Bernard Kouchner est le père fondateur de Médecins sans frontières et Rony Brauman, qui lui succédera, en est le fils rebelle. Tous deux médecins de formation, ils ont fait de l’humanitaire un acte politique. Mais de leur engagement commun ils ont tiré deux visions du monde, comme l’a rappellé un documentaire diffusé dans le magazine “Duels” de France 5, jeudi 13 mars.

 

 

Une dizaine d’années seulement les sépare, tout le reste les oppose. Bernard Kouchner, né en 1939, milite dès la fin des années 50 à l’Union des étudiants communistes, en parallèle de ses études de médecine, où il se spécialise en gastro-entérologie. Son père, juif d’origine lettone, est médecin lui aussi, sa mère infirmière bénévole à la Croix-Rouge. Ses grands-parents, déportés en 1944, ne reviendront pas d’Auschwitz.

Rony Brauman naît en 1950 à Jérusalem, puis acquiert la nationalité française. Après un passage chez les maoïstes de la Gauche Prolétarienne en 1968, il obtient son doctorat en médecine tropicale, santé publique et épidémiologie. Pour lui, l’aventure politique s’arrêtera là, l’engagement se transformant rapidement en vocation pour l’humanitaire. Pour Bernard Kouchner, la politique sera le pendant de l’humanitaire, puis inversement.

 

Clause de confidentialité rompue

1967. Le Biafra s’autoproclame indépendant du reste du Nigéria. Commence une guerre qui fera deux millions de morts. Bernard Kouchner, 22 ans, sort de la fac et s’engage pour venir en aide aux victimes de la famine causée par un blocus militaire. Les jeunes médecins signent une clause de confidentialité leur interdisant de raconter ce qu’ils voient. Ils la rompent pourtant en publiant une tribune dans Le Monde pour dénoncer la situation. “On a découvert à ce moment-là qu’il fallait s’indigner”, explique-t-il face caméra dans le documentaire. Bernard Kouchner, hanté par la neutralité meurtrière de la Croix-Rouge face à la Shoah, fait au Biafra le même constat d’impuissance des organisations humanitaires classiques. Avec quatorze autres volontaires, il crée Médecins sans frontières sous l’œil des médias.

“MSF était vraiment une innovation, l’invention de la médecine humanitaire”, reconnaît Rony Brauman, interrogé lui aussi. “En revanche, ils n’ont pas inventé le témoignage humanitaire, ils n’ont fait que développer la propagande”, regrette-t-il.

 

Le droit d’ingérence les divise

Quand Rony Brauman rejoint l’ONG à son tour, Bernard Kouchner est déjà contesté pour son rapport aux médias. Avec Jean-Paul Sartre et Raymond Aron notamment, il fonde en 1978 le comité “Un bateau pour le Vietnam”, qui envoie des navires secourir en mer de Chine – et à grand renfort de caméras – les réfugiés fuyant la dictature communiste. La scission éclate l’année suivante lors de l’Assemblée générale de MSF, qui provoque le départ de Bernard Kouchner.

Au même moment, Rony Brauman, qui devient président, enchaîne les missions dans les camps de réfugiés entre le Cambodge et la Thaïlande. Loin des caméras, qui suivront Bernard Kouchner sur une plage de Somalie, un sac de riz sur les épaules, entre les rangées de lits en fer dans les camps de travail en Bosnie ou encore au Rwanda, où il est mandaté pour Médecins du monde, qu’il fonde à la suite de RSF.

Mais plus que l’usage des médias, c’est le droit d’ingérence qui divise les deux french doctors. “L’usage de la force, quand on n’est pas menacé directement, pose la question de qui détient le pouvoir”, explique Rony Brauman. “Qui décide que les exactions sont inacceptables ? C’est une question fondamentalement humanitaire.” Bernard Kouchner introduit cette notion grâce au vote d’une résolution de l’ONU, conçue avec le juriste Mario Bettati. “Le choix de l’humanitaire, c’est d’aller du côté des victimes”, martèle-t-il pour justifier ce droit auquel il croira toujours.

 

Compromission avec le politique

Mais ce que Rony Brauman reprochera surtout à son alter ego, c’est la compromission avec le politique. Pour lui, qui privilégie une approche pratique des situations de crise, l’humanitaire est devenu une affaire d’État avec la résolution de l’ONU. Autour de la guerre en Somalie, dès 1992, leur antagonisme atteint son paroxysme : alors que les chefs de guerre détournent l’aide alimentaire et créent une famine, MSF tente de faire baisser les prix des denrées de base pour dissuader les attaques de convoi. Mais la France préfère envoyer des casques bleus. Rony Brauman, qui dénonce alors un “spectacle indécent”, s’énerve : “Les casques bleus ça ne se mange pas !”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Charlie Vandekerkhove