En 1936, un médecin portugais, le Dr Egas Moniz a eu l’idée de traiter les patients psychiatriques en détachant l’avant du cortex du reste du cerveau au moyen d’une fine spatule glissée juste au-dessus du globe oculaire. La leucotomie frontale trans-orbitaire, aujourd’hui connue sous le nom de lobotomie, a même value au Dr Moniz un prix Nobel.

 

Après la première guerre mondiale, le Dr Moniz est un neurologue reconnu au Portugal et politicien à ses heures. Très vite il s’intéresse à des expériences menées sur des chimpanzés agressifs à qui on avait découpé une partie des lobes frontaux. Curieusement, l’opération semble assagir les pauvres bêtes. En fait elle les mettait surtout dans un état proche de la léthargie. Mais Moniz assure que la méthode peut être efficace sur les humains.

 

Efficace pour soigner l’homosexualité

Alors qu’il n’a jamais touché un bistouri de sa vie, il tente discrètement de pratiquer des leucotomies frontales sur quelques patientes de l’asile de Lisbonne. Sa technique : il perce le crâne de ses patients, sous anesthésie locale, pour isoler le lobe frontal qu’il pensait à l’origine de nombreuses maladies mentales. Pour Egas Moniz, il s’agissait alors de la seule véritable méthode efficace pour soigner la schizophrénie. Il alla même un peu plus loin affirmant que cette opération révolutionnaire était aussi un bon moyen de guérir l’homosexualité. Les résultats, contestés aujourd’hui, lui valurent un succès retentissant dans le monde entier et un prix Nobel de médecine décerné en 1949.

La lobotomie est très vite utilisée un peu partout dans le monde. Le premier disciple de Moniz est un psychiatre américain du nom de Walter Freeman. Il adapte légèrement la méthode en remplaçant la spatule par… le pic à glace. Ce médecin parcourant les Etats-Unis dans un bus spécial à la recherche de malades mentaux à “soigner”. Il a pratiqué au total 3500 lobotomies, sur des schizophrènes, des épileptiques, des dépressifs, dans un respect minimal des règles d’hygiène. 14% des opérés sont décédés après l’intervention du Dr Freeman. Et beaucoup d’autres en sont sortis handicapés, apathiques voire en état végétatif.

Le Dr Freeman est certainement le plus célèbre, mais ce n’est pas le seul. Dans les années 50 aux Etats-Unis, n’importe quel psychiatre peut s’improviser chirurgien et pratiquer des lobotomies. Aux total, 50 000 américains sont passés sur les tables d’opération, et autant en Europe. Parmi les plus célèbres “lobotomisés”, Rosemary Kennedy, la sœur de JFK. Sa famille pensait que l’intervention pourrait lui faire augmenter son QI. Elle en sortira avec un handicap mental massif et restera enfermée dans une institution pendant plus de 60 ans.

Dans le début des années 50, la chlopromazine, un médicament tout ce qu’il y a de plus classique est venu bouleverser la prise en charge de la schizophrénie et a mis un coup de frein à la lobotomie. Un peu plus tard, c’est l’apparition des électrochocs qui la mettront finalement aux oubliettes. Ou presque. Dans certains pays, elle est encore utilisée pour traiter des cas extrêmes, notamment dans les pays scandinaves.

 

Prix Nobel remis en cause

Egas Moniz, lui, décède seulement 6 ans après son Nobel, assassiné par un patient. Mais son prix est vivement critiqué, notamment par les proches des patients concernés. “Comment pourra-t-on faire confiance au comité Nobel tant qu’il ne reconnaître pas une erreur aussi terrible ?” s’interroge la petite-fille d’une patiente lobotomisée, interrogée l’an dernier par la Libre Belgique.

Les détracteurs de Moniz ne cessent de demander que son Nobel lui soit retiré, tout comme l’article le concernant sur le site de la fondation. Des demandes insistantes qui ont poussé les représentants du prix à s’expliquer. Pour Bengt Jansson, porte-parole de la fondation Nobel, il n’y a “aucune raison de s’indigner”. En effet, en 1949, alors qu’aucun traitement ne pouvait agir sur la schizophrénie, la lobotomie a redonné espoir à de nombreux malades et à leurs familles et apparaissait alors comme révolutionnaire.

En 2005, même, un historien de la médecine, le Dr Baron H Lerner, a par ailleurs jeté un pavé dans la mare en publiant une étude sur les vraies conséquences de la lobotomie. D’après lui, dans 10% des cas l’intervention a permis d’améliorer l’état de santé du patient. Alors, la lobotomie, scandale ou avancée pour la neurochirurgie ? Le débat reste entier. En tout cas, les instances du Prix Nobel sont fermes : le nom d’Egas Moniz restera parmi les lauréats.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Scienceshumaines.com, Le blog Déjà vu et Sciencesetavenir.fr]