Une enquête pénale a été ouverte à la CPAM 78, après une plainte pour abus de confiance visant les délégués FO du comité d’entreprise, également gestionnaires de la mutuelle obligatoire des agents. Les intéressés démentent.

 

Branle-bas de combat à la CPAM des Yvelines. Après plusieurs mois de crise aigüe au comité d’entreprise (CE) de la caisse, la situation explosive a percé les barrières de protection internes et éclate dans la presse. Après Le Parisien qui fait état lundi 26 mai, de “soupçons de malversation à la Sécu des Yvelines”, Le Point a pris le relais et France 3 s’est mis de la partie. Une enquête pénale a été ouverte le 30 avril après la plainte de Ludovic Chudzinski, un agent de la caisse élu au comité d’entreprise, qui n’a pu garder le silence devant les faits dont il a été le témoin. La section délinquance astucieuse du pôle financier du parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur des suspicions d’abus de confiance dont se seraient rendus coupables des élus Force ouvrière du comité d’entreprise et gestionnaires de la mutuelle obligatoire, imposée par la CNAM, la MGEC, depuis 2010 (remplacée par Adréa en novembre 2013). Les élus impliqués démentent.

 

On lui a fait comprendre qu’il “parlait trop”

La CPAM 78 emploie 1 500 salariés et réalisait 2,97 milliards d’euros de dépenses de prestations en 2012. En déficit de 300 000 euros, le CE gère une dotation annuelle de 1,330 millions d’euros. Ludovic Chudzinski a siégé sous l’étiquette FO au CE, jusqu’en février 2013 où on lui aurait fait comprendre qu’il était curieux et qu’il “parlait trop”. Il a été évincé, ce qui l’a au contraire, incité à parler plus.

Dans la deuxième plainte déposée en décembre dernier par Maître Jérôme Karsenti au nom de Ludovic Chudzinski, contre le comité d’entreprise et la mutuelle MGEC, les mécanismes d’un véritable système de détournement de fonds à des fins personnelles, sont détaillés. L’homme aurait été directement le témoin d’achats d’i-pad, d’ordinateurs, de tablettes, de matériel informatique à usage personnel. Certains responsables auraient fait de somptueux voyages, USA, Thaîlande, dans les meilleures conditions, tous frais payés évidemment. Les frais de déplacements (remboursement de la carte de transports, plus frais kilométriques quotidiens notamment) pouvaient frôler 9 000 euros par an, soit un bonus d’environ 800 euros nets par mois, pour quatre personnes (23 000 euros par an). La nièce d’un permanent s’est faite embaucher au CE et a atteint en quelques mois le niveau 5 alors qu’elle n’a pas le bac. Le CE lui aurait d’ailleurs payé son permis de conduire. Un important dossier d’ordre financier au contenu confidentiel, a par ailleurs été remis au Tribunal par le plaignant et son avocat.

La source de cette corne d’abondance ? La dotation du CE et la carte bleue de la mutuelle, dont Alain Bobek est le trésorier, en plus d’être ancien trésorier, président de la Commission vacances du CE et élu FO. Interrogé par Le Parisien, l’homme qui est proche de la retraite, simple délégué syndical au CE depuis les dernières élections de mai dernier et toujours secrétaire de FO à la CPAM, nie farouchement les faits et parle d’accusations “diffamantes”, de règlement de compte syndical destiné à “peser sur le scrutin” passé. Tous les achats cités l’ont été à usage du CE, les frais de déplacement ou de restauration relèvent d’un fonctionnement normal, fait-il valoir dans le quotidien. “Tout le reste est faux et diffamatoire”, assène-t-il. En mai dernier, FO a perdu la majorité absolue au comité d’entreprise de la CPAM.

 

“La carte bleue chauffait quotidiennement…”

“C’est essentiellement à partir de la mutuelle que les détournements ont été les plus importants”, explique Ludovic Chudzinski. “J’ai personnellement vu qu’une liasse de 4 000 dollars avait été retirée pour accompagner un voyage touristique à Miami. Les permanents ne se déplaçaient qu’en taxis, mangeaient tous les jours dans les meilleurs restaurants, la carte bleue chauffait quotidiennement…” Certains permanents ont des trains de vie faramineux, incompatibles avec leurs rémunérations. La mutuelle était utilisée pour tirer et mettre sous pli gratuitement un journal franc-maçon, “La raison”, éditer des tracts syndicaux… explique l’homme, intarissable.

Autre détail, dérangeant : Alain Bobek qui est propriétaire d’une surface de bureau de 120 m2 constituée en SCI dans le 18ème arrondissement de la capitale, la louerait 5 000 euros par mois à… la MGEC, dont il est trésorier, laquelle acquitte cette facture rubis sur l’ongle, dans le cadre de ses frais de fonctionnement.

Exaspéré et très stressé par les pressions dont il a fait l’objet de la part des personnes mises en cause par cette plainte, Ludovic Chudzinski a décidé de diffuser une longue missive à tous les agents de la CPAM, le 2 mai dernier, où il détaille tous ces faits. Lesquels sont souvent corroborés par Nadine Jacob, secrétaire générale CGT de la CPAM 78 qui, elle aussi, en tant qu’opposante syndicale, a eu maille à partir avec l’équipe FO.

“Lorsque nous avons voulu mettre notre nez dans les comptes du CE, qui est en déficit de 300 000 euros, vérifier notamment le détail des frais de déplacement exorbitants que s’octroyaient certains, on nous a interdit l’accès, ce qui est illégal” rapporte cette militante enflammée. En tant qu’élue du CE, elle ne s’est pas jointe à la plainte pour abus de biens sociaux, mais elle enrage de constater que plus aucune intervention ne figure dans les compte-rendu du CE, à la demande de la délégation majoritaire de Force ouvrière. “FO a régné en maître depuis plusieurs années sur le comité d’entreprise. La CGT a alerté la direction à plusieurs reprises ainsi que la fédération Force ouvrière sur ces curieux agissements. Sans aucune réaction”, regrette-t-elle.

 

“La direction ne pouvait rien voir”

Mais la direction n’a pas le pouvoir de vérifier les comptes, le CE est souverain. Elle veille simplement à l’équilibre du budget et vérifie que le déficit déjà assez conséquent, ne s’aggrave pas au fil des années. “Le bilan, l’expertise comptable est fait par des adhérents FO, la direction ne pouvait rien voir” croit savoir Ludovic Chudzinski. Il se murmure néanmoins que la direction de la CNAM a très mal pris le fait d’avoir été brutalement informée par la presse des embrouilles internes qui duraient depuis plusieurs mois au CE de la CPAM 78. Faits qui l’auraient fait “tomber de l’armoire”, expression décidément à la mode.

Maintenant que l’affaire a été portée sur la place publique, les salariés donnent de la voix. Ils demandent la dissolution du CE, réclament des comptes, notamment sur l’importance de la masse salariale (près de 330 000 euros annuels pour une dotation de 1,300 millions d’euros), le montant très élevé des frais de déplacements, qui diminuent d’autant la manne utile pour les salariés de la CPAM. Et se sentant protégé, Ludovic Chudzinski relate toutes les entreprises d’intimidation, mails et SMS menaçants y compris pour sa propre famille, recommandés “fantasques”, tracts nominatifs “diffamatoires” distribués au personnel, lettres anonymes avec lettre découpées envoyée à son domicile et l’on en passe qui se sont abattus sur sa personne depuis qu’il a décidé de ne plus se taire. Il confie être suivi par la médecine du travail.

“Nous attendons les résultats de l’enquête ouverte le 30 avril avec impatience” conclue la déléguée CGT en soupirant, tandis que des rumeurs de garde à vue de certains permanents du CE courent déjà dans la CPAM. 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne