Le cinéma français s’est très tôt préoccupé de santé publique. La lutte contre l’alcoolisme constitua un premier champ d’intervention dès avant 1910. L’arrivée dans l’Hexagone de la Commission américaine de prévention contre la tuberculose (Mission Rockefeller), en août 1917, marqua le début d’un premier âge d’or qui conduisit à l’émergence d’un cinéma antivénérien au milieu des années 1920. Un moment clé dans l’histoire des mentalités…
 

 

12 août 1925, Antoine Joseph Durafour, ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales, adressait à l’ensemble des préfets la circulaire suivante : “J’ai l’honneur de vous faire connaître que mon Administration, soucieuse de mener à bien la lutte qu’elle a entreprise contre les maladies vénériennes, serait désireuse de donner aux questions de propagande touchant ces affections une plus grande extension.” […]

L’intronisation ministérielle du cinéma antisyphilitique avait été obtenue de haute lutte. À l’origine, rappelle le Dr André Cavaillon, “[…] il était interdit de parler de maladies vénériennes au cinéma, et la censure s’opposait à toute présentation de documents ou de films romancés concernant la syphilis.” Il fallut, pour briser la “conspiration du silence”, recourir aux actualités cinématographiques et rendre compte avec régularité des progrès de la prise en charge hospitalière.

 

Commission de propagande

En décembre 1924, le ministre Justin Godard créait l’Office national d’hygiène sociale qui se dotait, 18 mois plus tard, d’une “Commission générale de propagande” : y étaient représentées, outre les principaux ministères concernés, une douzaine d’associations parmi lesquelles le Comité national de défense contre la tuberculose, la Ligue nationale contre l’alcoolisme et la Ligue nationale contre le péril vénérien. […]

La Commission de propagande joua un rôle central dans l’émergence d’une iconographie antisyphilitique durant la seconde moitié des années 1920. Elle soutint financièrement et intellectuellement plusieurs films ambitieux : Il était une fois trois amis (1927), Les maladies vénériennes et l’armement antivénérien français (1928) et Conte de la mille et deuxième nuit (1929), tous trois produits par l’édition cinématographique française, une société dirigée par le réalisateur Jean Benoit-Lévy.

Les initiatives privées devaient être, quant à elles, agréées par la Commission pour espérer ensuite franchir sans encombre l’obstacle de la censure. Le baiser qui tue (1927), réalisé par Jean Choux sur un scénario du Dr Tartarin Malachowski, obtint par exemple “l’appui officiel du ministère du Travail et de l’Hygiène et du Musée social”, en contrepartie de quelques ajustements. […]

Signe des temps, l’organisme auditionna Marcel L’Herbier le 27 juin 1929. Le célèbre metteur en scène défendit un scénario antisyphilitique intitulé Plaisirs : “C’est un grand drame qui montre comment la vie d’un intellectuel doté des plus beaux dons va, au moment même d’être couronnée des plus éclatants triomphes, s’effondrer soudainement sous le coup d’une de ces terribles infirmités causées à plus ou moins longue échéance par la syphilis, en l’espèce : la cécité.” Approuvé à l’unanimité par la Commission et bien que bénéficiant du soutien financier de la direction de l’Assistance et de l’Hygiène publiques, le projet ne devait cependant pas aboutir.

 

Des “ciné-sans-fin” installés dans des lieux publics

“Il ne suffit pas de posséder de bons films d’hygiène, il faut savoir leur créer des débouchés et méthodiquement les vulgariser”, assurait en 1930 le secrétaire de la Commission de propagande Lucien Viborel. Les associations militantes furent les premières destinataires de ces oeuvres. L’Alliance nationale d’hygiène sociale présenta ainsi Une maladie sociale : la syphilis à l’occasion de son congrès rémois d’octobre 1926. Le 13 décembre 1928, au terme de sa 6e assemblée générale, la Ligue nationale contre le péril vénérien projeta Le baiser qui tue en présence du sous-secrétaire d’État Alfred Oberkirch.

À côté de ces nombreuses présentations officielles, la Commission organisait régulièrement des campagnes d’information, sur le modèle institué à la fin de la Première Guerre mondiale par la Mission Rockefeller. À partir de 1928, des “groupes automobiles de propagande par le cinématographe” sillonnèrent la France, visitant les plus infimes bourgs et y diffusant des échantillons de films antialcooliques, antituberculeux et antisyphilitiques. À Paris et dans quelques villes de province, des appareils dits “ciné-sans-fin” furent même installés dans des lieux publics. Une visionneuse de ce type se trouvait vers 1931 dans la vitrine de l’annexe de l’Office nationale d’hygiène sociale, 68, boulevard Saint-Michel à Paris : chaque soir, de 16 à 18 h, trois courts-métrages antisyphilitiques y étaient présentés en boucle sur un petit écran.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Thierry Lefebvre

 

Retrouvez cet article Le cinéma contre la syphilis – Des débuts prometteurs dans les dossiers “Histoire de la médecine” de La Revue du Praticien, sur www.larevuedupraticien.fr, sous la rubrique “XXe s”.