Depuis le 1er juillet 2013 s’applique une majoration personne âgée (MPA) de 5 euros pour les consultations et les visites effectuées auprès de personnes de plus de 85 ans (80 ans au 1er juillet 2014). Mais cette MPA n’est pas systématiquement appliquée dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

 

“Certains Ehpad en tarification globale refusent de payer la majoration de 5 euros qui existe depuis le 1er juillet 2013, dénonce avec colère Luc Duquesnel, président de l’Union nationale des omnipraticiens français (Unof-Csmf). Certains paient, et d’autres non, arguant des raisons financières.” L’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans un rapport rendu public en mars 2014 portant sur le financement des soins dispensés dans les Ehpad, estime que “la logique selon laquelle l’établissement en tarif global se substitue au patient pour la rémunération des professionnels de santé libéraux conduirait à ce qu’il assume aussi les majorations d’actes (personnes âgées, consultations lourdes) relatives à ses résidents – dès lors qu’il fonde sa politique de rémunération sur les règles conventionnelles”.

 

Obscurité du gouvernement

“Si l’Ehpad est le domicile du résident, même si ce n’est pas vraiment décrété comme tel, alors il est normal que le médecin qui prend en charge un résident dans un système libéral retrouve les mêmes conditions d’exercice que celles lorsqu’il exerce en ville”, ajoute le Dr François Simon, président de la section Exercice professionnel au Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom).

Le gouvernement semble avoir un discours paradoxal sur le sujet, puisqu’une circulaire du 25 février 2014 a été envoyée aux directeurs des établissements ex-hôpitaux locaux pour leur dire qu’il fallait payer la MPA. Cependant, Michèle Delaunay, alors encore secrétaire d’État chargée des Personnes âgées, aurait envoyé le 25 février 2014 également une lettre au président de l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) dans laquelle il est dit que “les conventions régissant les relations entre les professionnels de santé libéraux exerçant en ville et l’assurance maladie […] ne sont pas opposables à l’établissement médico-social lorsqu’un professionnel libéral y intervient”.

Enfin, une circulaire du 28 mars 2014 du ministère de la Santé adressée aux agences régionales de santé (ARS) rappelle que le paiement de la majoration “n’est pas de droit”, mais encourage fortement les ARS à inviter les directeurs d’Ehpad à payer la MPA aux médecins libéraux ayant signé le contrat type portant sur leurs conditions d’intervention en Ehpad, et de stipuler à ceux rencontrant des problèmes financiers de se mettre en lien avec les ARS.

“Pour le moment, nous prenons notre mal en patience, souligne le Dr Duquesnel. Mais nous conseillons aux médecins généralistes d’envoyer leurs factures aux directeurs d’Ehpad pour faire valoir leurs droits rétroactivement une fois que ce sera plus clair.”

“Le débat autour de la MPA est très complexe, estime de son côté le Dr Philippe Marissal, président du Syndicat national des généralistes et gériatres intervenant en Ehpad (Sngie), rattaché à MG France. Entre la circulaire et la lettre, la situation est paradoxale, et indirectement la lettre de Michèle Delaunay laisse supposer que, comme la convention n’est pas opposable, les médecins peuvent donc, eux aussi, appliquer les tarifs qu’ils souhaitent.”

 

Rares sont les fois où une convention d’honoraires a été signée

En cas de refus de paiement de la MPA, MG France conseille aux médecins d’obtenir une trace légale de ce refus et de sa motivation, et donc d’adresser à l’Ehpad une demande de règlement par lettre recommandée avec accusé de réception. Théoriquement, une convention d’honoraires précisant les bases de la rémunération des interventions doit être soumise par l’établissement au médecin. Ce document peut prévoir de calquer la rémunération sur la base des tarifs conventionnels, mais peut aussi définir des tarifs supérieurs.

Actuellement, la loi qui a fixé la tarification globale des Ehpad permet aux directeurs de ne pas respecter les tarifications conventionnelles. Cependant, si le médecin dispose d’un document prévoyant l’application des tarifs conventionnels, alors, d’après MG France, la MPA devient conventionnelle et s’applique. Mais rares sont les fois où une convention d’honoraires a été signée. Le syndicat estime que les tarifs conventionnels doivent quand même s’appliquer, car l’Ehpad demande généralement au médecin de remplir une feuille de soins – et non une simple note d’honoraires, alors que cela ne concerne en principe que les relations avec les caisses dans le cadre de la convention. De plus, les Ehpad appliquent l’article 13-1 de la nomenclature en n’acceptant de payer qu’une seule majoration de déplacement dans le cadre du passage du médecin en visite.

“L’Ehpad ne peut sélectionner les éléments qui l’arrangent dans la convention, estime MG France. S’il refuse de payer une majoration, le médecin est en droit de considérer qu’il n’est, pas plus que lui, soumis aux contraintes de la convention.” En conséquence, MG France appelle les médecins généralistes à facturer tous leurs actes comme des visites dans les Ehpad à budget global. “On est dans notre bon droit”, estime le Dr Marissal. Et d’ajouter : “Le manque de moyens des Ehpad à budget global est un faux problème, car les ARS leur attribuent, par pensionnaire, un montant plus élevé de 10% que pour les Ehpad à tarif partiel.”

 

Médecin traitant à la solde du médecin coordonnateur

Autre polémique parlante concernant les relations entre les Ehpad et les médecins : celle du contrat. Depuis le 1er avril 2011, les médecins libéraux doivent signer un contrat avec le directeur de l’Ehpad portant sur leurs conditions d’intervention. Le Cnom introduit une requête devant le Conseil d’État contre cette obligation, car l’Ehpad étant considéré comme le domicile du résident, le Conseil national estimait que le contrat n’avait pas lieu d’être. Mais le Conseil d’État n’a pas suivi cette position. Une fois le contrat rédigé par le législateur, “nous avons introduit une autre requête contre la possibilité de rupture unilatérale du contrat par le directeur d’Ehpad, fait savoir le Dr François Simon. Partant du principe que l’Ehpad est le domicile du résident, nous estimons que le droit de rétractation du directeur d’Ehpad est contraire aux droits du résident qui a le libre choix de son médecin.”

Ce droit a été retiré des contrats par avis du Conseil d’État du 20 mars 2013. Actuellement, “seuls 30% des médecins ont signé ce contrat, fait savoir Luc Duquesnel. Nous voulons que figure dans le contrat l’obligation pour les Ehpad de respecter les tarifs conventionnels, afin que le document en devienne la garantie, ce qui réglerait le problème. Sans le respect des tarifs conventionnels, nous n’appellerons pas à la signature du contrat. Pourquoi le travail du médecin ne devrait-il pas être rémunéré ? Finalement, ce n’est pas prendre en compte son travail et ne donne pas envie d’aller travailler en Ehpad”.

“Nous avons été destinataires d’une nouvelle mouture du contrat, ajoute le Dr Marissal. Mais pour le moment, le contrat améliore seulement les clauses de résiliation, sinon, il n’y a rien de nouveau.” Et d’ajouter : “Actuellement, on considère le médecin traitant comme une variable d’ajustement qui doit être à la solde du médecin coordonnateur, et la notion de la rémunération n’a toujours pas été abordée. Il n’est donc pas question de signer.” Les pouvoirs publics devraient prochainement proposer un nouveau contrat, et il n’est pas impossible que les syndicats fassent front commun si leurs requêtes ne sont pas prises en compte.

 

MPA : Qu’en disent les Ehpad ?

“Les Ehpad perçoivent soit un forfait soin partiel, soit un forfait soin global, au delà il n’y a pas un centime versé, explique Françoise Toursière, directrice générale de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Le forfait global perçu par les Ehpad n’inclut pas les 5 euros de majoration. De plus, la convention médicale ne prévoit pas que ces 5 euros soient versés pour les interventions en Ehpad, mais seulement pour les visites au cabinet et à domicile. Après, on peut discuter sur la notion de domicile, mais la ministre a redit que la convention n’était pas opposable.”

De fait, la majorité des directeurs refusent de payer la MPA, car en cas de déficit ce dernier n’est pas repris. “Certains ont cédé à la pression des syndicats de médecins, regrette Françoise Toursière. S’ils cèdent là-dessus, ils risquent d’être ennuyés pour d’autres choses.”

Par ailleurs, le courrier de la ministre fait état de négociations entre les directeurs d’Ehpad et les ARS, “mais le forfait soin est fonction du Gmps*, donc je ne vois pas quelles sont les marges de négociation possibles, estime-t- elle. Il n’y a jamais eu d’enveloppe supplémentaire pour le paiement de la MPA. Il aurait fallu que les médecins précisent dans leur convention médicale le paiement de la MPA. S’il y a des modifications, les directeurs appliqueront la loi, à condition que ce soit opposable et qu’on leur en donne les moyens, c’est évident.”

* Gmps : grille de dépendance moyenne de la population hébergée (GMP) convertie en un nombre de points.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin