Prévention renforcée, tiers payant pour tous, médecin traitant généraliste ou pédiatre pour les assurés jusqu’à 16 ans, renforcement de la PDS pour améliorer l’accès aux soins, ouverture des actions de groupe, Institut des Patients… L’architecture de la loi santé qui a été présentée jeudi matin par Marisol Touraine, ministre de la Santé et Geneviève Fiorasso, secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, procède d’un long travail de concertation en région à partir de la stratégie nationale de santé, présentée l’an passé. Les usagers du système de santé sont sur un piédestal.

 

Depuis que la Stratégie nationale de santé a été présentée en septembre 2013, 160 débats se sont tenus en région sous l’égide des ARS, en complémentarité avec les conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA) et une synthèse de ces travaux a été élaborée par l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Mais le travail n’est pas fini, loin s’en faut. Le projet de loi ne sera présenté qu’en septembre prochain au conseil des ministres. Puis débattu à l’Assemblée nationale et ensuite au Sénat, début 2015. Il ne faut donc rien attendre de concret avant le début 2016, mais “de nombreuses mesures techniques sont nécessaires, des négociations sont en cours ou à venir : elles n’attendront pas la loi pour se mettre en place. Elles devront être prêtes au moment où ce texte entrera en vigueur”, a prévenu la ministre de la Santé ce matin. A commencer par la phase de généralisation du tiers-payant pour 2017, qui concerne aujourd’hui les patients en CMU, AME et ALD. Le comité technique a été installé, et la dispense d’avance de frais devrait bénéficier aux patients titulaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS) dès l’an prochain.

 

Du galon pour les ARS

Le tiers-payant pour tous s’insère dans le chapitre de la loi concernant la mise en place d’un “service territorial de santé au public”, qui doit faciliter la “structuration territoriale des soins primaires” en s’attaquant à cinq domaines clefs : les soins de proximité, la permanence des soins, la prévention, la santé mentale et l’accès aux soins des personnes handicapées. Les Agences régionales de santé vont encore prendre du galon, car c’est sur elles que reposera le renforcement de l’accès aux soins. C’est vers elles que les acteurs de soins primaires, les médecins traitants et tous les professionnels libéraux, hospitaliers ou du domaine médico-social, devront se tourner pour proposer des “organisations pertinentes prenant en compte les expérimentations déjà lancées et les réalités de terrain”. Pour la ministre “le rôle des ARS doit être renforcé. Elles pourront orienter leurs financements. Par exemple, pour être autorisées, certaines activités seront conditionnées à la participation de leur titulaire à la permanence des soins”…

Le tiers-payant devrait permettre de lever l’obstacle financier, dès 2017, et pour faciliter l’accès continu aux soins, “l’enjeu de la permanence des soins”, la ministre annonce la mise en place d’un numéro d’appel unique à 3 chiffres dans chaque département pour la garde en ville, qui sera “le repère dans l’accès aux soins de nos concitoyens”. Par ailleurs, un portail web (également accessible par téléphone), décliné régionalement par les ARS, permettra aux usagers de recueillir toutes les informations en santé qu’ils recherchent.

 

DMP, le retour

Le parcours de soins, c’est la “coordination”, a insisté Marisol Touraine. Au sortir de l’hôpital, chaque patient se verra remettre une lettre de liaison (éventuellement dématérialisée), à destination du médecin traitant notamment. Les patients chroniques devront par ailleurs, bénéficier d’un programme personnalisé de soins. Des plateformes territoriales d’appui seront mises à disposition des professionnels par les ARS, pour faciliter la prise en charge des patients les plus complexes.

Le gouvernement envisage également de relancer le dossier médical, dont la maîtrise d’œuvre sera confiée à l’assurance maladie (et non plus à l’ASIP comme précédemment). Ce dossier médical partagé intégrera l’enjeu de la messagerie sécurisée, et donnera accès aux professionnels, à un thésaurus de connaissances actualisées des dernières données de la science.

Cette évolution vers le parcours de soins organisé conduira à une “évolution progressive et négociée des modes de rémunération des professionnels, et des établissements de santé”. Mais les négociations en cours devront impérativement déboucher sur du concret avant la fin du mois de juillet, a prévenu la ministre, sauf à subir les foudres d’un règlement arbitral !

Le second recours est réservé à la médecine spécialisée en ville ou à l’hôpital, public ou privé. La loi consacrera un service public hospitalier rénové, indivisible, conçu comme un “bloc d’obligations” auxquelles devront souscrire les établissements privés à but non lucratif ou à but lucratif, s’ils respectent ce bloc.

La ministre s’est également engagée à “clarifier” les conditions de l’exercice libéral privé à l’hôpital, et encadrer l’intérim, qui est devenu “un véritable marché de mercenaires”. En outre, la loi rendra obligatoire les groupements hospitaliers de territoire, qui permettront la mutualisation de certaines fonctions.

Des expérimentations sur la tarification seront menées et une “gouvernance rééquilibrée” devrait mettre de la cohérence dans l’exécutif, avec la “claire volonté de mieux traduire, dans le respect des attributions du chef d’établissement, le caractère nécessairement médical de la gouvernance hospitalière”.

 

Médecin traitant jusqu’à 16 ans, pédiatre ou MG

Nouvelle gouvernance aussi pour une “politique de santé plus performante”. Les services de l’Etat et l’assurance maladie, aujourd’hui comme chiens et chats, sont priés de travailler ensemble car “il n’y a qu’une seule politique de santé et chacun doit y contribuer pour sa part”, a bien souligné la ministre.

La loi engagera dans le même esprit, la rénovation du dispositif conventionnel. La négociation nationale restera le cadre de référence, mais devra s’ouvrir aux adaptations régionales et territoriales.

Mais l’un des piliers de la loi réside dans la prévention, particulièrement dirigée vers les jeunes. Le gouvernement mise sur l’école pour mettre en place, avec le ministère de l’Education nationale, un “parcours éducatif en santé” jusqu’au lycée et depuis la maternelle. “Il s’agit que les enjeux de santé imprègnent les contenu de tous les enseignements” a martelé la ministre en pointant du doigt, l’épidémie de “diabésité” (diabète et obésité) touchant les jeunes. Pour lutter contre ce fléau, elle envisage ainsi la mise en place d’un logo sur les produits alimentaires, décrivant les qualités nutritionelles de l’aliment . Et pour coordonner la politique gouvernementale, y compris en matière de risques environnementaux, un Comité interministériel pour la santé sera créé, tandis qu’un Institut pour la prévention, la veille et l’intervention en santé publique est annoncé.

La loi donnera également la possibilité aux parents, de choisir un médecin traitant pour leur enfant jusqu’à 16 ans, pédiatre ou médecin généraliste. On s’attend à une fronde des pédiatres, qui ont déjà fait savoir qu’ils n’accepteraient pas ce partage des jeunes patients. Et elle ciblera particulièrement les addictions qui touchent la jeunesse : le tabagisme, l’alcoolisation. Et facilitera l’accès à la contraception d’urgence.

Une politique de réduction des risques sida sera développée vers les populations éloignées des soins, comme les personnes incarcérées, tandis que la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) sera généralisée.

Une mission se met à l’étude pour étudier la faisabilité d’une expérimentation de salles de shoot.

Derniers chapitres de la loi : l’innovation et la démocratie sanitaire. La loi veut mettre en place un “écosystème” favorable à l’innovation : raccourcissement des délais concernant les essais cliniques à promotion industrielle, de 18 à 2 mois, généralisation du dispositif de la convention unique à l’ensemble des catégories d’établissements de santé. Mise en place de nouveaux métiers pour les professions paramédicales à pratique avancées, notamment les infirmiers cliniciens, extension du rôle et de la place des sages-femmes qui pourront participer à la prise en charge des IVG médicamenteuses.

 

Quels moyens ?

Les “imperfections” du dispositif de DPC seront corrigées et le mouvement d’ouverture des donnés de santé, l’open data, sera prolongé.

Enfin, pour donner plus de tonus à la démocratie sanitaire, un Institut du patient est envisagé. La loi mettra en place le principe d’une représentation des patients dans toutes les ARS, au sein de la commission des usagers.

Enfin, un droit nouveau pourrait être envisagé, pour faire face aux dommages sériels : l’instauration d’une action de groupe (class action), pour que nos concitoyens “ne soient plus seuls face à la puissance de certaines industries”.

Les affirmations dynamiques et péremptoires de la ministre : “Il y aura un avant et un après”, réforme “durable”, “structurante”, “mobilisatrice”, “innovante”, etc. n’ont recueilli de la part des syndicats médicaux, que des commentaires blasés ou déçus. Au “flou” de la réforme qui ne répond pas à la crise traversée par le système de santé, brocardé par le SML, a résonné en écho, de la part de l’UNOF-CSMF, la comparaison déplaisante avec la loi Hôpital, patients, santé et territoire et l’ étatisation du parcours de soins imaginé par Roselyne Bachelot. Jean-Paul Ortiz, le président de la CSMF enfonce le clou, en regrettant, dans Le Figaro, “une volonté de détruire la convention médicale nationlae pour placer les médecins libéraux sous l’autorité des préfets sanitaires des ARS”.

Quant à la mise en place du tiers-payant généralisé, qui porte la réforme, il déchaine les passions de tous, et génère des accusations de dérive des dépenses, tout en noyant les praticiens sous la paperasse. Ce sera une “opposition frontale” de la FMF, une lutte sans merci, prévient l’Union française pour une médecine libre (UFML), tandis que, plutôt enclin à approuver la loi, MG France prévient que son syndicat n’acceptera qu’un mécanisme simple et non pénalisant en temps pour le médecin généraliste. Mais consensuellement tous les syndicats se demandent avec quels moyens, cette belle réforme verra le jour. Silence radio du ministère de la Santé, sur ce point.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne