’ultime liberté et ne pas se résoudre à une loi Leonetti de gauche”.
Les parents de Vincent Lambert auteur de la requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, viennent de demander par l’lintermédiaire de leur avocat, que leur fils soit transporté dans un autre service que celui du Dr. Kariger.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne
Modifié mercredi 25 juin à 9 h 50.