Malgré sa modestie légendaire, Claude Bernard (1813-1878) fut reconnu de son vivant comme un immense précurseur et il reste pour la postérité le père de la méthode expérimentale, qui changea la façon de voir la science, et l’inventeur de la physiologie, qui fit prendre à la médecine un tournant décisif sur la voie de l’innovation thérapeutique. L’Académie de médecine célèbre le bicentenaire de sa naissance avec une séance exceptionnelle le mardi 8 octobre.

 


“Claude Bernard est né en 1813 dans le Beaujolais” nous explique Pierre Corvol (Académie nationale de Médecine et Collège de France). “Ses débuts en fait, sont ceux d’un apprenti dramaturge. En quête d’un éditeur pour Arthur de Bretagne, le drame qu’il a écrit, il arrive à Paris son ouvrage sous bras. Et Dieu merci, ce sera un ‘flop’ complet. On lui conseille alors de changer de voie, plutôt que de se diriger vers une carrière dramatique”. Même s’il est un esprit curieux, le jeune homme n’est pas pour autant un élève brillant. Le baccalauréat en poche – à 21 ans, ce qui n’est pas particulièrement précoce – il s’oriente vers des études de médecine. Il suit l’enseignement de François Magendie, professeur de médecine au Collège de France. Claude Bernard obtient son diplôme à 30 ans, en 1843. Il enseigne dès lors au Collège de France, à la Sorbonne et au Museum national d’Histoire naturelle.

 

Il émet l’hypothèse que le foie produit du sucre

“Enumérer toutes les découvertes de Claude Bernard prendrait un temps fou”, écrit Pierre Corvol. “L’une des plus importantes fut celle de la fonction glycogénique du foie. La théorie la plus couramment admise à l’époque était que le sucre provenait de l’alimentation. Et qu’il était détruit par les phénomènes de combustion, notamment lors de la respiration”. Pourtant, Bernard établit assez rapidement que le sang et le foie des animaux contiennent du sucre même lorsque leur alimentation en est dépourvue. En s’appuyant sur sa méthode en trois étapes – observation, hypothèse et expérience – il a émis l’hypothèse que “le foie est l’organe de production du sucre dans l’organisme, et non de destruction”. Hypothèse qu’il a pu démontrer par l’expérience, dans le règne animal.

Il a permis des avancée majeures dans tous les domaines de la médecine : le diabète et l’obésité grâce à sa découverte de la fonction glycogénique du foie, l’endocrinologie, née de sa découverte des relations entre le cerveau et les glandes endocrines, la neurologie, avec ses expériences sur le rôle des nerfs vasomoteurs, l’anesthésie et les addictions par sa compréhension de l’action des poisons sur l’organisme, les mécanismes de la chaleur animale et la thermorégulation.

 

“S’il fallait tenir compte des services rendus à la science, la grenouille occuperait la première place”

A partir de ces deux exemples que sont la découverte de la fonction glycogénique du foie et le concept de milieu intérieur, Claude Bernard a réellement joué un rôle essentiel dans la découverte des mécanismes de régulation des fonctions de l’organisme. L’approche de Claude Bernard rend bien compte de la réponse de l’organisme visant à maintenir l’équilibre intérieur – l’homéostasie – par des interactions, et de la manière graduelle dont la frontière entre normal et pathologique peut être franchie. Il est aujourd’hui encore, reconnu comme le “père de la physiologie expérimentale”. Cette propension à expérimenter sur l’animal fera dire à Claude Bernard que “s’il fallait tenir compte des services rendus à la science, la grenouille occuperait la première place”. La méthode expérimentale a fait sortir la médecine de l’empirisme. Père de la recherche clinique, Claude Bernard a posé les bases d’une pratique indissociablement liée à la recherche.

 

Les idées nouvelles de Claude Bernard ont été ignorées dans les hôpitaux publics, où il a tenté sans succès d’être nommé

Selon Pierre Corvol, “les idées nouvelles de Claude Bernard sur la médecine expérimentale ont été ignorées dans les hôpitaux publics, où il a tenté sans succès d’être nommé, ce qui a renforcé sa détermination à enseigner à de jeunes médecins à l’esprit non dogmatique. Quand j’ai démarré, il y a dix ans, les cours sur l’angiogenèse, le processus de formation des vaisseaux, il n’y avait pas de cours sur ce sujet dans les facultés de médecine. Des médicaments dans ce domaine commençaient à apparaître, mais l’expertise était étrangère. La médecine scientifique n’est pas née dans les facultés de médecine, mais à côté d’elles. Avec François Magendie à qui il succéda, Claude Bernard fonda l’école du Collège de France autour d’une “chaire de médecine”. Ce n’est qu’ensuite que le nom de “chaire de médecine expérimentale” lui fut donné. Au Collège de France, Claude Bernard et Charles-Edouard Brown-Séquard, qui hérita de la chaire à sa mort, ont donné naissance à l’endocrinologie”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol