Economiste de la santé et professeur à Science-Po, Frédéric Bizard redoute que les économies envisagées par le gouvernement ne portent que sur les soins de ville. Il estime ce tour de vis irréalisable et prédit à la fin de l’année, une crise dans le secteur de la Santé, prélude à véritable durcissement de la politique qui ne pourra pas épargner l’hôpital.

 

Egora : Le gouvernement qui cherche à réaliser entre 15 à 20 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie, envisagerait d’établir pour les trois années à venir, un ONDAM (objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie) autour de 2 %, voire 1,75 %, contre 2,4 % cette année. Cela vous semble-t-il réaliste ?

Frédéric Bizard : L’ONDAM représente 180 milliards en 2014. La croissance tendancielle étant de 4,2 ou 4,5 %., soit environ 7 milliards, si vous établissez un ONDAM à 2 %, il faudra que la croissance des remboursements ne soit que de 3,6 milliards, ce qui nécessite un effort d’un milliards d’euros de plus par rapport aux PLFSS construits depuis 5 ans. Or, le PLFSS 2014 a déjà été très compliqué à monter, et il comporte des engagements à moyen terme d’encadrement de la croissance, signés notamment avec les radiologues et les biologistes. Il avait déjà été considéré lors de la constitution du PLFSS 2013-2014, que c’était la dernière fois que l’on pouvait encore utiliser ces variables d’ajustement que sont les prix des médicaments ou ceux des tarifs. L’industrie du médicament vient de connaître deux années de récession. Si cela continue, les firmes vont délocaliser leurs laboratoires.

Les prix de nos médicaments sont plutôt d’un niveau inférieurs à celui des pays comparables : Royaume-uni, Allemagne, Grande-Bretagne. Il est exact que nous consommons moins de médicaments génériques que ces pays-là. Mais il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de médicaments innovants dont les dossiers d’AMM et de demande de prix ont été déposés – je songe aux anticancéreux – vont coûter une fortune. Faire demain des économies sur les médicaments, cela reviendra à dire aux gens que l’on ne pourra pas rendre accessible ces molécules innovantes pour tous. Il s’agit d’un choix de société. Si les Français préfèrent qu’on ait pléthore de fonctionnaires dans les hôpitaux, à eux de le dire.

Le Président de la République ayant déclaré qu’il ne toucherait pas à l’hôpital, il ne reste que la ville. Faire de la casse sur les soins de ville là où il faudrait investir, c’est intenable médicalement, économiquement et socialement. On va sans doute laisser le C à 23 euros, les tarifs radiologues et ceux des biologistes sont encadrés par des accords de modération de leur croissance, on peut toucher aux achats et à la logistique hospitalière, mais cela reste marginal. Que faire de plus ? Si on avait fermé l’Hôtel Dieu, on aurait pu faire quelques économies, mais c’est l’inverse qui se produit, le corporatisme l’a emporté.

Actuellement, la politique est entre les mains des conservateurs du système, les syndicats hospitaliers mais aussi tous les industriels de l’hôpital, ceux qui ont intérêt à ce que cela ne bouge pas. On construit encore au 21ème, des hôpitaux avec 12 blocs opératoires, alors qu’il n’y en a que deux qui fonctionnent. L’abandon du politique fait que ce sont les rentes, les rentiers qui profitent du système. L’essentiel des coûts de santé à l’hôpital, c’est la masse salariale. A cet égard, la négociation en cours sur le point d’indice des fonctionnaires sera cruciale. Nous allons arriver à une crise, mais il le faut, car c’est à cette occasion que l’on réforme, dans une logique accidentelle. Et je considère que l’on n’est pas très loin de l’accident. Je pense qu’un taux d’évolution à 1,75 % n’est ni réaliste ni réalisable. On n’arrivera pas à boucler le PLFSS 2015 car il n’y a plus aucun “gras” à prendre sur les postes qui servent habituellement de variables d’ajustement. Pour moi, on va dans le mur.

Mon sentiment est que l’équipe gouvernementale en place est là pour gérer les effets d’annonce. Au prochain remaniement, en cours d’année, la nouvelle équipe reviendra à la réalité et le prochain PLFSS prendra des mesures autrement plus musclées, notamment sur l’hôpital. La loi sur la stratégie nationale de santé, qui est annoncée pour le deuxième semestre sera également l’occasion de durcir cette politique.

 

Qu’attendez-vous de la future loi mettant en œuvre la stratégie nationale de santé ?

Je note qu’en annonçant la mise en place de la stratégie nationale de santé, le Président de la République a fait des déclarations selon lesquelles, il fallait faire des économies sur les prescriptions des médecins, les actes redondants, qu’il fallait développer les médicaments génériques, mais qu’on laisserait tranquille l’hôpital. Or, pour dire les choses de manière très objective, nous avons un système qui est hospitalocentré, notre système de santé a été conçu autour de l’hôpital où l’on fait de la recherche, la formation et la majorité des soins.

Aujourd’hui, un hôpital consomme 56 % des dépenses de soins de l’assurance maladie, c’est un record du monde ! Pas un seul pays ne fait cela. Le dernier rapport de l’OCDE a montré qu’on dépensait 36 % des dépenses de santé à l’hôpital, contre 29 % sur la moyenne de l’OCDE et 23 % en ville, contre 33 % pour la moyenne de l’OCDE. C’est-à-dire que toutes choses égales par ailleurs, nous dépensons 20 milliards d’euros de plus à l’hôpital que dans les autres pays industrialisés. Est-ce une bonne chose, les gens sont-ils mieux traités en 2014 à l’hôpital qu’en dehors de l’hôpital. Bien sûr que non. Pourquoi est-ce comme cela ?

Simplement parce que sortir de l’hospitalocentrisme, il faut conduire une restructuration hospitalière. On compte plus de 400 000 lits aujourd’hui, alors que les pays qui nous entourent en ont vingt de moins par habitants, ce qui équivaut à 100 000 lits de moins que nous. A l’hôpital public, le taux d’occupation est officiellement de 68 %, mais je suis convaincu que nous sommes plus proches de 50 % que de 68 %. Il y a quasiment un lit sur deux qui n’est jamais utilisé ! Cette structure hospitalière est en train de tuer le système. On n’est même pas capable de fermer l’un des 37 hôpitaux parisiens, alors que tout le monde, depuis 30 ans, est d’accord pour fermer l’Hôtel Dieu… Au moment de fermer, voilà la ministre de la Santé qui arrête tout, donne raison à la CFT et à FO, re-médicalise l’Hôtel Dieu, remet de l’argent dans la structure et licencie la directrice de l’AP-HP qui a osé vouloir restructurer l’hôpital public.

 

La médecine de parcours, est-ce un gage d’efficience à vos yeux ?

On fait de nombreux discours sur le parcours de soins des personnes âgées en ALD, qui représentent les 2/3 des dépenses et plus de 80 % de leur croissance. Il y a en effet une marge de gain d’efficience si on arrête les ruptures de charges en cours de parcours, ces patients qui en sortent quelque mois, et y retournent généralement par les urgences après un pépin de santé. Il est clair qu’il y a des milliards d’économies potentielles à faire sur cette problématique. On verra bien ce que cela donne, mais ce que j’entends et que je lis, c’est que le parcours de soins à la sauce du ministère, cela consiste en gros, à créer un vaste service public national de santé pour justifier de continuer les excès, cet investissement pléthorique dans le secteur public hospitalier, pour qu’il puisse gérer lui-même ses parcours de soins.

Après que la droite ait largement participé à étatiser le système en déconcentrant le pouvoir avec les ARS, la gauche utilise ce bras armé pour nationaliser la prise en charge des patients en ALD. Il y a là un vrai enjeu du parcours. Je prends l’exemple des plans cancer 1 et 2 qui ont permis de structurer le parcours des patients souffrant de cancer. Je pense qu’une bonne idée serait d’étendre ce type d’organisation à la plupart des pathologies chroniques, sur cahier des charges, autour d’ une structure libérale ou publique, laissée au libre choix du patient.

Avec ce schéma, on réalise vraiment des économies sans investissements massifs. Et on sort les gens de l’hôpital, on fait en sorte qu’ils y aillent le moins possible. Il est généralement estimé que 600 000 séjours seraient des hospitalisations évitables. Cela signifie donc qu’en parallèle, il va falloir fermer des lits, fermer des hôpitaux. On a trop de CHU qui font la même chose, à quelques kilomètres les uns des autres, il faut les repenser en tête de réseaux pour diffuser les nouvelles technologies dans les autres centres hospitaliers. Et il faut reconsidérer la carte hospitalière pour des centres hospitaliers de taille moyenne, en développant l’ambulatoires et en transformant certains centres hospitaliers en 100 % ambulatoires. Mais je rêve les yeux ouverts. Car cette transformation prendrait au moins 10 ans. Et la politique conduite par le gouvernement ne prend pas ce chemin.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne