Environ 70 000 personnes sont nées en France grâce à un don de sperme. Parmi elles, Audrey Kermalvezen, avocate spécialisée en droit de la bioéthique, présidente de l’association Procréation médicalement anonyme*, qui a appris à 29 ans son mode de conception. À la suite de cette découverte, Audrey Kermalvezen a mené une véritable enquête, qu’elle raconte dans son livre Mes origines : une affaire d’État. Elle cherche à comprendre pourquoi l’État interdit l’accès à leurs origines aux enfants concernés.
 

 

Egora.fr : Comment avez-vous vécu la révélation de votre mode de conception ?

Audrey Kermalvezen : Au départ, mal. Je n’ai pas compris que mes parents me le disent aussi tard et, surtout, qu’on ne puisse pas m’en dire plus sur le donneur. Mes parents m’ont d’ailleurs expliqué que cela les a freinés, car ils se doutaient bien que je poserais des questions sur le donneur et qu’ils ne pourraient rien m’en dire. Puis je me suis aperçue que mes parents, comme tous les autres couples qui ont eu recours à la procréation médicalement assistée [PMA], ont été encouragés par les responsables des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme humains [Cecos] à ne jamais rien dire à leur enfant. Quelque part, c’est à eux que j’en veux, car ils auraient dû avoir un rôle de conseil vis-à-vis des parents en souffrance d’enfants. Aujourd’hui encore, les couples ne sont pas systématiquement informés des effets délétères pour l’enfant d’être tenu dans l’ignorance de son mode de conception. Or, ce ne sont pas des secrets qu’on peut tenir. Un secret de famille, ça transpire. Je ne savais pas comment j’étais conçue, et pourtant je me suis spécialisée en droit de la bioéthique…

Les arguments des médecins sont avant tout des principes. Ils disent que les liens sociaux, l’amour doivent primer. Comme si c’était le sujet ! Certains affirment que le donneur ne doit surtout pas entrer dans notre vie. Mais il en fait déjà partie ! Par définition, c’est un acteur originel de notre vie. Les personnes qui cherchent leurs origines ne recherchent pas un père, et d’ailleurs le droit prévoit déjà qu’aucun lien de filiation ne pourra être établi entre un donneur et les enfants issus de ses dons.

Une partie des psychologues des Cecos prétendent que ceux qui veulent connaître leur donneur sont uniquement ceux qui ont appris leur mode de conception tard. Mon mari et ses sœurs, également nés par PMA, l’ont toujours su. Sa sœur m’a dit un jour que j’ai eu de la chance de l’apprendre tard car cela m’a permis de vivre normalement pendant vingt-neuf ans. Pour eux, le fait d’avoir toujours su les a interrogés toute leur vie. C’est à 19 ans que mon mari est allé voir ses parents pour leur demander son dossier, persuadé qu’il y en avait un. Ce n’était pas le cas, il n’en revenait pas.

 

Vous avez également demandé à voir votre dossier. Une démarche compliquée…

J’ai dû faire un procès à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris [AP-HP] pour obtenir “une bribe” de mon dossier, car l’institution n’a pas respecté une décision de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) qui lui imposait de me le donner. Il s’agit d’une fiche sur laquelle sont inscrits les noms de mes parents, leur couleur de peau, leur taille, poids, couleur des yeux, couleur et forme des cheveux. Sur la deuxième page, il y a toutes les dates où ma mère s’est fait inséminer. Ces deux pages, c’est tout ce à quoi j’ai droit… Je ne dispose d’aucune information sur le donneur, et par exemple je n’ai pas le droit de savoir si mon frère et moi avons ou non le même géniteur (mes parents n’ont pas cette information). Certains donneurs sont prêts à lever leur anonymat, et pourtant ils ne sont pas entendus. Je demande juste qu’on pose la question à mon géniteur pour savoir s’il accepterait ou non que son identité me soit dévoilée. Je ne vois pas comment on peut répondre à sa place. Je ne sais pas ce que craignent les Cecos, je me demande si cela ne couvre pas d’autres intérêts.

 

Certains opposants à la levée de l’anonymat soulignent que cela pourrait réduire le nombre de donneurs. Est-ce le cas ?

Dans les pays qui ont levé l’anonymat, c’est l’inverse qui se produit. En Suède, pays où le don est conditionné par une levée de l’anonymat si l’enfant en fait la demande à ses 18 ans, cela s’est traduit par une baisse des donneurs la première année, mais dès l’année suivante le nombre est revenu “à la normale”, car le profil des donneurs a changé. Ce sont désormais des hommes plus âgés, qui ont déjà des enfants, et qui donnent dans un acte solidaire, responsable et citoyen. Au Royaume-Uni, il y a plus de donneurs depuis la levée de l’anonymat qu’avant. Idem en Suisse. En France, un argument des Cecos est de dire qu’avec la levée de l’anonymat les couples ne vont plus faire de demandes de PMA. Mais c’est faux. Il n’y a eu ni baisse des donneurs ni baisse des demandeurs dans les pays qui n’appliquent plus l’anonymat. Nous trouvons important qu’au moment du don il y ait un anonymat, notamment pour éviter le choix des donneurs sur catalogue. Mais il faut permettre à l’enfant, à sa majorité, un accès à ses origines s’il en a besoin.

Si mes parents avaient soupçonné à l’époque que le recours au don de sperme nous poserait à ce point problème, ils auraient sûrement choisi un autre moyen. À l’association PMA, il y a beaucoup de couples qui veulent recourir à un don, mais ils sont gênés par le caractère irréversible de l’anonymat et souhaitent aller à l’étranger…

 

Outre la nécessité de connaître vos origines, vous soulignez également que la levée de l’anonymat est essentielle pour des raisons médicales : accès aux antécédents médicaux du donneur, éviter une insémination par son propre géniteur, etc. Les pouvoirs publics ne sont-ils pas sensibles à ces arguments ?

Non… On me donne toujours les mêmes réponses en faisant des comparaisons avec les enfants sans père ou issus d’un adultère. Or, la situation n’est pas comparable, car dans notre cas le secret est institutionnalisé. Nous ne sommes pas issus d’un accident de la vie ! Le droit prévoit qu’un médecin peut accéder aux informations médicales sur le donneur si la personne née du don est en “état de nécessité thérapeutique”, c’est-à-dire déjà malade. Ainsi, aucun accès à titre préventif ou diagnostique n’est possible. Certains donneurs de l’association PMA étaient en parfaite santé lorsqu’ils ont donné, mais ont développé ensuite une myasthénie pour l’un et un cancer pour l’autre. Le premier a écrit dans les deux Cecos où il a donné son sperme – il peut donc y avoir au moins vingt enfants issus de ses dons – pour que les responsables en informent les enfants. Ils ont refusé.

J’ai également rencontré un donneur qui avait constitué un dossier avec son épouse pour les enfants qui seraient issus de ses dons, et les Cecos n’en ont pas voulu. Je ne comprends pas cette résistance.

 

Quels sont les contrôles effectués aujourd’hui ?

Les donneurs doivent répondre à un questionnaire oral déclaratif sur leurs antécédents médicaux. Le dépistage des maladies sexuellement transmissibles est également réalisé sur le sperme, ainsi qu’un caryotype. Mais cela ne permet pas de détecter les anomalies génétiques ou encore les cancers. Et puis, surtout, il n’y a pas de suivi des donneurs et donc de l’évolution de leur état de santé. Il n’y a même pas la possibilité pour les donneurs d’informer de l’évolution de leur santé. J’ai juste obtenu, dans la révision des lois de bioéthique en 2011, que si un donneur est soumis à un test génétique le médecin prescripteur peut informer le Cecos du résultat, qui peut alors en informer les personnes issues de ses dons. Mais il s’agit d’une simple faculté, ce n’est pas contraignant. Nous proposons qu’un suivi des donneurs soit effectué par le médecin traitant, qui pourrait alors informer les Cecos d’un problème éventuel afin de bloquer les échantillons de sperme. Par ailleurs, les Cecos suggèrent de prélever l’ADN des donneurs pour que l’on ait une plus grande traçabilité. Nous n’y sommes pas favorables. Nous demandons de l’humain, un visage, pas un pedigree. On ne veut pas uniquement des données non identifiantes. C’est un peu court… Se mettent-ils à notre place ? J’ai besoin, comme tout le monde, de savoir d’où je viens. Et si le donneur est d’accord, qui est-ce que cela dérange ?

 

La recherche de vos origines repose-t-elle sur votre envie d’avoir des enfants ?

Pas exclusivement, mais il est vrai qu’au fil de mon combat j’ai rencontré mon mari, qui est également né grâce à un donneur. Or, nous n’avons toujours pas l’assurance aujourd’hui de ne pas être issus du même géniteur. Il faut savoir qu’à l’époque de notre conception aucune loi n’encadrait cette pratique. Il n’y avait notamment aucune limite au nombre d’enfants susceptibles d’être conçus avec un même donneur. Je me bats surtout pour éviter que d’autres personnes aient à vivre ce que je vis. Je sais que mes chances d’obtenir des résultats sont faibles, même si je ne perds pas espoir. Je me battrai jusqu’au bout. Aujourd’hui, ce que je trouve le plus étonnant c’est qu’on ne nous entende pas alors qu’on n’est pas là pour dire que la PMA c’est mal. Il faut juste remettre de l’humain dans tout cela. Dire que les gamètes sont dépersonnalisées, que c’est un matériel interchangeable de reproduction, je ne suis pas d’accord. On est issu d’humains, même s’il y a eu un apport de la médecine. Les donneurs que j’ai rencontrés ont tous donné leur sperme pour une raison. Il y a toujours une histoire derrière un don. Pourquoi ne pas y avoir accès ? Cela fait partie de notre histoire, et on ne veut pas pour autant s’imposer dans la vie des personnes.

 

Êtes-vous prête à obtenir des réponses ?

Bien sûr ! Quoi que j’apprenne, ça ne pourra pas être pire que ce que j’imagine déjà. Notre quotidien nous ramène constamment à ce sujet. Par exemple, dès que quelqu’un nous dit avoir rencontré une personne qui nous ressemble, on se demande si elle n’est pas issue du même donneur de sperme que nous. Quand je croise des gens à l’association, je m’imagine toujours qu’on peut avoir un lien de parenté. Mais on ne peut pas le savoir, car les tests génétiques sont interdits. Or, on veut juste avoir les mêmes droits que les autres. Avec l’accord du donneur, cela ne fait de tort à personne.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin

 

* L’association PMA (www.pmanonyme.asso.fr) milite pour la reconnaissance d’un droit d’accès à leurs origines au profit des personnes nées par don de gamètes.