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La chirurgie ambulatoire pour gagner un milliard : pourquoi personne n’y croit

Faut-il croire que l’on va réaliser 1 milliards d’économies sur les 10 prévus sur l’assurance maladie d’ici 2017, grâce au développement de la chirurgie ambulatoire ? Et qu’un acte sur deux, d’ici deux ans, sera réalisé avec cette prise en charge ? Marisol Touraine s’accroche à ce (vieux) rêve, vivement contesté par l’hospitalisation publique.

 

Comment faire pour trouver 10 milliards d’économies sur l’assurance maladie, d’ici 2017 ? Fouiller dans les tiroirs et reprendre les recettes habituelles en ce genre de circonstances, en les repeignant de la couleur de la nouveauté. Il en va ainsi de la chirurgie ambulatoire, dont le développement est censé rapporter 1 milliard d’économies à l’assurance maladie d’ici trois ans. “Les séjours hospitaliers doivent être moins fréquents et moins long. C’est pourquoi je veux doubler le rythme de croissance de la chirurgie ambulatoire (…) Dès 2016, une opération sur deux pourra être réalisée en ambulatoire” déclarait Marisol Touraine le 24 avril dernier, en dévoilant les détails de son plan de 10 milliards.

 

D’ici 3 ans, 100% des chirurgies de la cataracte

Plus tard, sur Europe 1, la ministre de la Santé précisait sa pensée : “L’ambulatoire n’est pas une baguette magique, mais il faut la développer. Cela permet de faire beaucoup d’économies (…) La chirurgie de la cataracte, on peut se dire que d’ici trois ans, 100 % des actes seront réalisés en ambulatoire.” Cataracte, mais aussi extraction dentaire, arthroscopie du genou, chirurgie des varices, opération des végétations et des amygdales, tout comme la chirurgie du strabisme ou encore la décompression du nerf médian au canal carpien… pour l’instant. Ces indications correspondent en effet parfaitement aux trois conditions nécessitées pour une prise en charge en ambulatoire : “une maîtrise de l’acte, un patient capable de se prendre en charge et un établissement disposant d’un plateau technique organisé en vue de cette prise en charge” expliquait en septembre 2012 dans nos colonnes le Dr. Jean-Patrick Sales, de la direction de l’évaluation médicale, économique et de santé publique de la Haute autorité de santé (HAS).

Car ce que la ministre de la Santé présente comme une innovation porteuse de solides économies n’est que la traduction d’un engagement scellé en 2010 par le gouvernement précédent, lequel a généré un programme national délégué aux Agences régionales de santé (ARS) construit à l’issue d’une concertation nationale où le pourcentage cible de 50 % des actes réalisés en chirurgie ambulatoire en 2016, a été défini “en fonction de la situation de départ des régions et dans une perspective de réduction des écarts entre les régions”. Car non seulement notre pays est assez en retard par rapport aux Etats-Unis où huit opérations sur dix se font en ambulatoire, et vis-à-vis de la Norvège et de la Suède (sept sur dix), mais les disparités entre les régions sont considérables, tout comme elles peuvent l’être entre les établissements, et selon les secteurs d’activité public ou privé.

Il est considéré que le taux moyen de chirurgie ambulatoire atteint 41 %, mais l’hospitalisation privée génère à elle seule 66 % de ce chiffre, et il est fréquent que des écarts de 45 points soient observés entre plusieurs établissements. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), la part des interventions en chirurgie ambulatoire dans les CHU est de plus de 23 % et de plus de 31 % dans les CH.

“Nous sommes en retard ? Il est stupéfiant que les pouvoirs publics pointent notre retard et décrètent l’urgence sur la chirurgie ambulatoire, alors que la pratique était quasiment interdite il y a vingt ans, et que les autorisations n’étaient distribuées qu’au compte- goutte” maugrée le Dr. Xavier Gouyou-Beauchamp, porte-parole de l’Union des chirurgiens de France (UCDF), composante du BLOC. “Il est tout à fait remarquable que l’hospitalisation réalise un tel score, quand on se remémore tous les obstacles qui se sont dressés sur sa route, à commencer par l’obstacle architectural dans les établissements privés. Mais on ne fait que nous montrer du doigt, jamais nous complimenter…”

Il est vrai que la tutelle a mis le booster depuis plusieurs années pour réduire ce retard avec, notamment, la mise en place de la procédure de mise sous accord préalable (MSAP) de l’assurance maladie, l’inscription du développement de la chirurgie ambulatoire dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) liant l’ARS et l’Etat et la définition d’objectifs chiffrés, fixés par les ARS aux établissements.

 

570 millions d’économies seulement

Quant à savoir si le chiffre de 1 milliard d’économies d’ici 2016 est tenable et surtout réaliste… La ministre s’est voulue plus modeste que la Cour des comptes où, dans un rapport de 2013, les magistrats estimaient à 5 milliards d’euros, le potentiel d’économies lié au développement de la chirurgie ambulatoire. Mais Marisol Touraine s’est montrée diablement plus volontariste que la Fédération hospitalière de France (FHF). Dans une étude qui démontre qu’un développement plus important est possible, mais à condition de réorganiser et investir, l’hospitalisation publique chiffre à … 570 millions d’euros seulement, les économies potentielles (réalisation à 100 % des 56 principales interventions, différence entre les tarifs ambulatoires et les tarifs conventionnels)… Prophétie auto-réalisatrice pour la ministre ? La FHF en tout cas, demande aux pouvoirs publics, de fixer des “objectifs crédibles et réalistes” et de défendre l’efficience en favorisant, comme en Amérique du Nord, la chirurgie dans les cabinets de ville pour les actes ne nécessitant pas un environnement de sécurité lourd, de développer également, les hôtels hospitaliers.

“Il faut également revoir la définition administrative de la chirurgie ambulatoire” ajoute le Dr Gouyou-Beauchamp. Aujourd’hui, l’hospitalisation en ambulatoire doit avoir une durée inférieure à 12 heures, sans hébergement de nuit. Ce qui, souligne le chirurgien, exclut pratiquement toutes les urgences de l’après-midi de cette prise en charge. “Ce sont des freins, des bâtons dans les roues. Il faut faire sauter cette barrière des 12 heures. On ne peut pas faire sortir un patient à 3 heures du matin. Il faut un secrétariat, une permanence. C’est impossible alors on ne le fait pas”.

Le libéral regrette également que l’enveloppe de 500 millions d’euros, accordée comme bonus aux établissements privés qui mettent à disposition des malades, des chambres seules pour la chirurgie ambulatoire, n’ait pas son pendant pour les praticiens. Or, souligne-t-il, l’organisation de l’équipe chirurgicale doit être particulièrement performante, sans retards. “Le moindre grain de sable peut tout faire déraper, c’est plus difficile à gérer” insiste-t-il.

 

“Menace un certain nombre de services de chirurgie”

Et puis, tandis que le Dr. Corinne Vons, présidente de l’Association française de chirurgie ambulatoire (AFCA), estime dans Hospimedia.fr, que “l’avenir de la chirurgie est ambulatoire et pratiquement toute la chirurgie est réalisable à plus ou moins long terme de cette manière”, d’autres s’inquiètent cette évolution.

Tel est le cas du Dr. Françoise Nay, présidente de la Coordination des comités de défense des hôpitaux de proximité. Redoutant, toujours dans Hospimedia.fr, que les économies envisagées par le plan de Marisol Touraine portent, pour son volet hospitalier, essentiellement sur les hôpitaux de proximité, au risque de les “fragiliser encore plus”, le Dr. Nay considère que le développement de la chirurgie ambulatoire “menace un certain nombre de services de chirurgie. Déjà, on privilégie la chirurgie ambulatoire dans un certain nombre d’hôpitaux (…) Sauf que maintenir de la chirurgie ambulatoire sans l’adosser à un service de chirurgie permanente, cela risque de limiter énormément le type d’actes proposés”. Et si l’on réduit les coûts de l’intérim, comme la ministre s’y est également engagée, sans parallèlement donner les moyens à l’hôpital de fonctionner par ailleurs, c’est-à-dire faire en sorte que les médecins viennent travailler à la place des intérimaires “cela veut dire que l’on va fermer un certain nombre de structures”, prédit-elle. CQFD.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne