Guy Vallancien et Louis-Marie Houdebine, deux figures respectées de la chirurgie et de la recherche viennent de dénoncer d’une même voix*, lors d’un débat agité, les excès du principe de précaution qu’ils perçoivent comme un terrible frein à l’innovation.

 

Nanotechnologies, antennes-relais… les appels au principe de précaution se multiplient depuis la médiatisation des scandales sanitaires comme ceux du sang contaminé ou de l’amiante. Alors que le gouvernement table en ce moment sur un projet de loi sur les OGM, dont les débats devraient débuter le 10 avril à l’Assemblée, on a vu réapparaître le principe de précaution à la mi-mars lors de l’énième épisode du feuilleton du Mon810, ce maïs génétiquement modifié produit par la firme Monsanto. Les occurrences et les exemples ne manquent donc pas, qu’il s’agisse d’environnement ou de santé.

 

“Avec le principe de précaution, on nous empêche l’innovation”

Mais selon Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche honoraire à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et président de l’Association française pour l’information scientifique, qui a ouvert les débats, ce principe a été détourné de son sens originel : “Le principe de précaution est devenu une stratégie de blocage pour les opposants à telle ou telle chose. Ne devrait-il pas rester au contraire un principe d’action ?” s’insurge ce spécialiste des biotechnologies qui a notamment travaillé sur les animaux transgéniques.

“Aujourd’hui, les pouvoirs publics mettent ce principe en œuvre dès qu’un risque est rendu public par les médias, sans qu’aucun expert ne soit consulté”, regrette le biologiste, qui poursuit : “Cela remet en cause le rôle des experts, à qui les pouvoirs publics font de moins en moins confiance, et réciproquement ! Certes, il faut protéger les lanceurs d’alerte, mais il faut aussi que la société se prémunisse d’eux.”

“Avec le principe de précaution, on nous empêche l’innovation.” Guy Vallancien n’y va pas par quatre chemins. Professeur à l’Université Paris V Descartes, président de l’École européenne de chirurgie et président de CHAM (Convention on health analysis and management), il est lui aussi un fervent opposant. Cependant, il reconnaît la responsabilité des scientifiques dans ce qu’il appelle un “désastre conceptuel (…). On est dans une défiance totale. Nous, les scientifiques, sommes taiseux, nous ne savons pas nous exprimer. Depuis l’affaire du sang contaminé, les politiques frémissent à la moindre occasion, et pendant ce temps, des officines naviguent sur cette jachère”, s’énerve-t-il, dans son complet noir. “Greenpeace, estime-t-il, c’est 170 millions d’euros et un système de gestion totalitaire. Les anti-OGM, c’est la même chose. Ce sont des groupuscules rodés au combat de rue, pendant que nous, nous sommes dans nos labos, devant nos paillasses.”

 

“Je suis moi-même un OGM”

Un constat que partage Louis-Marie Houdebine : “C’est nous qui avons laissé la situation devenir ce qu’elle est, c’est notre faute.” Les deux hommes partagent aussi leur position ouvertement pro-OGM. “Je suis moi-même un OGM. Mes enfants ont en moyenne 30 mutations génétiques par rapport à moi”, explique ainsi Guy Vallancien. Un discours qu’il a développé par ailleurs dans une tribune datée du 14 mars sur son blog “Santé 2020”, hébergé par le site du journal Le Monde : “Ma “supériorité” d’être humain ne tient pas à des arrangements majeurs de mon génome par rapport à celui des autres êtres vivants, écrit-il, mais plutôt à quelques mutations subtiles, mais déterminantes. Je suis, en effet, un organisme génétiquement modifié, oui, un O-G-M, un vrai ! Sujet à des erreurs inévitables dans les mécanismes d’organisation et de reproduction de mes cellules, ne serait-ce qu’en raison statistique de leur nombre.”

Et le chirurgien de s’emporter, sur son estrade, face à un public qui semble abonder dans son sens : “La précaution, qu’il faut distinguer de la prudence, c’est n’importe quoi. On se retrouve avec des politiques ou des juristes qui l’utilisent pour mettre en place des mesures visant à contrer ce qu’ils ne connaissent absolument pas, car ce ne sont pas eux les experts”, explique-t-il. “D’ailleurs, note-t-il encore, j’ai remarqué que seuls les gens sains s’opposent au progrès. Je n’ai jamais vu un malade refuser une innovation, à partir du moment où on l’informe. Le mot cobaye n’est pas vilain ! Cessons d’entendre les colporteurs de peur, comme les arracheurs de vignes ou de maïs, dont on peut s’étonner d’ailleurs qu’ils soient si légèrement condamnés.”

Une main se lève dans la salle. Danielle Salomon est sociologue et spécialiste des crises sanitaires : “Comme vous l’avez rappelé brièvement, le principe de précaution est un principe politique qui permet l’action publique”, intervient-elle. “Certains pays, dont la France, l’ont mis en place à partir de crises sanitaires. Mais la France n’a donné la parole qu’aux scientifiques et aux institutionnels ! Vous parlez de radicalité des opposants, mais il faut se demander d’où elle vient. On n’a jamais donné la parole à ces gens-là. Il faut un modèle d’expression ouvert, des discussions au préalable sur tous ces sujets. Tant qu’il n’y aura pas cela, cette radicalité existera. Au Royaume-Uni, la discussion collective s’effectue en amont, et cela change tout”, conclut celle qui dirige par ailleurs la société Risques et Intelligence.

 

“Arrêtons de parler de scandale à tout-va !”

“Mais les “anti-science” nous empêchent de nous réunir”, lui oppose Guy Vallancien. “Dernièrement, nous avons dû déplacer un congrès sur les nanotechnologies de Grenoble à Genève pour pouvoir être tranquilles”, cite-t-il en exemple. Mais l’intervention de Danielle Salomon fait réagir la salle, une journaliste intervient : “La médecine est une gestion permanente de l’incertitude. Mais on ne peut pas dire, que vous le sous-entendez, Messieurs, qu’un citoyen n’a pas son mot à dire sous prétexte qu’il n’est pas expert. Aujourd’hui un abîme sépare les experts des citoyens lambda, qui pour certains ne comprennent plus la société dans laquelle ils évoluent”, regrette-t-elle.

“Vous avez raison”, lui concède Guy Vallancien. “Et nous devons apprendre à revenir au doute, notamment lors des études de médecine, et non pas à énoncer des vérités. Mais je maintiens que l’expertise a une valeur énorme et que nous ne sommes pas tous sur le même niveau. Moi ce qui me choque, c’est qu’à chaque problème en médecine, on parle automatiquement de scandale. Quand le Rio-Paris ou l’avion de Malaysia Airlines se crashent, on parle d’accident, et les avions ne s’arrêtent pas de voler. Certes, il y a parfois des dérives, mais arrêtons de parler de scandale à tout-va ! Et arrêtons de fustiger les industriels, qui pour la plupart se contentent de bien faire leur boulot”, s’emporte le chirurgien, qui aura eu les mots de la fin.

Le principe de précaution répond à deux obligations : celle, définie en 1995 par la loi Barnier « de ne pas retarder l’adoption de mesures visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles, à un coût économiquement acceptable », puis une deuxième, énoncée en 2005 par la Charte de l’environnement, « une obligation de recherche visant à réduire l’incertitude scientifique. » C’est donc en ce sens et à partir de cette date qu’il devient un principe d’action.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Charlie Vandekerkhove

 

*A l’initiative du Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies médicales), la première édition des Rencontres du progrès médical s’est tenue mardi 25 mars à l’Institut Pasteur à Paris.