Longtemps, pour ne pas les traumatiser par de mauvaises nouvelles, les malades ne furent pas correctement informés par leurs médecins. Le secret médical vis-à-vis de leur propre maladie leur fut même parfois opposé ! Plusieurs arrêts de la Cour de cassation furent nécessaires pour faire évoluer les choses.

 

L’histoire de l’information des malades est pleine de paradoxes. Platon, opposé au mensonge, l’acceptait néanmoins dans la relation avec un malade (première manifestation d’une “exception médicale”). Dans les dernières années du XVIIIe siècle, dans une controverse fameuse l’opposant à Benjamin Constant et récemment rééditée,(1) Kant se prononce catégoriquement contre le mensonge, contre tout mensonge, qui attente à la dignité de la personne à qui l’on ment, comme à celle de la personne qui ment. C’est pourtant le moment où commence à se formaliser une éthique médicale qui recommande un “mensonge charitable”, pour éviter le désespoir aux malades.

 

Secret médical dû à un patient par son médecin

Une telle recommandation culminera en 1847 dans le premier code de l’Association médicale américaine, qui interdit quasiment de soumettre un patient à de mauvaises nouvelles jugées traumatisantes, voire fatales. À la fin du XXe siècle, l’évolution des mentalités et l’émancipation des individus ont conduit à une révolution qui a fait passer la charité après le droit, le “mensonge pieux” après l’obligation d’informer.(2,3) En France, des dispositions législatives et réglementaires ont été complétées plusieurs fois par des jurisprudences de la Cour de cassation.

Reprenant une vieille tradition inscrite dans le serment d’Hippocrate et destinée à préserver l’intimité du malade, l’article 378 du code pénal légalise en 1810 le secret médical dû à un patient par son médecin. Une seule dérogation, en cas d’atteinte à la sûreté de l’État, sera supprimée après les émeutes parisiennes de 1832. Mais le corps médical, en cours de recomposition après la loi de 1803, en tire des conséquences incongrues et verse dans une discrétion et un secret dévoyés qui s’appliquent sans raison justifiable au malade et aboutissent à tarir son information.

Dans son ouvrage Déontologie médicale, écrit à l’occasion du premier congrès de médecins qui se tient à Paris en 1845, le Dr Max. Simon plaide pour le principe d’une véracité sans laquelle “le langage cesse d’être ce lien merveilleux”. Mais il propose de voiler une partie de la vérité pour “ne pas jeter le désespoir dans l’âme d’un infortuné”.(4)

Le 23 juillet 1830, la Cour de cassation a rendu un arrêt à l’encontre d’un médecin en réprimant la violation du secret médical dans l’intention de nuire. Mais cette intention n’est pas nécessaire, comme va le rappeler l’affaire Watelet. En 1884, le Dr Watelet est accusé par la presse d’avoir mal soigné et laissé mourir un certain Jules Bastien- Lepage, peintre de renom. Injustement attaqué, pour se défendre le praticien révèle des éléments confidentiels. En conséquence, il est poursuivi par le parquet pour violation de l’article 378 du code pénal. Condamné en première instance et en appel, il se pourvoit en cassation. Dans un arrêt du 18 décembre 1885, la Cour de cassation rejette son pourvoi en précisant que la disposition de l’article 378 “est générale et absolue et qu’elle punit toute révélation du secret professionnel, sans qu’il soit nécessaire d’établir à la charge du révélateur l’intention de nuire”.

 

Contrat entre le malade et son médecin

Cette décision est approuvée par le doyen Brouardel dans sa monographie Le Secret médical publiée en 1887, où il écrit “Silence quand même et toujours”. Les jugements successifs à l’encontre du Dr Watelet ont été ressentis très négativement par ses confrères et renforcent leur tendance à se taire.

En France, comme d’ailleurs aux États-Unis, le silence ou le “mensonge médical” prévaudront jusque dans les années 1970-1980. Le premier reproche alors adressé aux médecins est : “Il ne m’a rien dit”.

Pourtant, une intervention de la Cour de cassation, encore indirecte, est cette fois positive. Dans l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, sa chambre civile assimile la relation médecin-malade à une relation contractuelle, du moins en pratique privée, de son ressort : “… Il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat, comportant pour le praticien l’engagement […] de lui donner des soins […] conformes aux données acquises de la science…” Une telle formulation n’est pas entièrement nouvelle. Ainsi, le 25 janvier 1934, dans sa présentation au Sénat de la proposition de loi – qui aurait pu aboutir, avant la guerre, à la création d’un ordre des médecins –, le Dr Gadaud, rapporteur, déclare : “[La médecine] met en jeu non seulement la science du médecin qui la pratique mais sa conscience ; au début de tout acte médical, il y a une sorte de contrat tacite entre le malade et le médecin; […] le médecin s’engage à donner toute sa science au malade…”. Quoi qu’il en soit, il s’en déduit que, comme pour tout autre contrat synallagmatique, chaque partie y consent, en connaissance de cause sur “l’objet certain qui forme la matière de l’engagement” (art. 1108 du Code civil).

 

Consentement du malade avant une opération

L’intervention la plus nette, qui aurait pu et dû avoir des conséquences pratiques, résulte d’une décision ultérieure, passée inaperçue, l’arrêt Teyssier.(5) En mars 1930, M. Teyssier est victime d’un accident de voiture et opéré dans le service du Dr P. de l’hôpital Saint-André de Bordeaux. À la suite de complications infectieuses (on parlerait aujourd’hui d’infection nosocomiale, mais, à cette époque d’avant les antibiotiques, elle n’est pas relevée), il est amputé de l’avant-bras. Il engage une action en responsabilité contre le chirurgien et contre l’administration des hospices. Après plusieurs navettes entre juridictions civiles et administratives, elle finit par aboutir à une condamnation par la cour d’appel de Bordeaux, le 21 janvier 1938. Le chirurgien se pourvoit en cassation, mais, le 28 janvier 1942, la Cour de cassation rejette son pourvoi et confirme le précédent jugement.

Cet arrêt appelle deux remarques.

– Concernant la procédure, il justifie d’abord l’intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire pour un médecin de l’hôpital, car “comme tout chirurgien, le chirurgien d’un service hospitalier est tenu, sauf cas de force majeure, d’obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une opération dont il apprécie, en pleine indépendance, sous sa responsabilité, l’utilité, la nature et les risques ; qu’en violant cette obligation imposée par le respect de la personne humaine, il commet une atteinte grave aux droits du malade, un manquement à ses devoirs proprement médicaux qui constitue une faute personnelle se détachant de l’exercice des fonctions que l’administration des hospices a qualité pour réglementer”. Ainsi, tout en exerçant à l’hôpital, le chirurgien garde son indépendance professionnelle et il est personnellement responsable de ses actes.

– Sur la question de fond, la Cour de cassation approuve la décision d’appel. On ne s’attardera pas sur les commentaires concernant les gestes techniques mis en oeuvre pour traiter la fracture. Mais l’arrêt de Bordeaux affirme qu’avant de donner son consentement pour l’intervention envisagée “il convenait que M. Teyssier fût éclairé pour faire un choix”, qu’il n’a pas été éclairé comme il aurait dû l’être et que le médecin a commis une faute en ne l’informant pas sur l’intervention prévue et ses conséquences possibles, ni sur le choix entre deux méthodes.

 

Information “approximative”

Ainsi, cet arrêt peut être considéré comme directement fondateur de l’obligation d’informer. Préalable au consentement du malade, la nécessité de son information est motivée par le respect de la personne et de ses droits. Cependant, les troubles de ces temps détournent l’attention de ces “fulgurances presque prophétiques”.

Le 21 février 1961, un nouvel arrêt de la cour, arrêt Dame Angamarre, définit l’information nécessaire comme “simple, approximative, intelligible et loyale”. L’adjectif “approximatif” qui signifie proprement “proche de la réalité” paraît a posteriori malheureux, car interprété avec laxisme. En 1985, un médecin ironise encore en demandant si elle doit être “simplement approximative ou approximativement simple”…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Bernard Hoerni, Sylvie Breton

 

Retrouvez cet article Comment la Cour de cassation a fait évoluer l’information des malades dans les dossiers “Histoire de la médecine” de La Revue du Praticien, sur www.larevuedupraticien.fr, sous la rubrique “Histoire et éthique médicale”.

 

RÉFÉRENCES
1. Constant B, Kant E.
Le droit de mentir. Paris : Fayard, 2003.
2. Hoerni B.
Vie et déclin du mensonge médical. Hist Sciences Méd 2005;39:349-58.
3. Hoerni B, Bénézech M.
La relation humaine en médecine. Ses mutations en France, 1947-2002. Paris : Glyphe, 2010.
4. Simon M.
Déontologie médicale ou des devoirs et des droits des médecins dans l’état actuel de la civilisation. Paris : Baillère, 1845.
5. Hoerni B, Bouscharain JP.
Arrêt Teyssier de la Cour de cassation, 28 juillet 1942. Quelques remarques sur une décision “oubliée”. Hist Sciences Méd 2001;35:299-304.
6. Hoerni B, dir.
L’information des personnes malades. Villeurbanne : SIMEP, 1982.