Médecin spécialiste installée en banlieue parisienne, M.L. est aussi blogeuse à ses heures. Dans son dernier billet, elle réagit à la confession d’un de ses confrères fraîchement retraité : “Je ne suis plus rien”… Que devient un médecin qui n’exerce plus ? Qu’a-t-il construit au cours de sa vie qui ne soit pas lié à son travail ? A-t-il pris le temps ? A-t-il eu le droit ?

 

“Dévalorisation de la profession, jugements ressentis comme très durs, critiques répétées de nos manquements et de nos limites, catalogue de nos défauts, nous nageons dans les eaux troubles de la dévalorisation.

Nous avons vécu des années de formation longues, et difficiles, une jeunesse souvent ruinée par les heures de boulot. On nous a patiemment inculqué l’idée que le métier de médecin est un si beau métier, qu’il ne peut en aucun cas être vu comme un simple travail. Ou bien, peut-être nous en sommes nous convaincus nous-mêmes, pour nous rassurer.

 

L’habit médical ne nous quitte jamais

Nous nous heurtons aux limites de nous-mêmes. Médecins nous sommes, et pour la plupart d’entre nous, c’est une identité. Nous pourrons nous définir avec emphase ’habités par la passion du métier’… plus objectivement, c’est juste que nous ne savons pas faire grand chose d’autre. Hors se marier et avoir quelques enfants, nous n’avons pas eu l’opportunité d’aller vers d’autres pôles d’intérêt pendant notre jeunesse, bouffée par l’investissement de temps, par le sacrifice de nos loisirs, par la ténacité de travail. Après coup, il est tard pour trouver d’autres sujets d’intérêt, et puis nous n’avons toujours pas trouvé le temps. De ce fait, être médecin est alors notre vraie et parfois seule valorisation. Nous ne savons pas, ou n’avons plus l’énergie de sortir du rôle pour explorer d’autres champs. Ainsi, l’habit médical ne nous quitte jamais. D’ailleurs, nous nous sentons tenus de répondre à toute demande d’assistance médicale de la part de l’entourage, de nos patients et de nos établissements de santé, y compris hors horaires ouvrables ou de travail. Nous avons imaginé et accepté qu’un glaive, celui de la non-assistance à personne en danger , nous contraigne à ne jamais sortir de nos prérogatives de médecin.

 

Nous sommes nos propres persécuteurs

A côté de ce métier, ce beau métier, ce prenant métier, la vie de beaucoup de médecins est un marécage. Les rivages des intérêts personnels sont secs, et hors la médecine, trop peu de médecins participent activement à une activité extra-médicale.. Beaucoup consacrent leurs loisirs à des actions en rapport avec la médecine. Certains ont, malgré tout, l’extravagance de remplacer des soirées de réunion par des sorties au théâtre, de ne pas être présents en continu, de s’intéresser à des activités non médicales, et alors ils sont souvent critiqués pour leur défaut d’implication. Des médecins capables d’investir d’autres champs de connaissance et d’activité confrontent leurs confrères à la vraie réalité de l’engluement professionnel auquel ils sont pour la plupart asservis.

Nous avons tout un cortège de vilains défauts à vaincre. Mais notre plus gros défaut, notre vraie limite est dans la pauvreté de notre vie extramédicale. En relation constante avec les autres, nous nageons dans les eaux troubles quand il s’agit de la relation à nous-mêmes. Ainsi, le burn-out trouve un terrau fertile dans les esprits obnubilés par la médecine. Ainsi, mon ami B, 67 ans, retraité depuis 15 jours à peine, m’a-t-il dit hier : « je ne suis plus rien ». J’en pleure presque et j’en ai écrit ce post, habitée par l’émotion de cette phrase poignante.

De nombreux médecins expriment ce ressenti d’être dévalorisés, remis en cause, voire carrément persécutés. A force de faire trop de médecine, nous ne savons plus explorer nos propres ressentis, visiter d’autres mondes, sortir de notre métier. A force de ne faire que de la médecine, de ne savoir faire que de la médecine, nous avons juste appris à nager dans les eaux troubles de l’absence de relation à nous-mêmes, de l’enterrement de nos propres émotions, de l’anesthésie de nos intérêts personnels, et nous sommes finalement devenus nos propres persécuteurs.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : M.L.