C’est cette semaine que le gouvernement doit fixer les tarifs de l’assurance-maladie pour les établissements publics et privés. Les tarifs des hôpitaux publics devraient reculer d’environ 0,3 % en moyenne au 1er mars, tandis que ceux des cliniques qui bénéficient du crédit impôt compétitivité emploi (CICE) devraient plonger encore plus. En ébullition, les cliniques menacent de ne plus accueillir de stagiaires des écoles d’infirmiers. Le point sur un secteur en crise.

 

 

Début février, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) a tapé du poing sur la table. Deux mesures fortes ont été prises, avec tout d’abord la suspension, pour une durée indéterminée, de la formation des infirmiers à compter du 1er mars – 32000 stagiaires, soit un tiers des élèves infirmiers sont accueillis chaque année par l’hospitalisation privée –, et la suspension du plan pour l’emploi du secteur (+3000 emplois). Derrière cette opération de grande envergure s’affiche la volonté de la FHP de faire réagir les pouvoirs publics sur les difficultés que traverse le parc hospitalier. "Face aux agressions répétées dont le secteur de l’hospitalisation privée est la cible, face aux difficultés économiques, au nombre croissant de faillites et aux menaces qui pèsent sur le devenir des cliniques et hôpitaux privés, la FHP est déterminée à démontrer le rôle indispensable que le secteur hospitalier privé assume au sein du système de santé", fait-elle savoir.

Des mesures pas particulièrement bien accueillies par le milieu infirmier, et par la Fédération hospitalière de France (FHF) : "La FHP fait du chantage à l’emploi alors que les cliniques sont à ce jour très avantagées par rapport au public", estime Gérard Vincent, délégué général de la FHF.

 

600 cliniques fermées en 20 ans

"En vingt ans, six cents cliniques privées ont fermé, rappelle Lamine Gharbi, président du syndicat FHPMCO (branche médecine-chirurgie-obstétrique). Il n’en reste que six cents aujourd’hui, dont 37 % en déficit dans le secteur MCO" et 22 % en soins de suite et psychiatrie. Or qui dit déficit, dit tribunal de commerce et dépôt de bilan si aucun actionnaire n’est en mesure de compenser les pertes. "Aucun établissement privé n’a pu bénéficier d’un plan de retour à l’équilibre",dénonce-t-il.

À l’origine de ces difficultés, une "insuffisance des tarifs". "Nous avons toujours pratiqué des prix de journée et été rémunérés sur la base de l’activité produite, explique-t-il. Lorsque la tarification à l’activité [T2A] a été mise en place on a pu mesurer l’écart entre les tarifs, ceux du public étant 20% plus élevés que ceux du privé." La loi avait alors prévu une convergence tarifaire pour 2012, puis pour 2018, mais finalement cette mesure a été retoquée par le président François Hollande à son arrivée au pouvoir. "La convergence tarifaire impliquait d’appliquer le tarif le plus bas, soit dans 95% des cas les nôtres, ce qui aurait généré une perte de chiffre d’affaires pour le secteur public, poursuit Lamine Gharbi. L’hôpital public et son lobby sont montés au créneau, une action qui s’est avérée efficace pour eux. Nous sommes donc en difficulté de sous-tarification certaine."

De son côté, la FHF estime, sans surprise, que les tarifs "ne peuvent en aucun cas être les mêmes, car nous n’avons pas les mêmes missions, nous ne faisons pas les mêmes actes, et surtout nous n’avons pas le même public, affirme Gérard Vincent. Nous recevons beaucoup de personnes en difficulté, des cas sociaux mais aussi des personnes âgées. Les prendre en charge coûte plus cher, car elles sont hospitalisées plus longtemps". Un argument démonté par la FHP, qui revendique les prendre aussi en charge, sur ses 8 millions de patients reçus.

 

"On est au bout des économies possibles"

Dans le secteur MCO, la progression des tarifs depuis 2005 est évaluée à 1,17% alors que sur la même période l’inflation a été de 11,82%. "Il n’existe aucun secteur qui puisse survivre à cela, estime Lamine Gharbi. Nous n’avons plus d’économie possible." La masse salariale constitue la charge principale, mais "elle ne peut pas servir de variable d’ajustement, car nous avons des normes sanitaires à respecter, souligne-t-il. Depuis quatre ans, il n’y a pas eu de revalorisation salariale. On est au bout des économies possibles, on ne peut plus travailler de manière sereine et apaisante".

Une démonstration démontée par la FHF qui, elle aussi, sort des chiffres et considère que les cliniques sont financièrement gâtées. "En 2013, le gouvernement a effectué une baisse des tarifs de 0,8 % pour le public et de 0,02% pour le privé, note Gérard Vincent. La Sécurité sociale a également annoncé que la dépense hospitalière privée a progressé de 2,9 %, alors que cette hausse est de 2,1% pour les hôpitaux publics. Nous réalisons plus de séjours et, pourtant, les cliniques ont un meilleur chiffre d’affaires que nous, car leurs tarifs sont plus élevés."

Les difficultés du secteur privé sont "inhérentes aux actions gouvernementales", poursuit Jean-Loup Durousset, président de la FHP. "Notre grande détresse est l’insuffisance tarifaire accentuée par la position dogmatique du ministère et des agences régionales de santé (ARS) qui, lorsque les établissements publics sont en difficulté, suppriment des autorisations d’activités du privé pour que le public puisse continuer à fonctionner, fait savoir Lamine Gharbi. On sert de variable d’ajustement, il y a une véritable agression sur nos établissements."

Dans le cadre de l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie (Ondam), "nous avons participé à une économie de 1 milliard d’euros, nous ne devrions donc pas être pénalisés", défend-il. Selon lui, le gouvernement n’ose pas s’attaquer au secteur public et affronter la reconversion des établissements qui ne répondent plus aux besoins. "Le privé accepte de disparaître pour la restructuration, mais ce n’est pas le cas du public, qui estime devoir être soutenu par les investissements publics, signale Jean-Loup Durousset. Nous sommes des entreprises, nous acceptons la restructuration, mais nous n’acceptons pas que la situation qui nous amène à disparaître soit provoquée."

"Ils devraient être contents, rapporte Gérard Vincent. Ils peuvent se restructurer comme ils le veulent, ils ne sont pas dépendants des pouvoirs publics et peuvent évoluer plus rapidement que nous." Cette "disparition" du secteur privé aurait pour conséquence la suppression de toute forme de concurrence pouvant, à terme, être génératrice d’une baisse de la qualité des soins, et surtout priver les patients de la possibilité de faire un choix entre deux secteurs.

 

"Les cliniques font beaucoup plus d’actes inutiles que nous"

"Et puis cela va entraîner une hausse de 20% des prix pour la Sécurité sociale, puisque les tarifs de l’hospitalisation publique sont plus élevés de 20%", fait savoir Lamine Gharbi. Outre une hausse des tarifs, la FHP demande un allègement des normes et des réglementations ainsi qu’un soutien à l’activité de chirurgie ambulatoire. "Face aux besoins nouveaux de la population, l’ensemble des promoteurs, publics comme privés, doivent être traités avec équité, selon la logique de l’appel d’offres, explique Jean-Loup Durousset. L’État doit en être garant. Si un secteur perçoit des subventions et pas l’autre, on n’est plus dans les mêmes règles du jeu."

De son côté, la FHF revendique elle aussi un traitement équitable. "On demande une baisse de 3% du tarif des cliniques privées et de 0% pour nous, fait savoir Gérard Vincent. Mais une nouvelle fois le privé va tirer son épingle du jeu. Aujourd’hui, le gouvernement n’en a que pour l’entreprise. Mais le vrai enjeu est la lutte contre le gaspillage et l’évaluation pertinente des actes les plus répréhensibles. On est persuadé que les cliniques font beaucoup plus d’actes inutiles que nous, car leurs médecins sont payés à l’acte alors que les nôtres sont salariés."

L’hospitalisation privée souhaite par ailleurs avoir la possibilité d’effectuer des missions de service public, avec "la mise en place d’un service public de santé territorialisé". "Unir tout le monde autour de ces missions relève de l’intérêt collectif, mais la vision des pouvoirs publics est tarifaire et non humanitaire", analyse Jean-Loup Durousset.

La répartition public-privé des Missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (Migac) demeure d’ailleurs relativement inéquitable, puisque le privé ne reçoit que "1% des 8 milliards d’euros consacrés". C’est pourquoi la FHP a saisi la Commission européenne pour atteinte à la libre concurrence, car elle estime qu’il y a une concurrence déloyale sur l’affectation des fonds.

 

Dégressivité tarifaire

 

Elle dénonce également les mesures prises dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) appliqué sur la masse salariale, car dans ce cas précis "seuls les cliniques et hôpitaux privés se voient exclus d’un dispositif applicable à toutes les entreprises", rapporte Jean-Loup Durousset. Et d’ajouter : "Nous dépendons du bon vouloir des pouvoirs publics qui, en fonction des problématiques, nous considèrent soit comme des entreprises, soit comme affiliés au secteur hospitalier".

"Pourquoi une mesure d’allègement d’impôt bénéficierait-elle aux cliniques privées et pas au secteur public, demande Gérard Vincent. Le Cice est destiné à financer la compétitivité des entreprises françaises au niveau international. Les cliniques n’y participent pas. Ce serait incongru qu’elles puissent en bénéficier."

Enfin, la FHP demande la neutralisation de la dégressivité tarifaire qui a, selon elle, "des effets dramatiques". Adoptée dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, la dégressivité tarifaire prévoit une diminution des tarifs en fonction du volume d’activité des établissements de santé. "On ne veut pas qu’un malade de plus soit considéré comme un malade de trop", fait savoir Lamine Gharbi.

Mais pour Gérard Vincent, "la dégressivité tarifaire paraît logique, car à compter d’un certain nombre d’actes leur coût de production diminue. C’est un faux débat, car cela ne veut pas dire que les cliniques ne vont pas être payées, mais simplement qu’elles vont être moins payées." Et de conclure : "Pour nous, il est important d’avoir une concurrence sérieuse. On n’a jamais demandé la mort des cliniques, car cela crée une émulation et une concurrence qui expliquent pourquoi les deux secteurs sont bons".

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin