L’assurance-maladie sous-estime-t-elle le nombre de malades inscrits dans la patientèle des médecins traitants ? Tandis que le forfait médecin traitant est entré en vigueur au 1er juillet dernier, 1 000 médecins environ estiment avoir été spoliés lors du comptage de leur patientèle. Gênant, le nombre de patients déterminant notamment le montant de la rémunération forfaitaire individuelle des médecins traitants, liée à la ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique).
Il s’agit d’une belle troupe, 2 000 professionnels tellement mécontents des débuts de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), qu’ils ont officiellement déposé un recours par lettre recommandée avec accusé réception auprès de leur CPAM. Ces médecins traitants contestent les bilans que l’assurance maladie leur oppose au moment du paiement du forfait, car ils les estiment discordants avec leurs propres pointages et constatations.
Les litiges avec les caisses concernent les nouveaux installés en 2012, date de mise en place du ROSP, car leur activité n’a toujours pas été effectivement prise en compte, malgré les promesses. Les différends portent aussi sur le volet organisation du cabinet, sur le taux de télétransmission requis (66 %, que n’ont pas atteint les médecins malades ou les maîtres de stages dont les stagiaires n’avaient pas de carte CPS), sur le suivi des patients diabétiques lorsqu’ils sont en maison de retraite et l’on en passe.
140 patients "disparus"
Pour le Dr Christian Lehmann, qui exerce à Poissy (78), et tempête depuis près d’un an pour qu’on lui rende justice, c’est sur le nombre de malades constituant sa patientèle de médecin traitant, que se porte le litige. C’est en procédant à une vérification relevant d’un travail de bénédictin, que le généraliste-écrivain, a mis le doigt sur le “loup”. En date du 31 décembre 2012, il avait selon les décomptes de l’assurance maladie, 785 patients inscrits dans sa patientèle de médecin traitant, quand en fait le véritable total est de 915, soit une sous-estimation de 140 personnes. Les disparus sont des assurés sociaux hors régime général, inscrits à la MSA, au RSI ou à d’autres régimes, non comptabilisés par la caisse. Une omission qui se traduit en espères sonnantes et trébuchantes : une perte d’environ 1 000 euros, puisque le mécanisme prend en compte le pourcentage de réussite aux différents items, multiplié par le nombre de patients inscrits.
“Voilà près d’un an maintenant que je conteste, écris, téléphone, alerte, demande des explications et je n’ai aucune réponse”, s’énerve celui qui fut militant de l’option médecin référent et la regrette doublement aujourd’hui. “La ROSP, c’est le bébé de Frédéric Van Roekeghem, le directeur de la CNAM. On entre dans la deuxième année de mise en place, et personne n’a résolu mon problème. On sait ce que Frédéric van Roekeghem a détruit l’option référent. Mais qu’ont mis à la place ces champions du powerpoint ? Un système qui ne marche pas !”, s’énerve-t-il. La caisse sait mal comptabiliser les patients qui changent de statut (numéro d’immatriculation des parents à un numéro propre, étudiants, changement de régimes), et supprime un peu généreusement ce qui ne rentre pas dans les bonnes cases. Sans prévenir le médecin traitant, évidemment.
"Les grosses discordances comme celle-là sont rares”
L’assurance maladie connaît effectivement certaines difficultés à faire flotter son ROSP hors de l’eau. “Il y a, c’est vrai, une discordance entre le national et le départemental sur les modalités de calcul. Les requêtes n’ont pas forcément été faites de la même manière, cela peut différer selon les départements”, convient le Dr Jean-Louis Urbejtel, du bureau national de MG France, qui suit ce dossier pour le syndicat et a été saisi par le Dr Lehmann. “J’ai alerté l’assurance maladie, ses spécialistes sont en train de travailler pour réconcilier les bases, mais le problème reste en suspens. Il y a certainement un grand nombre de confrères concernés, pour des erreurs à la marge. Les grosses discordances comme celle-là sont rares”, avance-t-il. Selon Christian Lehmann, qui tient cette confidence d’une déléguée à l’assurance maladie, 1 000 médecins généralistes (sur les 2 000 recours), seraient touchés par cette sous-estimation.
Sollicité par mail par egora, la responsable du dossier à la CNAM n’a pas répondu à cette demande. La même fin de non- recevoir a été opposée aux Drs Lehmann et Bronner. Le vice-président de la FMF, a lui aussi, poussé le dossier depuis plusieurs mois, en vain. Pour résumer, “le régime général ne sait pas bien mesurer les flux, l’assurance maladie ne sait pas à quel moment il faut stopper la mesure. Sachant qu’en plus, sa réactivité est modérée, les problèmes ne sont pas réglés”, reconnait le Dr Urbejtel.
“Le forfait médecin traitant est en vigueur depuis le 1er juillet 2013, il faut que les bases de données soient justes” fait remarquer le Dr Roger Rua, le président du SML. Il conseille aux confrères de contester par lettre recommandée, tout problème constaté. “Si le bug est très important, il sera porté à l’ordre du jour de la commission paritaire nationale (CPN)", promet-il en rappelant que les erreurs peuvent se voir dans les deux sens, et qu’un médecin traitant peut aussi bien se retrouver avec une patientèle plus fournie que dans la réalité. Michel Chassang, le président de la CSMF, conseille lui aussi de former systématiquement un recours en recommandé, puisque le directeur de la CNAM a l’obligation d’y répondre dans les délais.
"Les caisses ont reçu des consignes d’apaisement”
“Les contestations entre les caisses et les médecins traitants sont récurrentes, c’est chronique, mais s’agissant de la ROSP, les caisses ont reçu des consignes d’apaisement” certifie-t-il. Ainsi, les trois-quarts des 2 000 dossiers de réclamation auraient déjà obtenu une réponse allant dans le sens des médecins traitants. Les dossiers restants devaient être traités avant la fin de l’année, ”mais comme l’assurance maladie est toujours en retard, ce sera sans doute pour la fin janvier. Et il y aura toujours des dossiers litigieux”, estime le président de la CSMF. La seule solution pour éviter ces confrontations serait à ses yeux que les médecins disposent de logiciels médicaux sur leur poste de travail, leur permettant de suivre leur activité en regard de la ROSP, tant au niveau du nombre de patients inscrits, que des différents critères. “C’est l’idée que nous voulons faire passer aux confrères, il faut qu’ils aient les outils leur permettant de prouver leur bonne foi en cas de divergence. La Caisse ne doit plus être la bible”, insiste-t-il. “C’est tout de même pas aux médecins de tout vérifier, c’est à la CNAM de faire ce travail de bénédictin”, lâche, énervé, le Dr Bronner.
“Les caisses savent bien nous harceler pour une prescription soi-disant non conforme, là, ils sont dans l’incapacité de résoudre le problème. Il ne s’agit pas d’une incompatibilité de logiciel, comme cela s’est déjà vu, mais d’une base de calcul erronée, erreur qu’ils ne peuvent justifier ni corriger. Il paraît que c’est un casse- tête”, insiste le Dr Lehmann. Il signale qu’une partie de la provision d’argent dédiée à la ROSP a été reversée dans le pot commun de l’assurance maladie, en fin de premier semestre. Un événement signalé par Frédéric Van Roekeghem qui ajoute à la suspicion ambiante.
En tout état de cause, comme on l’avoue en privé à la Caisse nationale, “voilà qui donne une bien piètre image des capacités de gestion de la CNAM”.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne