Les nanomédicaments sont déjà sur le marché, mais à quoi servent-ils réellement, comment fonctionnent-ils, et quels sont les risques qui leur sont liés ? Principalement utilisés pour le moment en cancérologie, ils pourraient à l’avenir transformer radicalement nos conceptions de la pharmacologie, et ouvrir de nouvelles portes en infectiologie cardiologie, imagerie…

 

Du fait de leur taille, qui les rend comparables à une molécule d’ADN ou à une protéine, cent à mille fois plus petites qu’une cellule, les nanoparticules possèdent des propriétés physiques différentes de celles des objets usuels. Evoluant à la même échelle que les mécanismes biologiques de l’organisme, elles sont capables de traverser les barrières naturelles et de pénétrer dans les cellules. Leur principale application thérapeutique, actuellement, est d’assurer le transport des médicaments jusqu’à l’intérieur de la cellule, en les enveloppant dans de minuscules structures, pour les protéger des interactions avec le milieu environnant. L’espoir est de pouvoir amener davantage du principe actif jusqu’à sa cible moléculaire, en évitant qu’il soit dégradé ou qu’il agresse les tissus sains. Les expérimentations foisonnent dans ce domaine. Une recherche avec les mots-clés nanoparticle et drug donne 23000 références sur le moteur de recherche Medline.

 

42 nanoproduits déstinés à la médecine humaine

Mais près de 20 ans après l’arrivée du premier nanomédicament (Doxil, un nanoliposome de la doxorubicine, autorisé par la FDA, en 1995) les nanotechnologies ont-elles tenu leur promesse en médecine ? Peut-être pas si l’on tient compte du nombre relativement limité de nanomédicaments commercialisés. “Quarante-neuf nanoproduits de santé sont actuellement sur le marché dans le monde”, déclarait Laurent Lévy, vice-président de la Plate-forme technologique européenne en nanomédecine (Etpn) et cofondateur de Nanobiotix, à l’occasion de la journée mondiale du cancer 2014. En 2008, on en comptait 36. Ces chiffres proviennent d’une étude réalisée par Bionest Partners pour le les entreprises du médicament (Leem). Parmi les 49 nanoproduits commercialisés, 7 sont des produits vétérinaires et 42 sont destinés à la médecine humaine : 35 médicaments et 7 dispositifs médicaux. Mais si peu de produits ont franchi les étapes jusqu’à la commercialisation, il est important de remarquer qu’il s’agit de médicaments réellement innovants apportant généralement un bénéfice par rapport aux traitements existant.

En France, près d’une vingtaine de nanomédicaments sont sur le marché. La plupart concernent la cancérologie. Par exemple l’Abraxane est une formulation de nanoparticules de paclitaxel-albumine, autorisée pour le traitement des cancers métastatiques du sein et du pancréas. Les cellules cancéreuses ont une appétence particulière pour l’albumine, ce qui va permettre de concentrer le paclitaxel dans la tumeur. La commission de transparence a jugé que l’Abraxane apporte un service médical rendu (SMR) important, mais une amélioration du service médical rendu (Asmr) mineure par rapport au taxol dans le traitement du cancer du sein (médiane de survie sans progression prolongée d’un mois et de survie globale de deux mois, davantage d’effets secondaires).

Beaucoup de nanoproduits font appel à des liposomes, qui ont également l’intérêt de se concentrer dans les cellules cancéreuses. Injectés dans la circulation sanguine, ils ne peuvent pas traverser un endothélium vasculaire normal. En revanche ils passent à travers l’endothélium des vaisseaux tumoraux, dont les cellules sont moins étroitement jointes, du fait de l’inflammation, et pénètrent dans les cellules malignes. La Daunoxome est une dispersion liposomale de daunorubicine destinée au traitement du sarcome de Kaposi chez les patients atteints de sida. Le Myocet, citrate de doxorubicine encapsulée dans des liposomes, est indiqué dans le traitement du cancer du sein métastatique. Il a une moindre toxicité cardiaque par rapport à la doxorubicine et son Asmr a été jugée modérée.

Dans le domaine des anti-infectieux, l’Ambisome, liposome pour l’administration intraveineuse d’amphotéricine B, permet de réduire la toxicité rénale de cet antifungique (Asmr importante). Le liposome se fixe sur la paroi cellulaire du champignon et y libère l’amphotéricine B. La visudyne (Asmr modérée) utilisée pour le traitement de la Dmla est également contenue dans des liposomes qui se lient au cholestérol LDL. La même technique est employée pour le Levemir (Asmr absente), insuline à action prolongée.

 

Eviter la captation hépatique

Ces nanomédicaments de première génération sont soumis à un phénomène d’opsonisation, qui conduit à leur capture rapide par le foie et à leur dégradation. Cette captation hépatique est un atout lorsqu’il s’agit de traiter des cancers du foie. En revanche, elle diminue la quantité de médicaments qui arrive aux autres organes-cible puisque la demi-vie plasmatique est réduite. Pour éviter l’opsonisation, des nanovecteurs de deuxième génération ont été développés qui sont recouverts de polyéthylène glycol (PEG). Ces nanoproduits, dits “furtifs”, échappent à la captation par les macrophages hépatiques. Ils restent donc plus longtemps dans la circulation sanguine et atteignent davantage leurs cibles extra-hépatiques. Le Caelyx, composé de chlorhydrate de doxorubicine encapsulé dans des liposomes pégylés, est disponible en France depuis 1996, notamment pour les femmes ayant un cancer du sein métastatique avec un risque cardiaque augmenté. Dans cette indication, il apporte une Asmr modérée en termes de tolérance cardiaque.

Les nanovecteurs de troisième génération sont encore en phase expérimentale. Ils associent, en plus de la pégylation, une molécule de ciblage, qui peut être le ligand d’un récepteur ou un anticorps dirigé contre une protéine surexprimée dans le tissu visé. Ces vecteurs permettent d’adresser directement le médicament à sa cible, ce qui permet d’espérer une meilleure efficacité, une diminution de la toxicité et une baisse des doses.

Si les candidats sont nombreux, peu de produits dépassent le cap des essais de phase I/II. L’étude de Bionest Partners a permis d’identifier 122 nanomédicaments en développement clinique dans le monde, mais, parmi eux, 17 seulement sont en essai clinique de phase II/III ou III. L’oncologie se taille la plus grosse part (70 produits), loin devant les maladies infectieuses (19) et les maladies cardiovasculaires (7).

 

230 nanoproduits commercialisés ou en cours de commercialisation

Pour Cédric Chauvierre (Inserm Unité 1148), la toxicité potentielle des nanoparticules contribue à expliquer que la recherche soit surtout axée sur la cancérologie. “Il est très compliqué de faire une nanoparticule efficace totalement dénuée de toxicité pour la cellule, remarque-t-il. Dans le cas du cancer, cette toxicité est moins gênante puisque, une fois arrivée à sa cible la nanoparticule doit détruire les cellules malignes”. Au total, si l’on tient compte des 49 nanoproduits déjà sur le marché, il existe 230 nanoproduits de santé commercialisés ou en cours de développement clinique, dont 222 pour la médecine humaine : 157 médicaments et 65 dispositifs médicaux.

L’Europe est très compétitive dans ce domaine, avec 1000 groupes de recherches et 500 PME. En France, une trentaine d’entreprises sont concentrées autour de deux pôles de recherche : l’Institut Galien, à Chatenay-Malabry (92), et Minatec et le CEA-Leti, à Grenoble. Deux nanoproduits, en particulier, développés par des entreprises françaises sont en cours d’essais cliniques en cancérologie. Afin de contourner les mécanismes de résistance à la doxorubicine, constants dans les hépatocarcinomes, l’équipe de Patrick Couvreur (Cnrs, Institut Galien, Paris-Sud) a encapsulé la doxorubicine dans un nanovecteur de première génération, un polymère de nanoparticules biodégradable, formé de polyalkylcyanoacrylate. Ce cheval de Troie permet d’éviter que la doxorubicine soit reconnue par le système de pompes très efficace dont dispose l’hépatocyte pour refouler cette molécule. La liaison étant assez faible, la doxorubicine, une fois à l’intérieur de la cellule, va être relâchée et détruire la cellule. Ce nanoproduit est développé par Bioalliance Pharma, sous le nom de Livatag.

Dans un essai de phase 2, le Livatag administré par voie intraartérielle hépatique a augmenté de 17 mois la survie médiane par rapport à la chimioembolisation transartérielle (32 mois contre 15 mois). Malheureusement l’essai a dû être interrompu en raison de la survenue de détresses respiratoires liées à un syndrome inflammatoire sévère. Un nouveau schéma d’administration a été mis au point, par voie intraveineuse sur 6 heures et en modifiant la dose, pour améliorer la tolérance. A la suite de ces modifications, le laboratoire a obtenu l’autorisation de reprendre les essais, en Europe et aux Etats-Unis. “Un essai international de phase III a débuté en juin 2012, qui devrait inclure 400 patients en échec thérapeutique ou intolérant au sorafénib, a précisé Judith Greciet, directrice générale de Bioalliance Pharma, lors de la conférence de presse organisée pour la journée mondiale du cancer. Les résultats sont prévus pour 2016.” Bioalliance Pharma possède deux autres nanoproduits en phase I de développement, l’un destiné au traitement des mélanomes métastatiques et l’autre à la mucite orale post radiothérapie.

Parfois c’est la nanostructure elle-même qui exerce les effets thérapeutiques. Ainsi le deuxième nanoproduit en essai clinique n’est pas un vecteur de médicaments, mais un radiosensibilisant. Nanobiotix développe des “nanorayons X” (la technologie NanoXray) dans le but d’augmenter l’efficacité de la radiothérapie. Il s’agit de nanoparticules d’oxyde d’hafnium, très denses en électron. Injectées directement dans la tumeur, ces particules (NBTXR3) s’accumulent à l’intérieur des cellules cancéreuses. Au cours de la radiothérapie, elles absorbent les rayons X et permettent d’augmenter considérablement la quantité d’électrons émis lors de l’irradiation. “Cela revient à multiplier par neuf l’irradiation des cellules cancéreuses, alors que les tissus sains ne reçoivent que la dose émise, a observé le Dr Jean-Michel Vannetzel (Clinique Hartmann, 92). Il est ainsi possible de délivrer des doses plus faibles.” Cette technologie a été testée d’abord sur les sarcomes des tissus mous, pour faciliter une exérèse complète. Un essai pilote incluant douze patients a apporté la “preuve de concept”. Il reste maintenant à évaluer le bénéfice de cette méthode. Nanobiotix a annoncé qu’elle espérait obtenir un marquage CE en 2016 dans cette indication. Des essais cliniques ont commencé à démarrer pour les cancers de la tête et du cou et les hépatocarcinomes, tandis que d’autres indications sont en développement préclinique (glioblastome, cancer rectal, cancer de la prostate, carcinomes pulmonaires, cancer du sein). Enfin d’autres formes de NanoXray sont en développement: un gel (NBTX TOPO) pour les radiothérapies postopératoires, le gel étant déposé dans le lit tumoral au cours de l’intervention ; et une préparation destinée à être administrée par voie intraveineuse (NBTX IV), pour les cancers localement avancés.

 

Traiter l’athérome ?

Différentes initiatives ont été prises au niveau européen pour stimuler la recherche translationnelle en nanotechnologie. Le projet NanoAthero, financé par la Commission Européenne et coordonné par Didier Letourneur (Inserm U1148), prévoit la réalisation de plusieurs essais cliniques pour évaluer l’apport de nanosystèmes dans le diagnostic et le traitement des plaques d’athérome et des AVC ischémiques. Un premier essai a débuté aux Pays-Bas, incluant des patients atteints d’athérome carotidien ou aortique, afin de tester l’efficacité d’un corticoïde (prednisolone) encapsulé dans des liposomes pégylés. L’objectif est de stabiliser la plaque en luttant contre les phénomènes inflammatoires locaux. Ce nanomédicament, administré par voie intraveineuse, s’est montré efficace dans des modèles animaux d’athérome. “Nous allons attendre les résultats de cet essai pour optimiser le nanosystème, avec éventuellement des agents de ciblage, précise Cedric Chauvierre. D’autres systèmes sont à l’étude.”

Un essai clinique doit démarrer à l’hôpital Bichat de Paris (Dr Dominique Le Guludec) d’ici 2016, pour évaluer une nouvelle technique d’imagerie des accidents vasculaires ischémiques. Celle-ci fait appel à une nanostructure mise au point à partir d’un composé polysaccaridique extrait d’algue brune (fucoïdane), qui se fixe spécifiquement sur la P-sélectine, protéine exprimée à la surface des plaquettes et des cellules endothéliales lorsqu’elles sont activées. Associée au technétium 99m (99mTc), cette nanostructure permet de visualiser les thrombi en scintigraphie Spect. Cette technique a été validée sur des modèles animaux “L’idée est de détecter de manière précoce, chez des personnes asymptomatiques, des plaques d’athéromes à risque de rupture, afin de les traiter pour les stabiliser”, explique Cédric Chauvierre.

L’équipe de Didier Letourneur mène, enfin, des travaux dans l’espoir d’améliorer le traitement thrombolytique des AVC ischémiques. “L’incidence des AVC augmente, notamment chez les jeunes et chez les femmes, souligne Cédric Chauvierre. Le rtPA (actilyse) a une fenêtre thérapeutique très courte. Notre objectif est d’améliorer ce traitement en l’associant à une nanoplateforme qui se fixerait spécifiquement au niveau du thrombus pour libérer le principe actif sans qu’il quitte le compartiment vasculaire. Nous devons trouver la plate-forme nanoparticulaire susceptible d’associer suffisamment de rtPA sans qu’il soit métabolisé. C’est très complexe car c’est une enzyme qui se dégrade très vite”.

 

Un atout pour la thérapie génique

Une autre application des nanotechnologies ouvre des perspectives totalement nouvelles : l’utilisation de nanovecteurs pour transporter, non plus des médicaments classiques, mais des molécules biologiques telles que des ARN interférents (ARNis), pour inactiver un gène précis. L’équipe de Mark Davis, aux Etats-Unis a mené, pour la première fois, un essai de phase I avec des ARNis vectorisés par des nanoparticules, pour traiter des patients atteints de tumeurs solides (mélanomes). Leurs résultats montrent que les ARNis atteignent bien les cellules tumorales et inhibent le gène visé (Davis ME et coll. Nature 2010).

L’équipe de Daniel Scherman (Université Paris-Descartes, Cnrs UMR 8151, Inserm U1022) a été la première à injecter par voie systémique des ARNis dans un modèle animal d’arthrite (Khoury M. et coll. Arthritis Rheum. 2008). Ces ARNis, dirigés contre différentes cytokines pro-inflammatoires, sont vectorisés par des lipides cationiques formant avec l’ARNis des lipoplexes, capables d’éteindre spécifiquement les gènes correspondants. Plusieurs ARNis dirigés contre différentes cytokines peuvent être incorporés au sein d’une même particule. Ces lipoplexes sont de grosses nanostructures, puisqu’ils font plusieurs centaines de nm de diamètre. Chez l’animal, ils ont entraîné la régression des symptômes inflammatoires. L’équipe a également utilisé des lipoplexes pour véhiculer des ARNis dirigés contre la protéine RANKL et montré qu’ils étaient capables de prévenir l’ostéolyse dans des modèles animaux d’ostéosarcome (Rousseau J. et coll. J. Bone Miner. Res. 2011).

Comme pour les nanomédicaments classiques, le chemin est long entre la conception d’un nanosystème et l’application clinique. “Il y a énormément de recherches, mais très peu de produits arrivent au lit du malade, confirme Cédric Chauvierre. C’est très complexe. Il faut s’assurer de la neutralité des constituants, réussir à mettre suffisamment de produit actif dans le nanovecteur, produire selon les normes de sécurité GLP (Good Laboratory Practice). Il ne faut pas penser que nanoparticule est synonyme de remède miracle. C’est un outil de plus.”

C’est dans le domaine de la recherche et du diagnostic que les nanotechnologies sont les plus présentes. Par exemple, les Uspio (Ultrasmall Super Paramagnetic Iron Oxyde) sont des nanoparticules d’oxydes de fer utilisées comme agent de contraste pour les IRM. En anatomopathologie des nanomolécules d’or ou d’argent permettent de visualiser les composants cellulaires en microscopie électronique. Les biopuces et les techniques de séquençage à haut débit ont révolutionné l’étude des gènes. Les Lab-On-a-Chip “laboratoires sur puce”, sont des laboratoires miniaturisés tenant dans la main, qui permettent de réaliser des analyses automatisées (extraction de l’ADN, amplification par PCR, hybridation) sur quelques nanogrammes d’échantillon. Ce qui requérait plusieurs jours d’analyses en laboratoire peut être réalisé en quelques minutes en cabinet ou au lit du malade. Ainsi, le CEA-Léti, en collaboration avec ST Microelectronics, a développé il y a quelques années le système In Check pour la détection de virus grippaux, en particulier H5N1 et H1N1. Ce système a été utilisé pour le diagnostic de la grippe aviaire.

De très nombreuses recherches sont menées actuellement sur divers ligands dans la perspective de développer l’imagerie moléculaire et le théranostique. Ces nanostructures vont s’attacher à des molécules présentes à la surface ou à l’intérieur des cellules pour pouvoir les visualiser en imagerie et, peut-être un jour, permettre des traitements très précis. Le réseau d’excellence européen d’imagerie moléculaire Emil (European Molecular Imaging Laboratories) coordonne les recherches de 59 laboratoires et six plates-formes européennes dans ce domaine.

 

Des risques à prendre en compte

Stress oxydant, thésaurismoses, toxicité hépatique, réactions pseudo-allergiques liées à l’activation du complément… Les nanoparticules ont leurs risques propres, qui imposent de considérer les nanoproduits de santé comme des médicaments complètement nouveaux, même si le principe actif est déjà commercialisé sous une autre forme. Il est indispensable, en particulier, de vérifier que le produit est complètement biodégradable pour éviter une accumulation dans les organes, qu’il ne puisse pas s’agréger et provoquer des thromboembolies en cas d’injection intraveineuse et qu’il n’entraîne pas d’inflammation ou d’insuffisance hépatique. Des précautions s’imposent aussi pour les personnes qui manipulent ces produits en laboratoires. Une loi entrée en vigueur en 2013 impose de déclarer auprès de l’Anses l’utilisation, la fabrication ou la diffusion en France de substances à l’état nanoparticulaire (à partir d’un poids de 100 g). L’Anses coordonne, par ailleurs, le projet européen de recherche Nanogénotox, pour le développement d’une méthode de détection du potentiel génotoxique des nanomatériaux.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot