La maladie scrofuleuse a été un grand fantasme du XIXe siècle. Mais comment faire coexister dans une même entité des sujets difformes et de belles malades ? Et si le médecin peut parfois être à bout d’arguments, l’homme peut toujours donner son sentiment personnel…
La scrofule, maladie constitutionnelle très répandue au XIXe s., fut l’objet à cette époque de très nombreuses théories et controverses, qui portaient le plus souvent sur sa nature et sur ses causes. Il règnait à son sujet une grande confusion. Les médecins ne semblaient s’entendre que sur ses manifestations cliniques, bien que très diverses quant à leur siège, leur aspect et leur gravité. Puisqu’il s’agissait d’une maladie constitutionnelle, ils avaient tenté de caractériser les individus qui y seraient prédisposés. Là encore, ces tentatives n’aboutissaient qu’à une grande confusion, si grande que des descriptions totalement opposées en étaient données. En particulier, ils étaient présentés tantôt laids, tantôt beaux.
Les Malheureux atteints de scrofule
Les médecins avaient cru reconnaître dans certains caractères, qui, réunis dans un même individu, donnaient à son corps et surtout à son visage un aspect particulier, les signes de la prédisposition scrofuleuse. On parlait même de “physionomie scrofuleuse” : “Il existe chez les malheureux qui sont atteints de scrofules une manière d’être, un aspect particulier dans les organes extérieurs, dans le maintien que l’on a baptisé de physionomie scrofuleuse. La nature, en les dotant de ce vice, leur a imprimé un cachet spécial qui permet aux observateurs de distinguer le scrofuleux au premier examen.” (1)
Une tête trop petite ou trop grosse
Le visage des “scrofuleux” en tant qu’individus prédisposés à la scrofule était souvent décrit ainsi par les médecins: ils “ont la tête trop petite ou trop grosse, surtout à la partie postérieure; le front est souvent bas, les tempes sont aplaties. La face est pâle ou très colorée, mais les couleurs sont comme plaquées, elles cessent brusquement; les traits sont gros, les lèvres sont épaisses, surtout la lèvre supérieure; les mâchoires sont larges, fortes; le nez est épaté, il est gros à sa pointe et aplati à sa racine, et les narines sont étroites, ce qui oblige les individus qui présentent ces caractères, à respirer par la bouche; les yeux sont habituellement d’un bleu tendre, ternes, sans expression […]”.(2) Les médecins insistaient aussi sur le défaut d’harmonie entre les diverses parties du corps.
Un “vice” sexuel des parents
À cet aspect extérieur des “scrofuleux” répondaient certains choix sexuels de leurs parents, que les médecins désapprouvaient, parce qu’ils y voyaient la cause de la constitution scrofuleuse de leurs enfants. Ainsi abuser des plaisirs vénériens ou de la masturbation, avoir des rapports sexuels alors qu’on est très jeune ou très âgé, ou d’âges trop disproportionnés, ou encore entre individus n’ayant pas “la force” de leur sexe ou appartenant à la même famille, étaient regardés comme des conditions défavorables à l’engendrement d’enfants sains. Il ne pouvait en résulter que la naissance d’enfants scrofuleux.(3) L’hérédité n’était pas la seule cause reconnue à cette maladie. Elle pouvait aussi être acquise durant les premières années de la vie si l’alimentation de l’enfant était insuffisante et de mauvaise qualité, et s’il vivait reclus dans un logement humide, sombre et mal aéré. Sa parenté avec la tuberculose était souvent évoquée.
Mais il existe aussi de “belles scrofuleuses”
Mais les médecins reconnaissaient aussi “scrofuleux” des individus au teint rose et frais, à la peau blanche et fine, à la physionomie aimable et gracieuse. “Ce sont ce que j’appelle de beaux scrofuleux”, précisait Alfred Hardy, médecin de l’hôpital Saint-Louis.(4) Pour expliquer ces caractères physiques si différents des premiers, les médecins faisaient appel à la notion de “tempérament lymphatique”. La constitution du scrofuleux étant généralement considérée comme lymphatique, ils identifiaient aussi des caractères de la prédisposition scrofuleuse chez ceux qui présentaient les attributs du tempérament lymphatique qu’étaient rondeur des formes et blancheur de la peau. Cet aspect si différent peut trouver une autre explication dans le fait que ces “beaux scrofuleux”, qualifiés comme tels par les médecins, étaient souvent des femmes.
Comme l’avait remarqué Hardy, “cette beauté spéciale se rencontre particulièrement chez les femmes, qui sont grandes, fraîches, avec de belles couleurs, grasses avec des seins bien développés”.(5) Certes, la maladie semblait plus fréquente chez elles. Les médecins expliquaient cette plus grande fréquence par celle du tempérament lymphatique, qui les tiendrait rapprochées plus longtemps que l’homme de la constitution de l’enfance, par la faiblesse de leur constitution et par la nature de leurs occupations, qui les retenaient presque continuellement à l’intérieur des maisons, dans des conditions de vie sédentaire, privées d’exercice à l’air libre et au soleil. De plus, en ce XIXe s., des formes rondes, une certaine mollesse dans les chairs, une finesse et une blancheur de la peau étaient sans conteste des attributs de la beauté féminine… Lire la suite sur le site de La Revue du Praticien.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sylvie Arnaud-Lesot
Retrouvez cet article Au XIXe siècle, les beaux et les laids scrofuleux dans les dossiers “Histoire de la médecine” de La Revue du Praticien, sur www.larevuedupraticien.fr, sous la rubrique “XIXe s”.
Notes
1. Mopinot PJA. Du diagnostic des scrofules. Thèse pour le doctorat de médecine no 8 t. 13. Paris : Rignoux, 1839: 15.
2. Hardy A. Leçons sur la scrofule et les scrofulides et sur la syphilis et les syphilides. Aspect général des individus scrofuleux donné par le Dr A. Hardy. (rédigé et publié par Lefeuvre J). Paris : Delahaye, 1864 : 22.
3. Lugol JGA. Recherches et observations sur les causes des maladies scrofuleuses. Paris : Fortin et Masson, 1844.
4. Hardy A. Traité pratique et descriptif des maladies de la peau. Paris : Baillière, 1886.
5. Ibid.