A l’hôpital Georges Pompidou de Garches, le service d’oncologie pédiatrie du Dr Delépine est connu pour ses méthodes alternatives aux essais thérapeutiques. Depuis trente ans, ce médecin plaide pour une médecine personnalisée, refuse les protocoles standardisés, et les résultats sont au rendez-vous. Malgré ça, son service est menacé de fermeture au cours de l’été.

 

Depuis quelques mois, à l’hôpital Georges Pompidou, tout un service est sur le qui-vive. C’est un communiqué de presse de l’AP-HP qui a confirmé une annonce que les médecins et les patients en oncologie-pédiatrie redoutaient : au départ à la retraite du chef de service, Nicole Delépine, le service sera transféré vers l’hôpital voisin Ambroise Paré.

“La manière dont sont pris en charge les patients fait l’objet de controverses depuis plusieurs années. Le départ à la retraite du Dr Delépine conduit à ne pas laisser subsister une unité qui ne respecterait pas les bonnes pratiques”, annonçait l’AP-HP fin avril. La veille, une plainte avait été déposée pour “délaissement d’enfants” contre l’Assistance publique en cas de fermeture du service.

 

Aucun courrier officiel

“C’est cette plainte qui les a fait sortir du bois ! On n’a jamais eu aucun courrier officiel disant que le service allait être fermé. Quand j’ai voulu avoir des informations, on m’a renvoyé au communiqué de presse. C’est comme ça qu’on se parle ? Par voie de presse ?” Le docteur Nicole Delépine est remontée. Car au fond, le problème n’est pas celui d’un changement d’établissement. Pour les médecins et les patients du service, il s’agit de liberté thérapeutique.

Depuis trente ans, cette spécialiste en oncologie pédiatrique a fait un choix. Celui de proposer à ses patients des traitements dont les résultats sont éprouvés et limiter le nombre d’essais thérapeutiques. “Dès les années 80, on s’est rendu compte que le taux de survie à 5 ans des enfants atteints d’un cancer des os était de 40% avec les essais thérapeutiques. On a cherché comment faire autrement. Dans la littérature, je suis tombée sur les travaux du professeur Rosen. Avec son traitement, on est passés à 80% de chances de survie”, explique le Dr Delépine. Des méthodes qui ont fait l’objet de publications, assure le médecin, et qu’elle continue d’appliquer aujourd’hui.

Ce qui pose problème, c’est qu’elles ne correspondent pas aux recommandations de l’Institut National du Cancer (INCa). Le plan Cancer 2014 prévoit de doubler le nombre d’essais thérapeutiques en cinq ans. Hors de question pour le Dr Delépine.Aux recommandations de l’INCa, elle oppose le Code de la santé publique : “le médecin s’engage à assurer (…) des soins (…) fondés sur les données acquises de la science”.

“Nous ne sommes pas contre les essais thérapeutiques en soi. Il est normal que certains les pratiquent”, tient à préciser le médecin. Ce qu’elle réclame, c’est qu’on laisse le choix aux patients d’y participer ou pas. Dans le conflit qui l’oppose aujourd’hui à la direction de l’AP-HP, elle est soutenue par plusieurs associations de parents, qui ont trouvé un slogan pour résumer leur position : “Les essais thérapeutiques, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique”, martèle Bernard Frau, porte-parole de l’association Ametist. Aujourd’hui, le service de Garches est le dernier à les refuser et à plaider pour une individualisation des traitements par opposition à la standardisation des essais thérapeutiques.

 

“On assiste à une robotisation de la médecine”

“On ne peut pas parler de standardisation. Il existe par exemple dans le cas d’une tumeur du rein, au moins six approches différentes”, plaide le président de la Société Française de lutte contre les Cancers et leucémies de l’Enfant et de l’adolescent (SFCE). Une personnalisation loin d’être suffisante pour le docteur Delépine, qui ne conteste d’ailleurs pas la nécessité d’appliquer un même traitement à plusieurs patients si l’on veut pouvoir en comparer les effets.

“Mais dans ce cas il s’agit de faire de la recherche et non plus de la médecine !”, s’inquiète-t-elle. A ses yeux, le sort réservé à son service est emblématique d’une dérive de la médecine actuelle. “On assiste à une robotisation de la médecine. Le médecin doit appliquer ce qui vient d’en haut. On démonte tout ce qui est humanisé. On ne tient plus compte des antécédents du patient, de l’avis de son médecin traitant. On est dans une médecine stalinienne bureaucratisée ! Les médecins n’ont plus le droit de rien sans être menacés de sanctions à tout bout de champ. Voilà la société qu’on laisse aux jeunes générations”, s’emporte-t-elle.

Si des patients viennent parfois de loin pour être admis dans ce service de dix lits, c’est aussi qu’ils sont séduits par cette approche. Un discours humaniste, une verve animée, un attachement à ses patients… Autant de caractéristiques qui valent parfois au Dr Delépine d’être prise pour un gourou par certains, alors que d’autres craignent un “culte de la personnalité”, qui serait préjudiciable à la relation médecin/patient. Des critiques que balaie Nicole Prada, présidente de l’association Ametist. “Il faut bien comprendre que si les patient ne veulent pas quitter le service, ce n’est pas parce que les médecins sont sympas ou parce qu’il y a des petits dessins aux fenêtres. C’est parce qu’ils ont le sentiment d’être bien soignés !”

D’ailleurs l’AP-HP ne conteste pas le taux de réussite du service de Garches. Mais elle note que “ce protocole n’a jamais été soumis à une évaluation par les pairs avant sa mise en place. Les résultats affichés ne sont étayés par aucune évaluation ayant fait l’objet d’une analyse objective et/ou d’une publication dans les dix dernières années”. Pour autant, l’ARS, qui délivre aux établissements des accréditations pour exercer la cancérologie en se basant sur les recommandations de l’INCa, a bien délivré son agrément à l’hôpital Pompidou pour la période 2011 – 2015.

 

“Le débat est celui de l’avenir de la médecine”

Parmi les 180 patients traités chaque année, beaucoup ont connu les services d’autres structures. Et craignent de devoir y retourner si le service du Dr Delépine venait à fermer. Dans un premier temps, le Professeur Bertrand Chevallier, chef du pôle pédiatrique hôpitaux de Paris et d’Ile-de-France-Ouest, avait assuré que les patients transférés à Ambroise Paré qui souhaitaient poursuivre les méthodes particulières dont ils bénéficiaient à Garches le pourraient. “Quant à ceux qui désirent être soignés dans d’autres hôpitaux, nous les aiderons à trouver des services qui acceptent de traiter les jeunes patients avec des méthodes alternatives aux protocoles européens”, assurait-il fin avril. Mais aujourd’hui, ils n’en croient plus un mot. Comment un chef de pôle pourrait-il poursuivre des pratiques que l’AP-HP condamne fermement ?

“Ce qui importe c’est que les patients puissent continuer les traitements qu’ils ont commencé. L’AP-HP en fait une affaire de tambouille administrative, mais on joue avec la vie des gamins”, se lamente Nicole Curtat.

A ce jour, le service d’oncologie pédiatrie de Garches n’a toujours reçu aucun courrier officiel notifiant sa fermeture. Le Dr Delépine, qui devait prendre sa retraite fin juillet, espère pouvoir repousser un peu son départ. “Cette bataille, on va la gagner, garantit Nicole Delépine. Il y aura peut-être une fermeture, mais ce service n’est qu’un symbole. Le débat est celui de l’avenir de la médecine”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier