Encore 60 % des cabinets de médecins libéraux doivent être mis aux normes d’accessibilité pour l’accueil des personnes en situation de handicap. Certes, des délais pourront être octroyés à ceux qui en font la demande. Mais la grogne monte vis-à-vis du coût et de la complexité des travaux obligatoires à effectuer.

 

“Je suis propriétaire dans mon cabinet, installé dans un immeuble Haussmannien du 17e arrondissement de Paris, au premier étage”, explique le Dr. Gérard Lyon, installé en secteur 2 à Paris depuis plus de 30 ans. “L’ascenseur ne peut pas accepter de fauteuil roulant et il y a une marche à l’entrée de l’immeuble. Je ne peux pas répondre aux nouvelles normes parce que vis-à-vis de la copropriété, je n’ai pas la possibilité de faire des travaux.” Le Dr Lyon se trouve dans la même situation qu’un grand nombre de professionnels de santé, qui ne pourront pas lancer les travaux de mise aux normes du fait de leur coût trop élevé, a fortiori s’ils exercent en secteur 1. “A l’heure actuelle, la majorité des médecins s’en vont ou prennent leur retraite car ils ne peuvent plus payer leur loyer. Il me parait logique que les nouvelles constructions soient aux normes, mais personnellement, d’ici trois ans, je vais être en retraite, je ne vais pas me lancer dans des travaux”. S’il y est contraint, il prendra sa retraite plus tôt. “Il n’est en aucun cas question de refuser de soigner des personnes atteintes de handicaps, d’ailleurs, je vais les voir à leur domicile. Et je pense que des solutions alternatives, comme des consultations au sein de structures adaptées, peuvent répondre au problème”, regrette le Dr Lyon.

Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ! C’est à Matignon, dans des locaux accessibles par un perron, que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait conclu le 26 février, les trois mois de concertation sur l’accessibilité. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, renforce l’obligation d’aménagement des Etablissements recevant du public (ERP) afin de permettre l’accès et la circulation de toutes les personnes handicapées. Tous les ERP devraient être accessibles au 1er janvier.

 

“Des négociations à la va-vite”

Pour les médecins libéraux, la problématique concerne essentiellement les cabinets existants avec, en cause, les coûts de la mise aux normes et la complexité des travaux à réaliser. Malgré tout, à l’issue de 140 heures de réunions, le Premier ministre a affirmé le maintien des objectifs de la loi de 2005. Une loi d’habilitation devait être votée début avril (repoussée pour cause de remaniement), permettant au gouvernement de statuer par ordonnance à l’été 2014 afin de compléter la loi de 2005. L’objectif est notamment d’octroyer des délais pour la mise aux normes, à tous ceux qui en feront la demande via la mesure phare du dispositif : les Agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP), proposés par la sénatrice socialiste de l’Essonne Claire-Lise Campion. Ils permettront aux acteurs publics et privés, qui ne seraient pas en conformité avec les règles d’accessibilité au 1er janvier 2015, de s’engager sur un calendrier précis et resserré de travaux (voir en encadré).

Le Dr Michel Chassang, président de l’Union nationale des professionnels libéraux (UNAPL), a fait part de son mécontentement sur ces négociations qui se sont déroulées à la “va-vite” et à un “rythme infernal”. “Les réunions étaient lourdes au plan physique et psychologique car toutes les propositions des médecins étaient rejetées systématiquement par les associations de patients”, souligne-t-il. Au point que l’UNAPL et l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS), ont quitté la table des négociations.

Il ne faut pas s’y méprendre, déjà 40 % des médecins libéraux ont mis leur cabinet aux normes. “Mais il faut néanmoins raison garder”, souligne le Dr Chassang qui expose les difficultés face aux exigences des pouvoirs publics. “Il n’est pas logique que nous ne puissions bénéficier que d’un délai de 3 ans, alors que les autres structures vont avoir des délais de 6 à 9 ans”, considère-t-il tout en reconnaissant que les Ad’AP devraient permettre en réalité d’avoir un délai de 4,5 ans. L’UNAPL a par ailleurs demandé des mesures de substitution aux travaux avec notamment la création de locaux dédiés adaptés et communs à plusieurs professionnels de santé ou encore la présence d’un aidant au cabinet.

“Les conclusions du Jean-Marc Ayrault ne sont pas très claires sur ce point, néanmoins, il parle de solutions techniques alternatives aux normes réglementaires et il est convenu que cela entrerait dans ce cadre”, précise-t-il. “Nous n’avons pas envisagé la question des aidants, souligne Claire-Lise Campion. Par contre, proposer une salle d’examen qui peut servir à tous, pourrait entrer dans le cadre des solutions alternatives. Mais il faut bien présenter cette solution comme étant accessible à tous, personnes âgées, femmes enceintes, et personnes handicapées. Car si seules les personnes handicapées sont ciblées, la proposition risque d’être rejetée par la Commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité (CCADS). Il s’agit d’une question de non-discrimination et d’universalité de la réponse.”

 

“242 000 euros entièrement à ma charge”

Elément de satisfaction pour les médecins : de nouvelles dérogations aux travaux ont été actées, comme le refus de la copropriété. “La dérogation dépend donc du local et non de la personne, se félicite le Dr Chassang. Avant, ce n’était pas aussi précis.” Mais même pour un propriétaire, les travaux à effectuer peuvent hors de portée.

“Je suis propriétaire de mon local depuis 1992. J’ai fait faire une évaluation pour la mise aux normes et cela me couterait 242 000 euros entièrement à ma charge puisque je suis le seul propriétaire” se désole le Dr. Philippe Hacquard, installé en secteur 1 à Pont-à-Mousson (Lorraine) depuis 1979. Il faudrait mettre un ascenseur pour l’accès aux étages, élargir les portes des toilettes, de la porte d’entrée. “Je ne peux pas repousser les murs ! Le vrai problème c’est pour l’infrastructure”. Le problème semble sans solutions, sauf à construire un autre local. “Je pense que les normes qui nous sont imposées sont trop restrictives. Je peux comprendre les revendications des personnes en situation de handicap. Mais j’en ai trois qui viennent à mon cabinet et qui passent la porte avec leur fauteuil ! Pour les autres, je me déplace à domicile” fait-il valoir. Faire construire une extension du cabinet, cela veut évidemment dire acheter le terrain à côté. “Si je ne suis pas seul, pourquoi pas ! Mais dans quatre ans, je pourrais prendre ma retraite donc… “

Des précisions concernant la dérogation pour motif économique devraient être apportées dans le cadre de la loi. “S’il n’y a pas de dérogation au regard des revenus, il risque d’avoir une disparition des professionnels de secteur 1 qui ont déjà des difficultés à vivre dans les grandes villes, met en garde le Dr Claude Leicher, président de MG France. Il ne suffit pas de faire des dérogations, encore faut-il qu’elles soient appliquées, ce sera notre point de vigilance.”

Pour cette dérogation, “il faut que soit uniquement pris en compte le chiffre d’affaires du cabinet, et non la richesse personnelle du professionnel”, revendique le Dr Chassang qui souhaite également que les travaux soient à la charge du propriétaire qui se doit de louer un local aux normes. “Cela dépend avant tout de ce qui est prévu dans le bail, précise Claire-Lise Campion. Si rien n’est envisagé, cela risque d’être à la charge du locataire. Les futurs baux devront être précis sur ce point.”

 

“Certains ont vraiment joué le jeu”

D’autres mécontentements demeurent du côté des libéraux, notamment le fait qu’aucune dérogation aux travaux pour les médecins arrivant à l’âge de la retraite d’ici trois ans n’ait été envisagée. Quant aux financements, “on ne croit pas à l’aide de la caisse des dépôts et de BIP France, fait savoir le Dr Chassang. C’est de l’enfumage.”

Il propose que les travaux soient assurés par l’assurance maladie via une ligne supplémentaire pour objectif de santé publique “car contrairement à d’autres professions, on ne peut pas répercuter le coût des travaux sur les honoraires”. “Cette solution n’a pas été retenue, fait savoir Claire-Lise Campion. Seuls les deux organismes pourront proposer des financements, et aucune distinction ne sera faite entre acteurs publics et acteurs privés.” Les questions encore en suspens devraient trouver réponses cet été.

“Certains professionnels ont vraiment très bien joué le jeu, relève Pascal Bureau, administrateur de l’Association des paralysés de France (APF) en ajoutant que le gouvernement joue les prolongations pour les mauvais élèves. “Les bons, on ne les a jamais remerciés”. Mais il garde une pique dans sa manche en confiant que ce qui rend l’APF optimiste, ce n’est pas la confiance en ceux qui sont en retard, “mais les sanctions prévues. Si les montants sont importants, cela va avoir un effet mobilisateur pour les plus réticents. Les médecins se réfugient trop facilement derrière le fait qu’ils pourraient faire des visites à domicile alors qu’ils manquent déjà de temps”. Pour l’APF, au-delà de l’aspect chronophage du recours à la visite pour le médecin, cette solution signifierait qu’on exclut les parents handicapés d’enfants valides malades qui ne pourraient pas les accompagner chez le médecin. Ce qui est à leurs yeux “inacceptable”.

 


1. Que sont les Ad’AP ?

Pour les cabinets libéraux – ERP de 5e catégorie – les délais accordés pour la mise aux normes devraient être de 1 à 3 ans maximum. Le dossier d’Ad’AP ou un engagement d’entrer dans la démarche Ad’AP, devront être déposés par les professionnel avant le 31 décembre 2014, et seront validés par le préfet. Le dispositif comportera des points de contrôle réguliers avec des sanctions si les engagements ne sont pas respectés. La fin de l’Ad’AP et le respect des engagements pris par l’opérateur devront être vérifiés, et une amende pourra être appliquée en cas de non-transmission des bilans et attestations finales. Mais un délai supplémentaire pourra être accordé par la CCDAS. Le risque pénal sera suspendu pendant toute la durée de l’Ad’AP.

2. Les sanctions pénales
Le législateur a prévu des sanctions en cas de non application de la loi du 11 février 2005.

  • La fermeture administrative
  • Le délit pénal de discrimination en raison du handicap de la personne, passible d’une amende maximale de 75 000 euros et de 5 ans d’emprisonnement.
  • Les sanctions pénales en cas de non-respect des règles de construction passible d’une amende maximale de 45 000 euros et de 6 mois d’emprisonnement en cas de récidive.

Le recours pénal peut être engagé par toute personne et par toute association de personnes handicapées déclarée depuis au moins cinq ans.

3. Les dérogations à l’accessibilité
La loi du 11 février 2005 a permis aux professionnels de déposer des demandes de dérogations afin de ne pas avoir à réaliser les travaux de mises aux normes. Elles sont reconnues par le préfet après avis de la CCDSA. Des dérogations pour motifs économiques en cas de disproportion manifeste peuvent être accordées à un ERP privé en raison d’une incapacité à financer les travaux d’accessibilité ou en cas d’impact sur la viabilité future de l’établissement par rapport au bénéfice. Il est également prévu que des dérogations puissent être accordées en cas d’impossibilité technique à réaliser les travaux ou en cas de contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin