Déremboursement de médicaments, arrêt de commercialisation pour d’autres, difficultés d’expliquer aux patients l’importance de respecter les traitements faute d’éducation thérapeutique, désintérêt parfois des praticiens. Face aux patients qui souffrent d’arthrose et d’ostéoporose, le rhumatologue n’a pas la tâche facile.

 

Le Dr Laurent Grange, qui est rhumatologue au CHU de Grenoble et qui préside l’Association française de lutte anti-rhumatismale (Aflar), revient sur ce panorama inquiétant. Il insiste en premier lieu sur l’insuffisance de prise en charge de l’arthrose, un constat établi par l’Aflar au vu des nombreux témoignages de patients reçus par l’intermédiaire de son numéro vert Allô Rhumatismes. « Alors qu’elle concerne aujourd’hui près de 10 millions de personnes en France, cette maladie est trop souvent considérée par patients et médecins comme une fatalité, et aucun plan de santé publique ne s’y intéresse. Un état de fait qui a incité l’Aflar à mettre en place des campagnes grand public d’information, explique le Dr Grange. Les résultats préliminaires d’une enquête sur le vécu de l’arthrose, mise en place par l’Aflar en 2012, confirment pourtant les répercussions notables que peut avoir cette affection sur le plan social, en particulier professionnel. » Autre renseignement intéressant fourni par cette étude, dont les données complètes seront rendues publiques début octobre prochain, l’existence d’un reste à charge financier notable pour les malades, de l’ordre de 90 euros par mois. Ce qui pourrait être expliqué, entre autres, par le mauvais taux de remboursement des médicaments.

 

Augmentation de la consommation d’Ains

L’Aflar redoute d’ailleurs la décision actée le 15 juillet 2013 par le gouvernement de totalement dérembourser les antiarthrosiques symptomatiques d’action lente (Aasal), alors que ces médicaments demeuraient jusqu’ici remboursés à 15% « et que 3,3 millions de prescriptions ont été rapportées en 2011 ».

Un avis du 9 janvier 2013 de la Commission de la transparence a en effet jugé que « le service médical rendu par le chondroïtine sulfate (Chondosulf), les extraits insaponifiables d’huile d’avocat et de soja (Piasclédine), et la diacerhéine (Art 50, Zondar), était insuffisant pour justifier leur prise en charge par la solidarité nationale. Le même jugement devrait concerner à la rentrée la glucosamine, qui va être elle aussi soumise à évaluation. Or, cette décision pourrait entraîner les mutuelles, qui pour certaines prenaient en charge financièrement ces médicaments, à ne plus le faire. Ce qui pourrait inciter les malades à utiliser davantage les anti- inflammatoires non stéroïdiens [Ains], avec leurs risques cardiovasculaires et rénaux, à recourir davantage en sus du paracétamol à des antalgiques de palier 2 ou 3, à la tolérance imparfaite, ou de manière paradoxale à consommer des compléments alimentaires ou autres thérapeutiques qui seront mis au même plan que les Aasal alors que leur efficacité n’est pas du tout validée », craint le Dr Grange.

Ce rhumatologue rappelle pourtant que « trois des quatre Aasal disponibles en France, soit le chondroïtine sulfate, le glucosamine sulfate, les extraits insaponifiables d’huile d’avocat et de soja, ont démontré, dans les études scientifiques, une certaine efficacité à moyenne échéance en termes de réduction du nombre de poussées douloureuses, d’atténuation des symptômes, de qualité de vie dans les arthroses périphériques (hanche, genou) et sont, de plus, dotés d’un effet structural certes modeste mais documenté dans différentes études ». L’Aflar a adressé plusieurs courriers à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, pour demander le maintien du remboursement des Aasal.

L’affaire n’est pas tout à fait tranchée, car le Conseil d’État a ordonné le 11 juillet 2013 la suspension de l’arrêté ministériel de déremboursement de Piasclédine, après plainte de son fabricant, les laboratoires Expanscience, pour non-respect de l’égalité de traitement entre les industriels de cette classe thérapeutique (la glucosamine restant à l’époque non concernée). Une décision du même type a été prise par le Conseil d’État, le 25 juillet 2013, pour Chondrosulf, après plainte des Laboratoires Genévrier qui commercialisent ce médicament.

 

Diminution de l’arsenal thérapeutique

Les rhumatologues sont d’autant plus gênés pour traiter les malades arthrosiques que l’arsenal thérapeutique se restreint. Le Dr Grange regrette ainsi la disparition du dextropropoxyphène (Di-Antalvic), « au vu de données de pharmacovigilance provenant de pays anglo-saxons où cet antalgique était utilisé de manière différente, et ce alors qu’il était efficace et souvent mieux toléré que les autres médicaments de niveau 2 comme le tramadol, donnés aux patients en cas d’échec du paracétamol ». À noter que même le paracétamol fait d’ailleurs l’objet de critiques actuellement, certains auteurs soulignant sa toxicité non négligeable en cas de répétition de doses, signale ce spécialiste.

Surtout, les injections intra-articulaires d’acide hyaluronique, qui sont souvent proposées aux patients atteints de gonarthrose pour améliorer la marche et limiter les douleurs, pourraient elles aussi être déremboursées à la rentrée. En effet, la Commission de la transparence a émis fin juin 2013 un avis défavorable au vu d’une méta-analyse, « dont les données paraissent discutables, estime le Dr Grange. Un recours a été déposé, et les syndicats de rhumatologues se battent pour le maintien du remboursement de ce traitement qu’ils jugent utile pour leurs malades ».

L’Aflar lutte aussi pour la prise en charge de l’ostéoporose, « une affection rencontrée chez une femme sur trois, et non anodine, puisque 20% des patients ayant eu une fracture du col du fémur décèdent dans l’année qui suit. Là aussi, le nombre de thérapeutiques disponibles est en baisse, les rhumatologues faisant face soit à des déremboursements, soit au non-remboursement de thérapeutiques nouvelles potentiellement intéressantes », souligne le Dr Grange.

Effectivement, le ranélate de strontium (Protelos), dont le taux de remboursement a déjà été abaissé fin 2011 de 65 à 30% fait actuellement l’objet d’une réévaluation et est sur la sellette, son rapport bénéfices/risques étant fortement critiqué du fait de la survenue à la fois d’événements thromboemboliques veineux et d’infarctus du myocarde. « On devrait en savoir plus dans les semaines qui viennent », pense le Dr Grange. Un bisphosphonate, l’ibandronate (Bonviva), qui était proposé à la fois sous forme de comprimés mensuels et d’injections trimestrielles, a aussi été déremboursé en 2012 sur avis de la Commission de la transparence, qui a considéré que « ce bisphosphonate faisait courir une perte de chance aux patientes, ce traitement n’étant pas actif sur les fractures du col du fémur, à la différence des autres bisphosphonates mis sur le marché » (alendronate [Fosamax], risédronate [Actonel], zolédronate [Aclasta], Ndlr) alors que « l’amélioration de l’observance n’était pas démontrée par rapport aux bisphosphonates donnés sous forme hebdomadaire » (soit l’alendronate et le risédronate, Ndlr).

Le Dr Grange ne nie pas « que l’ibandronate avait fait la preuve de son efficacité sur les tassements vertébraux mais non sur les fractures du col », mais regrette toutefois cette forme injectable trimestrielle parfois intéressante chez certains patients. « En effet, il est parfois difficile de trouver en ville des infirmières pour réaliser les perfusions d’Aclasta, qui s’administre seulement une fois par an. » Ce bisphosphonate « plutôt bien toléré » est préconisé en première intention dans les recommandations 2012 du Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (Grio) et de la Société française de rhumatologie (SFR) en cas de fractures sévères ostéoporotiques, « notamment celles du fémur, où il a démontré sa capacité de diminuer la mortalité, mais demeure peu prescrit par les médecins généralistes ».

Autre problème, pour les bisphosphonates : certains dentistes, mal informés, incitent les patients à les stopper, car ils craignent la survenue d’ostéonécrose de la mâchoire. « En réalité, cette complication n’est retrouvée que dans de rares cas chez les patients ostéoporotiques, alors que le risque est plus élevé en cas de traitement pour cancer »*, explique le Dr Grange.

 

Ostéoporose : pas encore de remboursement pour le dénosumab

Quant au dénosumab (Prolia), de la nouvelle classe des anti-Rank ligand, « que les rhumatologues aimeraient proposer à leurs patients ostéoporotiques en impasse thérapeutique ou ne tolérant pas les bisphosphonates, il n’a toujours pas vu son remboursement accepté pour le traitement de l’ostéoporose et n’est disponible que pour la prise en charge des métastases osseuses sous le nom de XGeva. Le coût de ce médicament, pourtant remboursé dans d’autres pays européens, se situe autour de 270 euros pour une injection à renouveler tous les six mois. Ce qui pose des problèmes d’accessibilité ». Une situation qui a conduit là aussi l’Aflar à adresser plusieurs courriers à Marisol Touraine pour accélérer le traitement du dossier. Un remboursement pourrait avoir lieu en octobre prochain.

Enfin, dernière difficulté, le manque d’effort éducatif, « alors qu’une femme ostéoporotique sur deux arrête actuellement ses médicaments dans l’année qui suit. Pour l’instant, très peu de programmes d’éducation thérapeutique [ETP] sont autorisés par les agences régionales de santé, s’agissant de l’ostéoporose ou des affections rhumatologiques courantes. Encore moins sont financés. Globalement, la rhumatologie ne se situe d’ailleurs qu’au sixième rang pour le nombre de programmes d’ETP en France », déplore le Dr Grange.

 

* Gammelager H, et al. Clinical Epidemiology 2013

 

L’Aflar est une association mixte qui rassemble deux tiers de patients et un tiers de professionnels de santé.

Elle a mis en place deux numéros verts Allô Rhumatismes (0 810 42 02 42) et Allô Ostéoporose (0 810 43 03 43) qui permettent aux patients de poser des questions sur ces affections.

Par ailleurs, l’Aflar a ouvert un site d’information sur l’arthrose (Stop-arthrose) et, en 2012, à l’occasion de la Journée mondiale pour l’ostéoporose le site « Ostéoporose, pas d’accord ! ».

Pour plus d’informations :
www.aflar.org
www.stop-arthrose.org
http://www.osteoporosepasdaccord.org/

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Corinne Tutin