Demain vieux, pauvres et malades ! Comment échapper au crash sanitaire et social ? est le titre du 9ème livre du Dr Sauveur Boukris (éditions du Moment). Le médecin généraliste s’alarme d’une évolution inéluctable de la société dont les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure et apporte ses solutions.

Dans votre dernier livre vous vous en preniez à l’industrie pharmaceutique, cette fois ci vous vous attaquez à l’Etat…

(Rire) Je suis un médecin observateur et j’ai l’esprit critique. Ce que je raconte dans mes livres est toujours le fruit de mon expérience. Ce dernier livre est un ouvrage d’observation, que tout médecin pourrait faire. Nous allons devenir de plus en plus vieux, malades et pauvres… Face à ce constat, il faut trouver des solutions. Je dis dans le livre qu’il y a urgence à agir et que les pouvoirs publics doivent s’attaquer à cette urgence.

Demain vieux, pauvres et malades ! Comment échapper au crash sanitaire et social ? Le titre de votre livre n’est pas un peu alarmiste ?

Non. C’est un cri pour attirer l’attention mais le livre n’est pas alarmiste. Malheureusement, c’est une réalité. Il s’agit de données statistiques et épidémiologiques. 0n gagne un trimestre par année de vie. La durée de vie moyenne est de 83 ans chez la femme et 78 chez l’homme. L’allongement de la vie est un fait. Il s’accompagne d’une augmentation des maladies chroniques. Cela va poser un problème à l’Etat parce qu’il faudra pendre ces malades en charge ; aux médecins qui seront confrontés à une augmentation du nombre de consultations ; et aux malades et à leurs familles parce qu’il y aura pénurie de médecins. Nous vivons avec le paradoxe d’une explosion des maladies chroniques et d’une pénurie de médecins.

Enfin, les gens seront de plus en plus pauvres. Depuis plus de 10 ans, on constate une accentuation de la pauvreté, une baisse du pouvoir d’achat… Le vieillissement, la maladie et la pauvreté sont des facteurs interconnectés. Je pourrais même rajouter, bien que je ne l’ai pas mis dans le titre pour ne pas être encore plus dramatique, la solitude. La solitude est facteur de maladie et de pauvreté.

Même si le constat n’est pas rose, je reste optimiste. Il y a des solutions, mais elles ne tomberont pas toutes seules. Il ne faut pas se résigner, prendre les choses en main. On peut augmenter le nombre de médecins, mettre en place un bouclier sanitaire, agir sur le facteur humain… L’objectif est de vieillir dignement.

Une loi sur l’adaptation de la société au vieillissement devrait être présentée cette année, n’est-ce pas une preuve que les pouvoirs publics prennent la mesure du problème ?

Les pouvoirs publics, face à ces sujets, mettent un mouchoir sur les problèmes. Il y a beaucoup de rapports mais entre les discours et les actes, il y a un grand décalage. Tout le monde est d’accord par exemple pour dire qu’il faut maintenir les personnes âgées le plus longtemps à domicile mais lorsque l’on cherche du personnel, il n’y en a pas assez. Tout le système de fiscalisation qui devait développer l’emploi à domicile est remis en cause. Il y a un grand principe exprimé mais après c’est du chacun pour soi.

On ne parle pas assez du problème de la dépendance alors qu’il va nous sauter à la figure dans quelques années. L’avenir est écrit et pourtant il n’y a pas assez de mesures concrètes. J’exprime ma crainte en tant que médecin.

Qu’attendez-vous des lois “dépendance” ou “adaptation de la société au vieillissement” ?

J’aimerais que l’on développe une assurance dépendance comme il y a l’assurance maladie. Les hommes politiques y pensent, des réflexions sont menées mais rien n’est fait alors qu’en Allemagne, cela existe depuis 20 ans. Il pourrait s’agir d’une cotisation tirée du salaire qui permettrait d’avoir l’assurance pour payer une maison de retraite afin d’avoir les moyens de vivre sa dépendance.

Comment faire dans un contexte où les pouvoirs publics veulent économiser 21 milliards sur l’Assurance Maladie ?

Il y a deux façons de raisonner. On peut se dire que l’on tient compte des réalités et faire une politique en rapport à nos moyens ou bien en rapport à nos besoins. Pour la seconde option, il faut se donner les moyens et orienter nos choix politiques. Après-guerre, la France était dans un état économique catastrophique mais on s’est donné les moyens pour que les gens aient une sécurité sociale, des hôpitaux. On aurait pu dire qu’il n’y avait pas d’argent. Il ne faut pas confondre objectif et moyens.

Aujourd’hui la situation économique n’est pas bonne, il y a des déficits mais il y a des réalités sociétales et quotidiennes. Je suis persuadé que nous avons, malgré tout, les moyens d’y arriver. Il faut se mettre autour d’une table et essayer de trouver une solution qui soit acceptable pour les 20 années à venir. On ne peut pas se permettre de laisser des millions de Français ne pas être suffisamment bien soignés, avec des problèmes de dépendance et des retraites insuffisantes pour pouvoir payer une maison de retraite. Le prix moyen d’un ehpad en région parisienne, c’est 4 500 euros…

Martin Hirsch avait proposé le bouclier sanitaire mais il n’y a pas eu d’échos. C’est pourtant une idée simple qui garantit la prise en charge jusqu’à une certaine somme.

Pensez-vous que les médecins généralistes sont suffisamment bien formés pour traiter les personnes âgées et dépendantes ?

Non, c’est évident. Il n’y a pas assez de cours. Les personnes âgées et dépendantes ne sont pas des patients faciles, ni des malades agréables. D’autant que les généralistes sont débordés. Je propose la solution de libérer le numérus clausus. On a mis en place le numerus clausus en se disant qu’en réduisant le nombre de médecins, on allait réduire le déficit. Il y a eu erreur de diagnostic, cette réforme a été désastreuse, il faut dire stop. Il faut ouvrir les vannes pour qu’il y ait de plus en plus de médecins. Plus on aura de médecins, plus certains se spécialiseront, se positionneront dans des niches. Cela va accroître la qualité de la médecine. Il ne faut pas avoir peur d’une hausse du nombre de médecins. Les besoins médicaux sont en constante hausse. Il manque des cardios, des néphros, des ophtalmos…

Vous occultez le déficit de la sécu, comment rembourser ces praticiens ?

Je l’ai dit dans un précédent livre, le déficit de la sécu est un problème de recettes. Il y a quatre millions de chômeurs en France, c’est quatre millions de cotisants en moins. Le fossé entre les dépenses et les recettes ne fait que s’agrandir avec la hausse du chômage. Si demain, par un coup de baguette magique, le gouvernement arrive à créer 500 000 ou un million d’emplois, il n’y aura plus de problème de déficit.

Personne n’a encore inventé la baguette magique…

Il faut bien trouver les moyens financiers pour pouvoir s’occuper de ces personnes âgées. C’est aussi un modèle de société. Cette évolution est inéluctable. On va devenir de plus en plus vieux, pauvres et malades. Que faire ? Si ce livre permet d’ouvrir un débat, mon objectif sera atteint. Je ne dis pas que j’ai la solution miraculeuse mais on ne peut pas ignorer le problème. Nous n’en sommes plus au stade du rapport. Il faut apporter des solutions. Il faut se donner les moyens de ses objectifs pour ne pas plonger. Il y a urgence à agir avant le crash sanitaire.

Source : www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin