Ancienne urgentiste au centre hospitalier de Toulouse Purpan, Elisabeth Dès a vécu deux ans de pressions et d’humiliations de la part de sa direction. Après une descente aux enfers et un combat juridique d’une dizaine d’années qui n’a jamais abouti, elle a souhaité raconter dans un livre* l’horreur du harcèlement au travail. Elle y parle de son histoire et des conditions de travail en milieu hospitalier.

 

 

“J’ai passé ma thèse en 1985, puis j’ai immédiatement commencé à travailler comme urgentiste au centre hospitalier de Toulouse Purpan. J’étais essentiellement postée aux urgences, en vacations. Je faisais des gardes de nuit et j’avais deux consultations de sevrage tabagique et d’allergologie. J’avais acquis un bon équilibre financier et personnel. Jusqu’à ce qu’un nouveau directeur arrive à l’hôpital. C’est lui que plus tard, les médias ont appelé le “fossoyeur de l’hôpital”, car il avait réussi à faire partir 600 salariés. Il avait pour mission de tout restructurer et je me suis retrouvée au cœur d’une dérive mafieuse. Il voulait récupérer mes vacations pour qu’elles constituent le poste d’une collègue, plus jeune et donc payée moins cher.

 

“J’ai été attaquée sur mon âge, sur mon absence de formation”

J’ai tenu deux ans, pendant lesquels j’ai subi diverses agressions psychiques et verbales. La situation n’a cessé de s’envenimer : on me supprimait mes vacations les unes après les autres, ce qui, compte-tenu de mon ancienneté, n’aurait pas du arriver. On me mettait sur le dos des erreurs que je n’avais pas commises. J’ai été attaquée sur mon âge, sur mon absence de formation spécifique. C’était délirant, j’avais 44 ans, 15 ans d’expérience aux urgences et je n’avais jamais commis une seule faute professionnelle. J’étais quelqu’un de très tranquille qui vivait pour son travail, et j’ai été plongée dans l’horreur.

Un jour, alors que j’étais en arrêt maladie pour une virose, le chef de service et une surveillante sont venus chez moi. Ils ont déclaré que je faisais des malaises dépressifs, et qu’il vaudrait mieux que j’arrête de travailler aux urgences. J’avais effectivement fait un malaise une fois en arrivant à l’hôpital. Mais j’ai travaillé tout de suite après.

Quelques temps plus tard, on m’a envoyé deux psychiatres alors que j’étais avec un patient. Ils devaient me persuader que j’étais trop dépressive, que je ne pouvais pas continuer à exercer dans ce service. J’ai réussi à garder mes nerfs. C’est le chef de clinique qui a du prendre ma défense, il s’est retourné contre le directeur. Et puis quand le service a déménagé, je n’ai même pas été invitée à visiter le nouveau bâtiment. Ca a été la goute d’eau.

Le fait est qu’ils n’avaient aucune raison de me renvoyer et qu’ils avaient décidé de me pousser à bout. Et ce fut le cas pour beaucoup de collègues. Une fois qu’ils avaient décidé de renvoyer quelqu’un qui, à leur sens, était resté trop longtemps, on le poussait à la dépression, puis on lui envoyait les psychiatres. C’était leur méthode de management.

 

“Expulsée de mon appartement”

Un jour j’ai décidé d’entrer en guerre et j’ai contacté un confrère qui m’a conseillé de me tourner vers Jean Darnaud, à l’époque président du syndicat des praticiens hospitaliers du CHU. Il m’a fait prendre conscience que je faisais l’objet d’un scénario de harcèlement moral et psychologique. Moi, je n’en avais pas conscience. Nous étions en 2000, à l’époque on en parlait encore très peu et je savais à peine ce que c’était. Mais j’ai découvert avec stupeur que ca existait en milieu hospitalier.

En 2000, j’ai été renvoyée du centre hospitalier. Je n’exerçais plus qu’en cabinet, en tant qu’allergologue, pneumologue. Mais le parcours de soin s’est mis en place et comme je n’étais pas connue des généralistes puisque j’avais été très investie aux urgences, cela s’est traduit pour moi par une baisse énorme de revenus et j’ai été expulsée de mon appartement. J’ai vécu plusieurs mois sans domicile fixe.

Et puis, j’ai appris qu’au Samu du CHU, qui était aussi en restructuration, l’administration s’acharnait sur une très brillante anesthésiste. Elle a été retrouvée noyée dans la Garonne. On a dit qu’elle avait des problèmes personnels. C’est ridicule, elle ne faisait que travailler. Ce sont ses amis qui m’ont appelée pour me dire qu’elle subissait des pressions abominables de la part de la direction de l’hôpital. C’était exactement le même type de pressions que celle que j’avais subies.

J’ai compris qu’il fallait faire quelque chose. Moi qui n’avais jamais vu un avocat de ma vie, j’en ai contacté un. Petit à petit, j’ai monté un dossier. Puis j’ai déposé plainte, j’étais déterminée à aller au bout du combat. Avec mon avocate nous avions décidé de porter l’affaire au pénal alors qu’en général ce genre de cas est jugé par des tribunaux administratifs. J’ai attendu ce procès pendant huit ans. Il n’a jamais eu lieu. Et mon avocate m’a lâchée en cours de route. Le temps que je retrouve un autre avocat, il y avait prescription. C’est un grand regret. Pendant 13 ans je me suis battue totalement seule. Puis je me suis décidée à écrire. C’est abject ce qui se passe dans les hôpitaux, j’avais besoin de le dire.

 

“Les hôpitaux sont désormais gérés comme des industries automobile”

J’ai donc commencé à rédiger un mémoire. Le but était de confronter mon histoire à celles vécues dans d’autres milieux. J’ai rencontré des personnes du Technocentre Renault, de la Poste, de France télécoms… Je voulais savoir si c’était pire ailleurs. Mais le constat est effroyable. Il se trouve que les hôpitaux sont désormais gérés comme des industries automobile. On utilise la méthode Toyota, le « lean management ». On gère l’entreprise par la peur, par le stress. Et par l’humiliation qui est très présente dans les milieux hospitaliers. C’est un mode de management qui conduit au burn-out, puis au suicide. Le problème, c’est que peu de gens en parlent par peur du licenciement.

Finalement, je me suis réinstallée en libéral, avec une amie. Je suis allergologue – pneumologue à Cugnaux, près de Toulouse. J’ai retrouvé un équilibre même si j’ai toujours cette envie d’exercer en hôpital.”

 

*Le harcèlement au travail, mémoire d’un combat, Elisabeth Des, éditions Les points sur les i.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu