Médecin généraliste à Etain, une petite ville de la Meuse, Yves Dhyvert, a perdu les derniers points de son permis de conduire pour répondre à une urgence. Depuis, il se déplace avec le vélo électrique de sa voisine et compte sur ses patients pour le conduire vers ses visites à domicile. Mais il compte bien faire entendre sa colère.

 

“C’est l’histoire d’une urgence. Un jour, une femme d’une quarantaine d’années m’appelle et me dit : « J’ai peur mon mari va mourir ». Ok, elle est paniquée. Mais en même temps, elle est en train de me parler d’un homme de 40 ans… Donc je saute dans ma petite voiture, et je fonce. C’est à trois kilomètres, mais je me dépêche, parce que si c’est un arrêt cardio respiratoire, les interventions doivent se faire dans les 5, 10 minutes. Après…

 

Ils m’alignent deux PV

En fonçant, dans l’urgence… j’oublie de mettre ma ceinture. Ce qui ne m’arrive jamais. Je roule, et la dame me rappelle pendant que je roule tellement elle est affolée. Donc je décroche pour lui répondre, lui dire que j’arrive, que je suis en route. Là-dessus, je tombe sur les flics qui m’arrêtent. Je leur donne mon permis en leur disant : « Ecoutez, je n’ai pas le temps de m’arrêter. Je suis en urgence. Ce n’est pas un délit de fuite, vous avez mon permis. Suivez moi, c’est à trois kilomètres ».

Ils n’ont pas le temps de me répondre, parce que de toute façon je suis déjà reparti. Et ils me suivent, ils s’installent devant la maison où je fais mon intervention. Je vois le patient. Effectivement, c’était sérieux. Bon moins que ce que sa femme craignait, mais quand même. Tout va bien, je sors de là. Et je dis aux agents : « Le patient est d’accord pour que vous constatiez la nature de l’intervention qui justifiait l’urgence ». Là- dessus, ils me disent non. Non, c’est tout. Pas d’explication, rien. Et ils m’alignent deux PV. Un pour la ceinture et un pour le téléphone. Deux fois trois points.

Comme je n’avais plus que six points, parce qu’on circule sans arrêt et qu’on prend le radar en pleine poire quand on a la tête prise sur un patient ou un autre et qu’on passe régulièrement devant, point par point, finalement, on arrive à six points… Là, voilà encore 6 points qui partent, et donc je suis à 0.

Après, ça a été la galère parce que j’ai du aller à la sous-préfecture en me disant qu’il y avait peut-être quelque chose à faire… Mais ils m’ont dit non parce qu’entre temps, ma femme avait payé l’amende pour la raison simple que 340 euros, si on ne les paye pas, c’est multiplié par trois, et ça commence à faire quand même. Ma femme en avait un peu ras le bol des pénalités donc elle a payé.

Mais ce qui est anormal dans la loi, c’est que pénalité payée vaut pénalité reconnue. Non ! C’est juste parce qu’il y a la pression de la multiplication des pains qu’on paye les pénalités… En plus, depuis le mois d’août dernier, le seul recours possible, c’est d’aller devant le Conseil d’Etat. C’est énorme. On n’a plus de recours devant les tribunaux locaux. Donc me voilà, fin août, avec une suspension de permis pour six mois. J’ai du attendre 61 ans pour me faire piquer mon permis ! Et rouler en vélo… vous me direz c’est sympa, j’ai retrouvé la forme, mais bon quand même !

 

Les gens n’appellent pas les urgences

Les gendarmes me disent : « Pour les urgences, les gens n’ont qu’à appeler le 15 ». Attends tu rigoles, en milieu semi-rural, les gens n’appellent pas les urgences. C’est le médecin qu’ils appellent bien sûr. Parce que c’est lui qui les connait, qui sait à peu près ce qu’il faut faire, qui connaît leur pathologie. Et puis ils ont une confiance en vous, ils savent qu’on intervient vite. Le temps que les urgences arrivent, il faut compter 15, 20 minutes facile, alors que moi j’arrive en cinq minutes. Et ça m’est arrivé de sauver des vies en cinq minutes….

Ca m’est déjà arrivé de me faire allumer pour excès de vitesse et quand je suis arrivé le patient était malheureusement décédé. Quand je suis revenu je l’ai signalé aux gendarmes. Ca devient de la folie. C’est un vrai racket institutionnel. J’ai une de mes patientes qui s’est fait verbalisée piétonne, parce qu’elle marchait en dehors des clous… On croit rêver ! Ils deviennent fous.

Depuis ma suspension, et bien je me suis organisé. Une chaîne de solidarité importante s’est mise en place. Une voisine m’a prêté un vélo électrique. Quand il fait beau je circule dans la ville avec mon vélo, ça fait marrer tout le monde… Et puis pour les visites un peu plus loin, il y a au moins 30 personnes qui m’ont proposé de m’emmener en voiture l’après midi. J’ai 37 ans d’exercice dans cette ville, les patients, ce sont autant des amis, des connaissances que des patients. Mais par exemple les urgences, je les ai toutes refilées à une consœur.

J’ai un collègue à qui il est arrivé la même chose. Il n’avait plus de permis, alors quand il avait une urgence, il appelait les gendarmes en disant « J’ai une urgence, il faut que vous m’emmeniez ». Une fois, deux fois, trois fois, il a récupéré son permis. J’ai choisi de ne pas faire la même chose parce que je veux que le débat continue. Y’en a marre de régler ces problèmes comme ça, ou comme les confrères qui prennent des voitures à 50km/h. Comment je peux aller à 15 ou 20 kilomètres de chez moi pour une urgence avec une voiture qui roule à 50… C’est du délire ! On se moque du monde !

 

Un vrai carnage

Ces contraventions à la pelle, c’est une dictature, un racket. Et comme c’est appliqué sans discernement, c’est un vrai carnage ! On est dans le tout sécurité. Il faut faire attention à tout. C’est une horreur. Tout le monde est sur le qui-vive pour savoir à quelle sauce il va être mangé. En 37 ans de médecine je n’ai jamais vu une telle dérive technocratique et autoritaire de l’Etat. Sauf qu’il y a des dégâts collatéraux considérables. Il y a trop de souffrance liée à ça. On parle de la mortalité routière, c’est une chose. Mais la morbidité… C’est-à-dire les maladies qui sont induites par ces comportements… C’est énorme. Ca pourrit la vie de tous les citoyens de façon extrêmement importante. On est à l’affût sans arrêt.

Il faut réagir. Donc l’ambition que j’ai maintenant, avec « 40 millions de conducteurs » et d’autres, c’est de déposer un projet de loi à l’Assemblée nationale. En pratique, c’est simple. Tous les gens qui sont vraiment très dépendants du permis devraient avoir des aménagements. Un professionnel de la route, on ne devrait jamais lui ôter son permis comme ça. »

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier