Depuis dix mois, les médecins généralistes d’Angoulême s’insurgent contre le fonctionnement des réquisitions de garde à vue. Réunion après réunion, ils ont tenté de faire entendre leurs critiques. Mais bien qu’effective sur le papier, la réorganisation fait un flop.

 

“Un pas en avant, trois pas en arrière”. C’est ainsi que le Dr Anne Renault, médecin généraliste à Angoulême, résume les dix mois de bataille qu’elle et ses confrères viennent de livrer. Depuis le mois de juin dernier, les généralistes d’Angoulême protestent contre le fonctionnement des réquisitions pour les gardes à vue. “Les médecins généralistes n’entendent plus être désorganisés dans leur travail sans rémunération correspondante, ni porter seuls le poids de cette charge de travail”, souligne le docteur Jacques Battistoni, secrétaire général de MG France qui soutient le mouvement de protestation des praticiens.

La ville ne dispose pas d’unité médico-judiciaire. Les forces de l’ordre ont donc recours à des réquisitions pour qu’un médecin vienne établir les certificats de garde-à-vue ou de décès. Jusqu’au jour où les médecins réquisitionnés en ont eu assez et ont tapé du poing sur la table. “Mon record est de huit réquisitions sur une même journée”, s’indignait le généraliste Louis-Adrien Delarue, à Egora en juillet dernier.

 

“On ordonnait l’hospitalisation d’office”

Les griefs sont nombreux : on réquisitionne les même médecins que ceux qui sont chargés de la permanence des soins (PDS), les généralistes sont les seuls à être appelés, les paiements mettent parfois deux ans avant d’être effectués… C’en est trop. “On a décidé d’aller aux réquisitions, puisque c’est obligatoire, mais on ordonnait l’hospitalisation d’office”, se souvient Anne Renault.

Pourtant, en janvier dernier, ils étaient sortis enthousiastes d’une énième réunion avec le préfet, le Conseil départemental de l’Ordre, l’ARS et l’URPS (Union régionale des professions de santé). “La différence, c’est que cette fois, le Dr Jean-Michel Béral, en charge de la PDS au CNOM était présent. Il a servi de médiateur”, souligne Anne Renault. Une touche d’apaisement dans les discussions qui étaient jusqu’ici plutôt houleuses, et qui permet d’aboutir à un accord encourageant après huit mois de conflit.

Les participants acceptent la mise en place d’un réseau de volontaires, parmi lesquels figureront des généralistes libéraux mais aussi des spécialistes et des médecins salariés. Les forces de l’ordre acceptent de fixer des plages horaires pour solliciter les médecins. “Deux fois deux heures, en fin de matinée et d’après-midi pour nous permettre de nous organiser et de ne pas avoir à déserter notre cabinet sur le champ”, explique le Dr Renault. Pour faciliter cette organisation, le Samu propose d’être appelé au moindre doute, pour donner un avis médical ou intervenir en cas d’urgence.

 

Questions en suspens

Autre point de l’accord, les médecins sollicités ne seront plus ceux qui sont déjà en charge de la permanence des soins. Un local est par ailleurs mis à disposition des praticiens pour un examen médical en bonne et due forme, et plus à même la cellule.

Enfin, summum des négociations, l’URPS propose un montage lui permettant d’avancer le paiement des actes et des astreintes aux médecins, et de se faire rembourser par la suite. Il suffit aux médecins de créer une association liée à l’URPS. Fini les deux ans de délai entre l’acte et le paiement.

“On est sortis de là très enthousiastes”, précise Anne Renault. “On était contents, on avait été entendus”. Si de grandes avancées ont été actées, quelques questions pratiques restent malgré tout en suspens à l’issue de la réunion. Qui organisera les tours ? Quelle sera la rémunération des astreintes ? Comment les médecins non libéraux pourraient-ils être associés au montage de l’URPS ? Des points qui seront précisés lors d’une prochaine discussion, assure-t-on alors.

Les généralistes sont si satisfaits qu’ils proposent de poursuivre le fonctionnement tant décrié sur une période de deux mois pour permettre l’organisation du réseau de volontaires.

Mais, très vite, un point essentiel vole en éclats. « Il y a eu un blocage à l’URPS quand ils ont fait remonter les propositions de création d’une association pour accélérer le paiement », explique le Dr Jean-Michel Béral.

Deuxième désenchantement du côté des généralistes : le recrutement des volontaires. Lors de la réunion de janvier, le CDOM s’était engagé à lancer un appel à volontaire à tout médecin inscrit à l’ordre. “On pensait qu’ils allaient convier tout le monde à une séance d’explication sur le fonctionnement de ce réseau de volontaires, et ensuite permettre aux intéressés de s’inscrire”, se souvient le Dr. Renault. Les généralistes, en trêve, attendent impatiemment que l’information soit diffusée.”Au bout d’un mois, on a reçu un mail flou qui proposait aux volontaires de s’inscrire, ajoute la généraliste. On avait pourtant insisté pour qu’il y ait une réunion d’information préalable ! Il me semble que plus les modalités pratiques sont claires, plus il y a de chances d’avoir des volontaires…”

Le 24 mars dernier, la trêve a pris fin. Aucun réseau de volontaires n’a vu le jour et les réquisitions ont repris. “Le lendemain de la trêve, l’un de nous a encore été appelé !”, s’indigne Anne Renault. Déjà constamment sollicités avant les négociations, les généralistes espéraient ne pas être les premiers à être appelés en cas de reprise des réquisitions. “Il y a deux ans, on était encore 350 médecins inscrits à l’Ordre. Il n’y a pas de raison qu’on fasse toujours appel aux 60 mêmes”, regrette-t-elle.

 

“Il faut toujours qu’on appelle plusieurs médecins avant d’en trouver un qui accepte.”

Depuis le 24 mars, l’ARS n’envoie plus de liste de médecins réquisitionnables aux forces de l’ordre. “On a une liste d’une trentaine de médecins, fournie par le CDOM, indique-t-on au Commissariat d’Angoulême. Le problème c’est qu’il y a des spécialistes sur cette liste. Certains nous disent qu’ils ne peuvent pas venir, parce qu’ils ne sont pas généralistes. Il faut toujours qu’on appelle plusieurs médecins avant d’en trouver un qui accepte.”

Contacté par Egora pour savoir comment était constituée la liste fournie aux forces de police, le CDOM n’a pas souhaité réagir.”Ils estiment avoir fait leur part du travail pour faire avancer les choses”, glisse Jean-Michel Béral.

Après des mois de conflits et de négociations, le dossier semble être revenu à son point de départ. Beaucoup de temps et d’énergie pour un résultat décevant. De toutes parts, l’envie de travailler à une meilleure organisation semble éteinte. “On a fait ce qu’on a pu. Au final, ce n’est pas à nous d’organiser tout ça. Ce sont eux qui ont besoin de nous”, rappelle le Dr Anne Renault, qui ne s’avoue pas vaincue pour autant. “On reste vigilants, assure la généraliste.Si on est réembêtés trop tôt, on reprendra la bataille.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier