Ptmg, Cesp, NMR… Derrière ces sigles, on retrouve des professionnels de santé qui se sont lancés dans des contrats ou dispositifs destinés à favoriser les parcours de soins et à lutter contre les déserts médicaux. Leurs motivations sont multiples et leurs engagements divers. Portraits de ces pionniers.

 

La révolution des soins primaires a-t-elle commencé ? Le lancement du Pacte territoire-santé, il y a plus d’un an, a fait naître un nouveau contrat sur le plan national : celui de praticien territorial de médecine générale (Ptmg). En 2013, 180 médecins ont franchi le pas, et 200 nouvelles installations sont prévues pour 2014. Plus de 1500 étudiants ou internes ont par ailleurs opté pour le versement d’une bourse (contrats d’engagement de service public, Cesp) en contrepartie de leur engagement à s’installer dans une zone de désertification médicale.

Alors que le territoire comptera 600 maisons de santé en 2014, l’année sera aussi celle de la “généralisation” des rémunérations d’équipe de soins de proximité, a promis la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Initiées en 2009, les expérimentations des nouveaux modes de rémunération ont accompagné la montée en puissance des structures regroupées, maisons, pôles et centres de santé constitués en sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (Sisa). Elles ont fait émerger des prises en charge innovantes : délégation d’actes, éducation thérapeutique, parcours de soins, télémédecine. Qui sont ces pionniers ? Ont-ils simplement profité d’effets d’aubaine ou leurs pratiques professionnelles évoluent-elles radicalement ?

 

Sophie Mathieu, 28 ans, praticien territorial de médecine générale

Premier praticien territorial de médecine générale de la région Poitou-Charentes, le Dr Sophie Mathieu, 28 ans, originaire de Lyon, avait les idées claires depuis le début de ses études à Poitiers. Elle exercerait la médecine générale en milieu semi-rural et ne se voyait pas multiplier les remplacements, par “frustration de ne pas pouvoir suivre les patients”. Associée depuis quelques mois avec son ancien maître de stage, dans un cabinet à Cenon-sur-Vienne, au sud de Châtellerault, cette jeune installée, “esprit médecin de famille”, a découvert le dispositif par hasard. “Cette installation me faisait peur. Est-ce que j’aurai une patientèle digne de ce nom ? Comment payer les charges ? J’ai pris ce contrat plus comme une assurance parce qu’en fait cela marche bien”, témoigne-telle. Pour l’instant, elle a bénéficié seulement le premier mois du complément de rémunération (de manière à garantir un revenu net mensuel de 3640 euros, si 165 actes par mois sont effectués au minimum). Les avantages en termes de protection sociale (complément de rémunération forfaitisé pendant la durée du congé maternité et délai de carence réduit à 7 jours en cas de congé maladie) font aussi partie des aspects attractifs du contrat, “particulièrement adapté aux jeunes femmes médecins”. Si Sophie Mathieu se voit bien évoluer vers une maison médicale dans quelques années, elle n’a pas du tout l’intention de quitter Cenon-sur- Vienne: “C’est la médecine que je souhaitais exercer”.

 

Jonathan Lyon-Bilger, bénéficiaire de “l’opération wanted”

Qu’est-ce qui a donc pu motiver un étudiant en médecine, originaire de Sanary-sur-Mer (Var), qui a fait ses stages à Marseille, à Avignon et en Corse à venir s’installer à Ainay-le- Château, village médiéval de 1100 habitants, dans l’Allier, à une heure de Moulins? “Je dois bien être le seul”, s’amuse le Dr Jonathan Lyon- Bilger, 28 ans, qui assume néanmoins pleinement son choix. Bénéficiaire de l’”opération Wanted” lancée en 2009 par le conseil général de l’Allier alors préoccupé par une démographie médicale à la baisse et l’augmentation considérable des besoins de santé liés au vieillissement de la population, Jonathan Lyon-Bilger a reçu une bourse lors de son internat. En contrepartie, il s’est engagé à s’installer, dans les trois mois suivant l’obtention de son diplôme, dans une zone de l’Allier considérée comme déficitaire en offre de soins, pour une durée d’au moins six ans. C’est chose faite depuis octobre 2013. Sans regret :”Je voulais une expérience professionnelle en milieu rural, car les cas sont plus intéressants qu’en ville, mais aussi parce que les rapports humains sont plus authentiques à la campagne et parce que certaines charges sont allégées, notamment les loyers modérés”, explique-t-il. Médecin pompier, bientôt médecin correspondant du Samu, Jonathan Lyon-Bilger exerce au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle. “Partir à la campagne, c’est très formateur”, assure-t-il.

 

Audrey Triphose, 28 ans, signataire du contrat d’engagement de service public (Cesp)

Étudiante en deuxième année de médecine à la faculté de Poitiers, Audrey Triphose a signé en février 2014 le contrat d’engagement de service public (Cesp) qui lui permettra de toucher 1200 euros brut par mois. “Je reprends mes études à 28 ans, après avoir travaillé comme attachée de recherche clinique pendant cinq ans. Je viens d’un petit village où il n’y a plus de médecin depuis des années, et cela s’en ressent énormément en termes d’attractivité. Je souhaite exercer en milieu rural, et ce contrat correspondait donc à mes projets et besoins”, explique-t-elle. Jusqu’à la fin de son internat, elle s’engage à s’installer dans une zone définie “Cesp” (où la continuité des soins est menacée) en Poitou-Charentes. “Nous avons des interlocuteurs avec qui discuter de notre parcours, de nos questions et un encadrement intéressant, en vu de notre installation”, souligne cette future généraliste, qui souhaiterait idéalement s’installer dans une maison de santé.

 

Olivier Marchand, créateur d’une maison de santé, postulant aux nouveaux modes de rémunération

Président du Collège interalpin des médecins enseignants et maître de conférences associé, le Dr Olivier Marchand a créé avec sa femme, elle aussi médecin, et deux autres confrères la maison de santé de Domène (Isère), un “petit village gaulois”, autofinancée sur fonds propres. Fondée sur une certaine vision du soin pluridisciplinaire (“on invente notre soigner ensemble”), la structure réunit, outre les médecins, deux infirmières, une neuropsychologue, une psychoclinicienne, une diététicienne, deux orthophonistes, deux orthoptistes et un kinésithérapeute-ostéopathe. Ce postulant aux expérimentations des nouveaux modes de rémunération (NMR) – ces dotations annuelles destinées à financer la coordination des soins primaires – estime qu’il ne doit pas y avoir un pilote et un seul au sein de la structure. “Ici, le médecin, habituellement présenté comme le pivot organisationnel et décisionnel, ne l’est plus. Il est certes garant de la synthèse du dossier médical du patient, pour autant chaque décision se fait conjointement avec les autres professionnels concernés. Il y a beaucoup d’échanges lors des moments non officiels. Nous déjeunons par exemple tous ensemble tous les jours, nous nous connaissons mieux sur le plan humain et apprécions ainsi mieux nos champs de compétence. Concernant l’organisation, nous nous répartissons les tâches entre les treize professionnels. Il y a des coordinateurs différents en fonction des projets et des affinités”, indique-t-il.

Des consultations en duo sont menées (neuropsychologue-médecin, infirmière-médecin, kinésithérapeute- médecin), et il est arrivé que le Dr Marchand accompagne ses patients lors des consultations de spécialistes au centre hospitalier de Grenoble. Plusieurs groupes (bronchopneumopathie chronique obstructive, troubles d’apprentissage, diabète, démence) travaillent à la mise en place de protocoles de recherche, avec des évaluations, avec le concours de thésards de médecine générale. “J’essaie de mixer les projets de recherche entre la fac et la maison de santé”, explique le Dr Olivier Marchand. Ils étaient deux médecins au départ, ils sont aujourd’hui douze professionnels (infirmières, kinésithérapeutes, ostéopathes, podologues, diététicienne, psychologue).

 

Pascal Chauvet, infirmier, co-gérant du pôle santé innovant d’Aulnay

Président de la fédération régionale des réseaux, des maisons et pôles de santé de Poitou-Charentes, Pascal Chauvet est infirmier libéral. Au sein du pôle de santé d’Aulnay, qui réunit depuis deux ans, dans une zone rurale profonde, cinq médecins généralistes, cinq infirmiers, une sage-femme, un ergothérapeute et deux kinésithérapeutes, plusieurs initiatives de coordination ont vu le jour : prise en charge par le pôle de santé d’un certain nombre de séances par patient avec les psychologues, diététicienne et ergothérapeute; mise en place d’ateliers d’ETP ; lancement d’un projet pionnier sur les personnes de confiance, les directives anticipées et les mandats de protection future en collaboration avec une éthicienne; création de parcours de soins Bpco et lombalgie chronique pour un accompagnement au long cours…

Ici, les décisions sont collectives et unanimes. Seules certaines réunions prévues en moyenne tous les deux mois entre les professionnels, les services de tutelle et les différents partenaires (Ssiad, HAD, SSR) sont rémunérés, mais le temps quotidien de coordination ne l’est pas. Une infirmière coordinatrice a été recrutée à temps très partiel. Des consultations en binôme ont été lancées ainsi que des transferts de tâches (pour l’exploration fonctionnelle respiratoire par exemple). “Nous avons un budget qui permet d’innover. Les Enmr ont changé notre pratique quotidienne, on travaille en synergie”, se félicite Pascal Chauvet, cogérant du pôle avec deux médecins et un autre infirmier. Quatre autres cantons des alentours se sont équipés d’un tel dispositif : la force de l’exemple.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Gaëlle Desgrées du Loû