En 1795, alors qu’il autopsie le corps du fils de Louis XVI, le docteur Pelletan a l’idée saugrenue de glisser le cœur du jeune dauphin dans sa poche, et le conserve chez lui. Mais, 15 ans plus tard, un de ses élèves dérobe le précieux organe. Le cœur vit ensuite une incroyable odyssée au fil des années.

 

En juin 1795, la terreur règne dans Paris. Le roi de France, Louis XVI, et sa femme la reine Marie-Antoinette ont été emprisonnés et guillotiné. Louis-Charles, dauphin de France a alors 8 ans et il est enfermé depuis des semaines à la prison du Temple. Mais son état de santé se dégrade. Le jeune orphelin maigrit à vue d’œil, les gardiens craignent de le voir mourir.

C’est le docteur Desault qui était chargé de l’enfant. Mais celui-ci meurt le 1er juin. C’est finalement un ambitieux médecin révolutionnaire de l’Hôtel-Dieu qui est appelé à lui succéder, le docteur Philippe-Jean Pelletan. Sans même avoir ausculté l’enfant, le médecin assure aux gardiens de la prison qu’il ne pourra malheureusement rien faire. En effet, Louis-Charles meurt le 8 juin 1795.

 

Il glisse le cœur dans sa poche

Tout naturellement, le docteur Pelletan se charge de l’autopsie, assisté par les docteurs Lassus, Dumangin et Jeanroy. Si la majorité des organes sont sains, les médecins remarquent de nombreux tubercules lymphatiques qui les amènent à conclure à “l’effet d’un vice scrofuleux existant depuis longtemps et auquel on doit attribuer la mort de l’enfant”. Le garçon était tuberculeux.

A la fin de l’intervention, Pelletan s’occupe seul de refermer le corps. Il coupe alors une mèche de cheveux du cadavre, et l’offre à l’officier municipal. Il prélève également le cœur de l’enfant et le glisse incognito dans sa poche. “Je l’entourai de son, l’enveloppai d’un linge et le mis dans ma poche, sans être aperçu”, écrira-t-il quelques années plus tard, des propos repris dans un article du Point. “J’espérais bien qu’on ne s’aviserait pas de me fouiller en sortant de la maison.”

De retour chez lui, il place l’organe dans un vase de cristal rempli d’”esprit de vin” – alcool éthylique. Il le dissimule derrière les livres de sa bibliothèque. Il sait que 8 ou 10 ans plus tard, l’alcool se sera évaporé et que le cœur, desséché, pourra être conservé tel quel. Pelletan le range alors avec d’autres pièces anatomiques, dans un tiroir de son bureau.

Mais en 1810, son incroyable secret lui échappe, et le docteur Pelletan avoue son acte à l’un de ses élèves, Jean-Henri Tillos. Ce dernier dérobe à son tour le cœur et le conserve chez lui. Mais quelques années plus tard, sur son lit de mort, pris de remords, il fait jurer à sa femme de rendre le cœur au chirurgien.

 

La famille Royale n’en veut pas

Pelletan retrouve alors le cœur desséché. Mais lui aussi est pris de remords. En 1828, il veut rendre l’organe et s’adresse aux héritiers de la famille de Louis XVII, les Bourbons. Mais en cette période agitée historiquement, le médecin ne parvient pas à rencontrer Louis XVIII, et doit se contenter de la duchesse d’Angoulême, la sœur de Louis XVII. Celle-ci doute sérieusement des propos de Pelletan. Une enquête est diligentée, le médecin fournit une quantité impressionnante de documents et de certificats, mais rien n’y fait, la famille royale ne veut pas récupérer l’organe.

Lassé, le médecin remet alors le cœur à l’Archevêque de Paris, qui lui promet de le rendre à Charles X, l’oncle du dauphin. Il n’aura pas le temps de tenir sa promesse, le 29 juillet 1830, l’Archevêché est mis à sac. Dans la tourmente, c’est un ouvrier, un certain Lescroart qui s’empare de l’urne. Mais, avant de s’enfuir, un autre insurgé l’attaque, et dans la bagarre la fameuse urne tombe et se casse, l’ouvrier ne parvient qu’à dérober les documents, écrits par Pelletan, qui accompagnaient le cœur.

Quelques jours plus tard, Lescroart se rend chez le médecin, décédé. Il tombe sur son fils Philippe-Gabriel et lui raconte ses péripéties. Les deux hommes retournent à l’archevêché qui a été pillé et, par miracle, sur un tas de sable ils retrouvent le cœur de l’enfant. Le fils du médecin conserve alors le trésor de son père jusqu’à sa mort en 1879, puis le lègue à un ami, l’architecte Prosper Deschamps. Pendant des années, la relique sera transmise de famille en famille, jusqu’en 1895 où elle atterrit chez un certain Edouard Dupont. Ce dernier offre le cœur à un représentant du duc de Madrid, prétendu héritier du trône de France, qui le fait installer dans la chapelle du château de Frohsdorf, près de Vienne.

 

Les cœurs échangés ?

Le cœur ne retrouvera finalement la France que pendant la Seconde guerre Mondiale, où il rejoint le mémorial des rois de France à Saint-Denis.

Seulement, après un parcours aussi rocambolesque, les théories les plus incroyables circulent sur l’authenticité de ce cœur royal. Car, selon certaines rumeurs, le jeune garçon mort à la prison du Temple ne serait pas le vrai dauphin. Ce dernier se serait évadé et aurait été remplacé par un autre enfant. Autre hypothèse, une inversion des cœurs. En effet, l’archevêché de Paris conservait également un autre cœur, celui du frère aîné de Louis-Charles, Louis-Joseph, mort quelques années plus tôt.

Pour résoudre ces mystères, l’historien Philippe Delorme, aidé du généticien Jean-Jacques Cassiman, décide en 2000 d’analyser l’organe. Les séquences ADN mitochondrial obtenues sont comparées avec celles des cheveux de Marie-Antoinette. Résultat, le lien de parenté est évident. Quant à l’inversion des cœurs des deux frères, l’historien réfute l’hypothèse fermement. Des conclusions qui ne satisfont pas du tout les plus sceptiques. Pour en avoir la certitude, il aurait fallu analyser le deuxième cœur, supposé appartenir à Louis-Joseph. Or, il est introuvable depuis 1830.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A. B.

 

[Avec Lepoint.fr, France-pittoresque.com et le blog de Philippe Delorme]