Début aujourd’hui d’un mouvement de cessation de gestion des lits d’aval par les urgentistes à l’hôpital public, à l’appel de l’AMUF (association des médecins urgentistes de France) et de Samu-urgences de France. Patrick Pelloux, le président de l’AMUF, explique que malgré les beaux discours de Marisol Touraine, rien n’a changé sur le terrain et qu’il attend des actes.

 

 

Egora.fr : Lors de la publication du rapport Carli sur les urgences, vous avez salué la reconnaissance “pour la première fois” du problème de la gestion des lits d’avals dans l’engorgement des urgences. Néanmoins, à partir d’aujourd’hui, vous lancez un mouvement de refus de gestion les lits. Pourquoi ?

Dr Patrick Pelloux : Parce que concrètement sur le terrain, rien n’a changé. Il y a eu des déclarations d’intention qui vont dans le bon sens, des belles phrases, des beaux discours sur lesquels on ne peut qu’être d’accord, mais au-delà, rien. Il faut que Marisol Touraine comprenne que même si la ministre est tout à fait d’accord avec cette analyse, ce sont les Agences régionales de santé (ARS), qui disposent. Or, depuis la publication du rapport Carli, il ne s’est rien passé.

 

Que demandez-vous ?

La ministre a été très floue, sur le problème d’une réouverture éventuelle de lits. Nous lui disons, discutons de ces réouvertures potentielles, hors quota. Ensuite, il y a des départements où cela ne va pas du tout, où il y a des problèmes chroniques, il faut que l’on trouve une solution. C’est ce qui se passe sur Paris où, malgré un constat de manque de lits, rien ne bouge sur le terrain.

 

Vous demandez aussi la présence d’assistantes sociales pour la gestion des lits d’aval…

Il faut prendre les choses sérieusement. Il est très important de comprendre que l’hospitalisation d’un malade démarre dès son arrivée. Les médecins ne sont pas des assistantes sociales, il faut que des professionnels ouvrent des dossiers sociaux pour les personnes âgées qui arrivent y compris les samedi et dimanche. Cela nous semble plus important pour ne pas perdre de temps, que d’annoncer la présence de bed managers à la sortie du service.

 

Alors que la ministre a pointé du doigt la désorganisation qui serait aussi facteur d’engorgement dans les urgences, elle annonce peu de temps après, dans le cadre du budget de la sécurité sociale pour l’année prochaine, qu’elle veut réaliser de substantielles économies à l’hôpital public. Comment réagissez-vous ?

Une désorganisation ! Mais tout a été désorganisé dès l’arrivée de Jean-François Mattei au ministère de la Santé en 2002. C’est là que la logique managériale et de rigueur a été mise en place. C’est à partir de là qu’on nous a dit qu’on ne savait pas travailler. A partir d’un moment, çà suffit ! Il faut que les pouvoirs publics arrêtent de dire que ce sont les médecins qui sont désorganisés. Si les politiques étaient aussi forts que cela, on ne serait pas dans le pétrin dans lequel on se trouve actuellement ! C’est eux qui ne savent pas s’organiser, qui ne savent pas discuter et avoir un dialogue social constructif. C’est à partir de cette période qu’on a entendu les conseillers du ministre déclarer à qui voulait l’entendre qu’il fallait fermer des lits. Et cela s’est poursuivi sous Sarkozy, avec la notion d’hôpital entreprise promue par la loi Hôpital, patients, santé et territoire… Franchement, ça suffit d’être insultés !

 

Les médecins libéraux qui s’investissent dans la permanence des soins ambulatoires ont un regard très critique vis-à-vis de cette situation d’embouteillage aux urgences. Ils ne se privent pas de dire que cette situation avantage l’hôpital, qui gagne beaucoup d’argent, grâce aux urgences. Que leur répondez-vous ?

Qu’ils ont raison. Mais les médecins de ville ont tout à gagner que l’hôpital puisse accueillir des malades. Lorsque la permanence des soins a perdu son caractère obligatoire, en 2002, c’est toute une organisation qui a été cassée. Depuis, on rame pour construire quelque chose de nouveau. Il y a beaucoup de territoires de santé en France où la substitution s’opère grâce aux pompiers, qui protestent d’ailleurs. Je pense que nous avons un pays très prétentieux et qui pense que nous avons encore à l’heure actuelle, les moyens de nous disputer, de monter des professionnels les uns contre les autres. Lorsque je vois que SOS médecins a attaqué et pour l’instant gagné contre le président de Samu-Urgences de France, le Pr. Marc Giroud, je me dis que c’est scandaleux. Ils viennent de rouvrir une fracture entre eux et nous profonde. Donc, je pense que nous n’avons rien à gagner à être aussi désorganisés que cela. La médecine libérale n’arrive pas à résoudre le problème de la désertification médicale. J’ai trouvé beaucoup d’intelligence du côté de MG France, lorsqu’ils formulent leurs propositions de maisons médicales pluridisciplinaires. C’est très intéressant et c’est vers cela qu’il faut avancer. Songez que certains services d’urgence ont multiplié leur mortalité par deux parce que, précisément, les structures pour les fins de vie des patients atteints de cancer n’ont pas suffi. Il y a un discours sur le cancer en France et une application qui est tellement différente que les patients viennent mourir aux urgences. Franchement, ce n’est pas très bien.

 

Quel sera la forme de votre mouvement ?

Nous allons continuer à travailler, mais nous dirons que si nous faisons notre travail, nous demandons aux directeurs de faire le leur. Ils téléphoneront à l’administration. Il y a une responsabilisation des médecins dans ce mouvement, qui vont plus se consacrer aux malades. Voilà qui répondra aux critiques que l’on nous fait sur le temps d’attente aux urgences.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin