En 1894, on ne connait rien de la peste, si ce n’est qu’elle ravage les populations qui en sont touchées. Alors qu’une troisième pandémie débute en Asie, Alexandre Yersin est envoyé à Hong Kong pour enquêter. C’est dans des conditions précaires, dans une cabane en paille, qu’il voit, pour la première fois, le bacille de la peste.

 

Médecin, bactériologiste, explorateur, ethnologue, ex-préparateur à l’Institut Pasteur, Alexandre Émile Jean Yersin est une des personnalités les plus fascinantes de l’Histoire de la médecine. En 1894, ce Suisse naturalisé français poursuit des recherches à Saïgon. Il n’a alors que 30 ans et est réquisitionné par l’Institut Louis Pasteur pour se rendre à Hong Kong et enquêter sur une terrible maladie qui frappe l’Asie centrale : la peste.

 

Soudain, il tombe sur un ganglion en feu

C’est la troisième pandémie de cette maladie dont on ne sait alors rien. Une précédente vague au milieu du XIVe siècle avait déjà fait 24 millions de morts, rien qu’en Europe. Cette fois, la peste, aidée par le développement des bateaux à vapeur se propagera d’un continent à l’autre à une vitesse fulgurante. En 1894, elle a déjà fait 60 000 morts à Canton et elle attaque vivement les habitants de Hong-Kong, alors colonie britannique. Il faut faire quelque chose. La France, qui craint pour sa colonie, l’Indochine, décide donc d’envoyer Yersin en terre britannique pour enquêter.

Sur place, des chercheurs japonais, menés par Shibasaburo Kitasato, sont déjà sur le pied de guerre. Yersin n’a pas de laboratoire à disposition, pas de lieu pour entreposer son matériel. C’est le Père Vigano, un Italien francophile qui fait construire à la hâte une cabane en bambou recouverte de paille. C’est ici, devant l’Alice Memorial Hospital, que Yersin installe son laboratoire. Le prêtre, en graissant la pâte de marins chargés de la morgue réussi à obtenir toute une série de cadavres pour que le médecin puisse mener à bien ses recherches.

Dans des conditions spartiates et précaires, Yersin se donne à fond. Il enchaîne les autopsies, analyse les moindres organes. Puis soudain, il tombe sur un ganglion en feu. “Il était tout indiqué de rechercher tout d’abord s’il existe un microbe dans le sang des malades et dans la pulpe des bubons”, écrira-t-il. Dans son microscope, les bacilles apparaissent telle une évidence. “La pulpe des bubons est, dans tous les cas, remplie d’une véritable purée d’un bacille court, trapu, à bouts arrondis, assez facile à colorer par les couleurs d’aniline et ne se teignant pas par la méthode de Gram.” Nous sommes le 20 juin 1894, Yersin devient le premier homme au monde à observer le bacille de la peste.

 

Comment le microbe se transmet à l’homme

Le Franco-suisse a surpassé les Japonais, mieux installés, mieux équipés. C’est d’ailleurs justement là leur principale faiblesse. Shibasaburo Kitasato et son équipe faisaient incuber les échantillons à 37 °C, croyant qu’à cette température les bactéries prolifèrent davantage. Ce qui est faux : la Yersina pestis préfère une température plus basse. Yersin n’avait pas les moyens de se payer des incubateurs, ce sera son meilleur atout.

Seulement Kitasato est persuadé d’avoir lui aussi réussi à isoler un bacille. Les deux savants décident de partager la découverte. Mais les échantillons envoyés par le Japonais en Occident ne montreront que des streptocoques, et non le bacille de peste. Et 1970, on rendit officiellement le mérite de la découverte du bacille de la peste à Alexandre Yersin, et à lui seul.

Les jours qui suivent sa trouvaille, Yersin multiplie les expériences pour tenter d’en savoir plus sur le microbe et sa propagation. Il injecte le bacille à plusieurs espèces d’animaux. De toute évidence, les rats, alors très nombreux dans les quartiers pauvres de Hong-Kong, sont les grands pourvoyeurs de la peste. Reste à savoir comment le microbe se transmet du rongeur à l’homme. Yersin observera aussi le bacille sur des mouches. “Il y avait beaucoup de mouches crevées. J’ai pris une de ces mouches, et après lui avoir arraché les pattes, les ailes et la tête, je l’ai broyée dans du bouillon et l’ai inoculée à un cobaye. Le liquide d’inoculation contenait une grande quantité de bacilles absolument semblables à celui de la peste, et le cobaye est mort en quarante-huit heures avec les lésions spécifiques de la maladie” écrit le chercheur qui n’a alors pas l’idée de penser à la puce.

Yersin ne trouvera jamais de vaccin contre la peste. Peu de temps après son observation du bacille, il démonte sa cabane à Hong-Kong puis s’installe au Vietnam, poursuit ses recherches en cultivant de l’Hévéa. Un peu plus tard il vendra du latex à Michelin.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

 

[Avec Lepoint.fr et Slate.fr]