Depuis le mois de février, deux médecins généralistes de SOS médecins Grenoble ont été agressés alors qu’ils effectuaient une visite dans le quartier sensible de La Villeneuve. Aujourd’hui le Conseil national de l’Ordre des médecins va présenter le bilan annuel des agressions dont sont victimes les médecins et les mesures envisagées pour y remédier.

A cette occasion le Dr Cyrille Picco, président de SOS Médecins Grenoble depuis 11 ans explique les mesures prises localement pour lutter contre les attaques de praticiens. Demain, en exclusivité d’Egora, vous pourrez lire le témoignage du premier praticien violemment agressé.

 

Egora.fr : Comment avez-vous réagi à l’agression d’un médecin de SOS en février dernier ?

Dr Cyrille Picco : Dans un premier temps avec stupéfaction. Nous pensions que notre statut de médecin des quartiers nous protégeait. Régulièrement dans ces quartiers la nuit, des jeunes viennent au contact. Lorsqu’on leur dit que nous sommes médecins, nous n’avons jamais de problèmes… Voire ils nous accompagnent. Cela a toujours été un facteur protégeant de décliner son identité. Nous avons donc été stupéfaits d’apprendre l’agression de notre confrère alors qu’il s’était présenté comme médecin. Ce concept s’écroule. Cela n’a pas pesé dans l’agression, ils ont continué à le taper consciencieusement. Nous avons tout de suite fait un retrait pour la nuit en cours. Puis nous nous sommes réunis et nous avons décidé d’un retrait dans le quartier pendant 10 jours. Nous nous sommes mis en relation avec le préfet et le directeur de Samu et le sous-comité médical pour les avertir que nous ne prendrions aucune garde dans le quartier de la Villeneuve pendant 10 jours. Ils ont fait une régulation un peu plus serrée donc cela n’a pas fait trop de désordre.

 

Malgré votre retrait, un mois plus tard vous apprenez qu’il y a eu une nouvelle agression…

Un mois plus tard, un autre médecin est pris à parti par trois grands ados. A la différence de la première agression où notre confrère a été violemment frappé par trois adultes jeunes, là il s’agit d’insultes. Les ados lui demandent son portable. La tension monte et le volume sonore alerte un adulte qui descend et recadre les jeunes qui finissent par s’excuser. C’était vraiment des gamins, mais corpulents… Le médecin a eu peur. Si un adulte n’était pas descendu, on ne sait pas comment les choses auraient pu se finir.

 

Comment avez-vous réagi à cette deuxième agression ?

J’ai écrit au maire de Grenoble, j’ai vu le préfet, la police, nous avons fait une cellule de crise. La police me proposait de nous accompagner. Ce n’est pas ce que nous voulons. D’autant que les visites de nuit en quartiers sensibles représentent autour de 4 000 actes. Nous ne voulons pas être accompagnés 4 000 fois par la police et cette dernière n’a de toute façon pas les moyens de le faire.

J’ai aussi rencontré l’ancien maire de Grenoble avec ses adjoints à la santé et la sécurité, ainsi que le chef de la police. Nous avons convenu de plusieurs axes. Le premier portait sur la médiation afin de faire un travail en amont et expliquer aux jeunes des quartiers qu’il n’est pas très pertinent d’attaquer le médecin. Le deuxième était le financement par la mairie de boitiers PTI (personnels travailleurs isolés). Ces boîtiers GPRS sont reliés aux trois fournisseurs d’accès. Ils ont deux boutons. Le premier déclenche un bruit de 120 décibels, c’est-à-dire le bruit d’un Boeing au décollage. Dans le cadre du premier médecin agressé, cela aurait fait sortir tout l’immeuble et les choses se seraient arrêtées là. Le deuxième bouton appelle la police qui arrive sur place grâce à la géolocalisation du boitier.

Le maire n’a pas été réélu donc j’espère que cette proposition tient toujours. J’en ai la trace écrite. Tout cela à un coût. Le boitier coûte 500 euros. Il nous en faut 25, ce qui fait 13 000 euros. Plus un abonnement de 10 euros par mois qui serait pris en charge par la communauté de communes. J’ai expliqué au maire que je voulais bien financer tout ce qui est médical, mais pas ce qui concerne la sécurité. Ce n’est pas notre travail.

D’autant qu’à la première agression on s’est dit que c’était un accident mais à la deuxième, ça commence à être compliqué. Il ne faudrait pas qu’il y en ait une troisième parce que mes collègues seraient légitimes pour dire stop.

 

Que se passerait-il si vos médecins arrêtaient de soigner dans les zones sensibles ?

Au sein de SOS France, certaines associations ont des zones de retrait. Si le retrait dure plus de deux trois semaines, il n’est plus possible d’y retourner, ni de jour, ni de nuit.

Dans les quartiers difficile de Grenoble, il n’y a plus que nous qui y allons. Même les livreurs de pizza n’y mettent plus les pieds. Sur l’agglomération grenobloise, il y a quatre secteurs de garde qui sont confiés à qui veut bien prendre la garde. Si personne ne la prend, SOS bouche tous les trous. En pratique, nous faisons 99,9% des gardes.

Il faut aussi rappeler que mises à part ces deux récentes agressions, en 24 ans, il ne nous ait jamais rien arrivés. Il peut y avoir des altercations, des disputes mais rien de plus.

 

Les conditions de travail des médecins se dégradent-elles dans les quartiers sensibles ?

C’est surtout la misère dans les quartiers qui est beaucoup plus forte qu’avant. Nous sommes passés de 14 à 25 % de patients en CMU en une dizaine d’année.

 

Si le statut de médecin ne protège plus, est-il devenu une cible ?

Je suis peut-être utopiste mais je ne pense pas. Pendant notre période de retrait, nous avons reçu des lettres de soutien des unions de quartiers, des commerçants, des médecins de centre de santé de la Villeneuve. Je pense quand même que l’immense majorité des gens est reconnaissante du travail que nous effectuons. Globalement, nous sommes appréciés.

 

Les conditions de travail sont-elles différentes pour les femmes ?

Parmi les axes actés avec la mairie, nous avons décidé que l’on pourrait appeler les familles ou des médiateurs de quartier pour qu’ils viennent nous chercher aux voitures car à la Villeneuve, on ne se gare pas au pied des immeubles. Le parking est un peu loin des zones d’habitation. En pratique, c’est très compliqué à faire, cela rallonge les temps de visite mais c’est un outil dont on peut se servir lorsqu’on sent que la situation est tendue. Au-delà de ça, il n’y a pas de conditions de travail différentes pour les femmes.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin