Les croyances individuelles peuvent parfois se révéler difficilement compatibles avec l’obligation de soins, notamment en cas d’urgence vitale. Pour autant, les tensions qui résultent de telles situations sont-elles si courantes ? Éclairage.

 

Témoins de Jéhovah qui refusent des transfusions sanguines, patients catholiques s’opposant à un traitement contre la douleur, femme de confession musulmane récusant un médecin n’étant pas du même sexe que le sien… : en 2003, la commission sur la laïcité présidée par Bernard Stasi, médiateur de la République, publiait un rapport qui soulignait l’augmentation de situations “délicates” en matière d’accès aux soins.

Qu’en est-il dix ans plus tard ? En juin 2013, l’Observatoire de la laïcité, créé en 2007, décrivait dans son rapport d’étape publié en juin 2013 une situation en établissements de santé “globalement apaisée et maîtrisée”. “Il y a eu, à travers le débat public, un rappel des règles de la laïcité, tant auprès des soignants que des patients qui a porté ses fruits”, se félicite Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire.

 


“Des membres du personnel rechignent lorsqu’il s’agit de prendre en compte la religion d’un patient”

Cette analyse – confirmée par le Cnom et des représentants de personnels hospitaliers– fait néanmoins quelque peu tousser Isabelle Lévy*, une formatrice et écrivaine spécialisée depuis 1995 sur les questions de santé et de religion. “Il continue d’exister un double discours. En “on”, devant les micros des journalistes, “tout va bien”. En “off” ? Les cadres et personnels des établissements que je rencontre font souvent état d’une autre réalité, assure la consultante. Dans certains hôpitaux, les tensions sont quotidiennes. Et pas seulement du côté des patients. Des membres du personnel rechignent lorsqu’il s’agit de prendre en compte la religion d’un patient qui n’est pas de la même confession que la leur. Trop de directeurs n’osent pas encore intervenir alors qu’un recadrage immédiat est indispensable.”

Mais, insiste Isabelle Lévy, “toutes les grandes religions jouent le jeu de la laïcité”. Les exigences et attitudes de certains patients relèveraient avant tout… de leurs propres interprétations des textes et rituels. “En l’état, la loi est très protectrice pour les croyants, confirme Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman, en charge de la communication. En principe, il ne devrait y avoir aucune tension.”

Un point de vue partagé par David Elfassi, rabbin et aumônier au sein des hôpitaux de Percy et de Villejuif : “En cas d’urgence vitale, peu importe si les conditions de prise en charge respectent ou non les rituels. Priorité doit toujours être donnée à la vie. Aucune autre obligation ne peut remettre en cause ce principe.”

 

*Menaces religieuses sur l’hôpital, l’enquête. Presses de la Renaissance, Paris, 2011.

 

Un imam auprès des patients hospitalisés

Bien qu’à mi-temps, Saïd Ali Koussay ne compte pas ses heures. Sa première mission ? Aider les patients de confession musulmane qui lui en ont fait la demande à respecter les rituels religieux… Et, si besoin, leur rappeler qu’en la matière les malades n’ont pas les mêmes obligations que les bien-portants. “Pendant le ramadan, il m’arrive d’avoir à expliquer aux malades qu’ils peuvent prendre des médicaments. C’est la sacralisation de la vie d’abord !” L’imam de 72 ans accompagne également les patients dans leur démarche spirituelle, notamment quand la fin de vie approche, et participe aux rites funéraires. Un travail bien singulier pour ce membre du personnel du centre hospitalier d’Avicenne, situé à Bobigny (Seine-Saint-Denis), au carrefour de plusieurs quartiers répertoriés en zones urbaines sensibles.

En 2001, Avicenne a été le premier hôpital public à se doter d’une aumônerie où plusieurs cultes sont représentés par au moins un aumônier salarié : catholique, protestant, orthodoxe, juif et musulman. À l’époque, l’établissement membre de l’AP-HP faisait figure de pilote. Depuis, la pratique tend doucement à se généraliser, en cohérence avec la réglementation en matière de laïcité dans les établissements de santé publique qui prévoit que le patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion… tant que cela ne nuit pas à la qualité de soins, aux règles de l’hygiène, à la tranquillité des autres patients et au fonctionnement régulier du service.

Saïd Ali Koussay est lui-même très attentif au respect de la législation qui encadre sa charge. Pas question pour lui d’aller directement à la rencontre des malades : “Cela serait faire preuve de prosélytisme.” Comment l’imam a-t-il été formé à intervenir au sein d’un centre hospitalier ? “J’ai accompagné et suivi dans son travail pendant plusieurs mois une collègue, Anne Thöni, qui est une pasteure protestante.” Ou comment des religieux deviennent les garants du respect de la laïcité…

 

Avoir la foi et soigner

Le serment d’Hippocrate transcende les opinions, valeurs et convictions. Le médecin soigne tout le monde, sans distinction. Mais comment lui-même, s’il est croyant, concilie-t-il soin et religion ? Témoignages.

“La religion est centrale dans l’exercice de ma profession”. Lire le témoignage du Pr Abdel-Rahmene Azzouzi, musulman, chef du service d’urologie du CHU Angers : www.egora.fr/sante-societe/societe/178355-la-religion-est-centrale-dans-lexercice-de-ma-profession

“Soigner : une grande cohérence avec ma foi”. Lire le témoignage du Dr Jean-Pierre Azambourg, catholique, médecin généraliste (retraité) à Vandoeuvre-lès-Nancy : www.egora.fr/sante-societe/societe/178356-soigner-une-grande-coherence-avec-ma-foi

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Jérôme Narcy